Deux nouvelles études d’impact sont publiées ce jeudi 10 septembre, par Oxfam, la FIDH et leurs organisations partenaires sur les risques majeurs du projet mené par Total en Ouganda et en Tanzanie, qui provoquerait l’expropriation de 12 000 familles et menacerait des écosystèmes aussi fragiles qu’essentiels.

 

Lire le rapport d’Oxfam et de la FIDH : « Pétrole en Afrique de l’Est, les communautés en danger » 

 

Malgré l’effondrement des prix du pétrole, malgré la pandémie et la crise climatique, les projets pétroliers se développent à travers le monde. Parmi les plus ambitieux, celui du géant énergétique français Total qui prévoit d’exploiter un des plus grands gisements d’Afrique situé sur les rives du lac Albert pour expédier le pétrole vers les marchés internationaux par la Tanzanie via un oléoduc, le pipeline de pétrole brut d’Afrique de l’Est (East African Crude Oil Pipeline – EACOP). Ce projet est mené en partenariat avec la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et avec les gouvernements ougandais et tanzanien.

 

Deux nouvelles études d’impact sur les droits humains des communautés affectées par ces projets pétroliers en Ouganda et en Tanzanie soulignent les effets réels et les risques potentiels de ces projets et proposent des recommandations émanant des communautés, à destination des entreprises impliquées et des autorités gouvernementales pour prendre des mesures urgentes afin d’éviter un désastre humain et environnemental.

 

La première, Nouveaux gisements, même histoire ? A la croisée des chemins pour éviter la catastrophe en Ouganda, produite par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et la Foundation for Human Rights Initiative (FHRI) détaille les conséquences passées et présentes des activités d’exploration et de construction liées au pétrole, ainsi que les risques que soulèvent les futurs sites de forage en Ouganda.

 

La deuxième évaluation, Empty Promises Down the Line ? A Human Rights Impact Assessment of the East African Crude Oil Pipeline publiée par Oxfam, les ONG Global Rights Alert (GRA), Civic Response on Environment and Development (CRED) et Northern Coalition on Extractives and Environment (NCEE) analyse l’impact de l’EACOP.

 

Leurs constatations, résumées dans le rapport « Pétrole : En Afrique de l’Est, les communautés en danger », sont le résultat de deux ans de recherches indépendantes complémentaires mais propres à chaque organisation.

 

“Malgré les promesses d’emplois et d’avenir meilleur, les communautés s’inquiètent de perdre leur terre, des dégâts environnementaux et des ‘promesses vides’ de l’argent du pétrole”, constate Caroline Brodeur, experte en entreprises et droits humains pour Oxfam. “Les risques que fait peser le développement de l’exploitation pétrolière sur l’Afrique de l’Est sont immenses. Nous demandons instamment aux gouvernements et aux entreprises concernées de prendre en compte les nouvelles données que nous publions parce qu’elles reflètent les peurs, les espoirs et les recommandations des communautés riveraines du lac Albert et de celles qui vivent le long du tracé du pipeline (‘down the line’) et de s’engager sur une voie alternative.”

 

Des quantités viables de pétrole ont été découvertes en 2006 dans l’ouest de l’Ouganda, sous le lac Albert, par la compagnie d’exploration britannique Tullow Oil, soulevant de grandes attentes : ce pétrole devait rapidement se transformer en une nouvelle source d’investissements étrangers et de revenus gouvernementaux. Mais au jour d’aujourd’hui, l’extraction pétrolière n’a toujours pas commencé. Les projets existants autour du lac Albert ont déjà été entachés de soupçons de violations des droits humains, de retard dans le paiement des compensations, de destruction des sources traditionnelles de moyens de subsistance et d’opacité du processus de relocalisation des populations. Les communautés s’inquiètent particulièrement pour leur avenir : en plus de la perte de leurs terres, elles craignent une contamination de l’eau et de l’air, faisant craindre le pire pour leur santé.

 

“Après presque deux décennies d’exploration pétrolière, beaucoup de communautés craignent que le pire ne reste à venir”, explique Rashid Bunya, chercheur et responsable du plaidoyer à la FHRI. “Nos recherches montrent que ces projets impactent lourdement les droits humains qui concernent la terre, les moyens de subsistance et l’environnement de ces communautés d’Ouganda. Malgré des efforts des entreprises et des gouvernements concernés, les risques encourus sont énormes, notamment dans un contexte de menaces contre les personnes qui s’engagent dans un mode de participation civique.”

 

Aujourd’hui, après des retards de production et des années d’exploration autour du lac Albert, les compagnies, à la tête desquelles Total, sont sur le point de prendre l’ultime décision d’investissement qui lancera l’exploitation en 2020 et la mise en place d’un oléoduc à travers l’Afrique de l’Est dès mars 2021. Et ce malgré un contexte de crise économique dans le secteur pétrolier et d’inquiétude croissante face au recul des droits humains dans la région. Des associations locales déplorent de ne pas pouvoir visiter librement des villages concernés par les projets pétroliers et constatent que les consultations menées à leur sujet sont souvent plus formelles que participatives.

 

“Les entreprises provoquent des bouleversements sociaux majeurs – qui touchent particulièrement les femmes – en s’emparant de terres pour faire place au pétrole, souvent sans consultation adéquate”, constate Maria-Isabel Cubides, chercheuse au bureau Mondialisation et droits humains de la FIDH. “Les familles s’inquiètent que ce projet détruise les structures communautaires et mine leurs modes de vie traditionnels et leur culture.”
“Si de nouveaux projets se développent, les entreprises et les gouvernements devront reconsidérer leur approche et placer les communautés au coeur de leur processus de décision”, avertit Devotha Mbenna, chercheuse au NCEE. “L’avenir de l’Ouganda et de la Tanzanie se fonde sur cette terre, cet environnement et sur les aspirations des populations locales.”

 

Les deux rapports exhortent les développeurs de projets et les gouvernements ougandais et tanzanien à :

  1. Écouter, informer et répondre aux communautés : s’engager à mener un dialogue libre, ouvert, éclairé et équilibré sur l’exploitation pétrolière, y compris sur ses risques. Publier les contrats, les études d’impact internes sur les droits humains disponibles ou à venir. Prendre des mesures pour répondre aux enjeux soulevés et éviter de faire des promesses vaines.
  2. Défendre les défenseurs : s’assurer que les avocats, les journalistes et les groupes de la société civile défendant les droits humains puissent travailler librement dans les communautés à risque.
  3. Prendre ses responsabilités : interrompre toute mauvaise conduite par les sous-traitants des projets, en particulier les tentatives de restreindre, obscurcir ou limiter les droits des communautés ou de la société civile.
  4. Résoudre les conflits de façon équitable et soutenir un système de contrôle des opérations transparent et axée sur les citoyens.
  5. Garantir la juste valeur des terres : garantir des processus d’évaluation de la valeur des terres et d’indemnisation justes, transparents et conformes aux meilleures pratiques internationales.
  6. Protéger l’environnement : mettre un terme aux activités d’extraction dans des zones comportant des écosystèmes protégés et sensibles, y compris sur les rives du lac Albert, et s’engager à utiliser la meilleure technologie disponible pour préserver la culture, la santé et le futur des communautés impactées.
  7. Investir dans l’avenir : soutenir l’éducation, les moyens de subsistance, la défense juridique des familles délocalisées et des personnes à risque, en particulier les femmes et les filles. S’assurer que la réinstallation des populations n’empire pas leur condition. Se préparer à un futur après le pétrole et évaluer la contribution de ces projets aux crises climatiques.

Contacts presse :

OXFAM France : Caroline Avan / 06 26 71 37 74 / cavan@oxfamfrance.org
FIDH : Emmanuelle Morau / 06 72 28 42 94 / emorau@fidh.org