Cas Apple : un nouveau pas vers la lutte contre l’évasion fiscale

Le 30 août dernier, la Commission européenne a contraint Apple de rembourser à l’Irlande le chiffre record de 13 milliards d’euros, suite aux impôts non payés par l’entreprise entre 2003 et 2014, grâce à des avantages fiscaux illégaux accordés par l’Irlande. Un signal fort envoyé aux multinationales qui pratiquent l’évasion fiscale à grande échelle.

Selon la Commission européenne, Apple a bénéficié, en 1991 et en 2007, de deux récrits fiscaux (ou tax rulings) (1), accordés par les autorités fiscales irlandaises. Ces derniers ont permis à la firme à la pomme de bénéficier d’un taux d’imposition de 0,005 % à 1 % de ses bénéfices selon les années, contre un taux d’imposition des sociétés en Irlande à 12,5 %, déjà l’un des plus bas d’Europe.

Au regard du droit européen, ces pratiques sont considérées comme des aides illégales d’Etat car elles confèrent à l’entreprise un considérable avantage par rapport aux autres sociétés. Elles faussent ainsi les règles de la libre concurrence, pilier du marché unique européen. Apple est donc contrainte de verser ses impôts impayés, mais c’est bien l’Irlande qui est condamnée pour lui avoir accordé cet avantage.

L’Irlande a toutefois décidé de faire appel de la décision de la Commission. Elle renonce donc à ce « chèque » de 13 milliards d’euros, une somme correspondant à un quart de son budget annuel. Un choix qui semble du moins paradoxal ! En réalité, si l’Irlande acceptait, cela reviendrait à remettre en question sa stratégie d’attractivité fiscale, sur laquelle repose son modèle économique depuis les années 1970 : attirer les multinationales à travers un taux d’imposition faible et une législation fiscale accommodante pour qu’elles s’implantent et créent des emplois de long terme sur son territoire.

Mais dans cette affaire ce sont aussi tous les Etats membres à être impactés. En effet, grâce aux avantages fiscaux irlandais, Apple a pu éviter de payer des impôts sur presque l’intégralité des bénéfices réalisés sur le marché européen, en faisant remonter toutes ses ventes en Irlande.  Cela a été possible car Apple n’a pas dû déclarer ses bénéfices pays par pays. Si certainement injustes, ces pratiques sont bien légales.

Bien plus qu’un cas isolé

Ce cas, qui fait suite aux condamnations de Starbucks et Fiat pour les avantages fiscaux accordés respectivement par les Pays Bas et par le Luxembourg, témoigne encore une fois de l’ampleur du recours à ces pratiques d’évasion fiscale par les grandes entreprises.  

Nous assistons en effet à une vraie course à la concurrence fiscale au sein de l’Union européenne, qui voit les différents pays proposer des avantages fiscaux les plus attrayants possible aux multinationales pour qu’elles investissent sur leur territoire. Ce vaste système d’évasion fiscale prive les Etats de ressources financières essentielles pour investir dans les services publics tels que l’éducation ou la santé, et creuse davantage les inégalités économiques. Et ce sont tous les citoyens qui en supportent les conséquences. On estime à mille milliards d’euros le manque à gagner annuel de l’Union européenne lié à la fraude et à l’évasion fiscale.

Vers plus de transparence fiscale

Si cette décision de la Commission européenne représente certes un signal important pour les multinationales, il faut agir davantage pour empêcher que des rescrits fiscaux soient encore souscrits dans le futur. Actuellement, les entreprises ne sont pas condamnées pour leur transfert artificiel de bénéfices, mais seulement pour avoir bénéficié d’avantages fiscaux par rapport aux autres entreprises, grâce aux récrits. Elles doivent donc uniquement rembourser les impôts impayés et l’Etat qui a accordé les avantages fiscaux à les récupérer, sans aucune pénalité.  Les autres Etats membres, de leur côté, ne récupèrent rien de ce montant. Cela n’est clairement pas suffisant pour mettre fin à ce système.

Les gouvernements européens se doivent d’agir immédiatement pour généraliser la transparence fiscale. Les récrits fiscaux devraient être systématiquement rendus publics et les multinationales obligées de révéler où elles réalisent leurs bénéfices et où elles payent leurs impôts via un reporting pays par pays public. Cela permettra de savoir si elles paient leur juste part d’impôts dans chaque pays et d’exercer un effet dissuasif sur leurs pratiques d’évasion fiscale pour les rendre concrètement redevables envers les gouvernements et les citoyens.