La théorie du Donut : une nouvelle économie est possible
Kate Raworth, auteure de la Théorie du Donut
Kate Raworth, autrice de la Théorie du Donut

Kate Raworth, économiste qui se consacre aux défis sociaux et environnementaux du 21e siècle, est l’autrice de « La Théorie du Donut, l’économie de demain en 7 principes », paru dans sa version française aux éditions Plon, en novembre 2018. Cette image a pris forme sous son crayon lors de ses 11 années de travail dans les équipes d’Oxfam Grande-Bretagne.

Son objectif : repenser l’économie, pour parvenir à répondre aux besoins humains de base et la préservation de l’environnement.

Le Donut nous dit qu’un autre chemin est possible et que c’est donc une question de choix politiques. La vision de la société transmise par cette théorie correspond aux combats portés par Oxfam : défendre des propositions concrètes et ambitieuses auprès des décideurs politiques et économiques pour une économie plus humaine, plus juste et plus durable. Ces derniers mois, le Donut est revenu sur le devant de la scène dans le cadre des plans de relance après la crise du Covid-19, une crise qui a révélé l’impératif de répondre à la double urgence sociale et climatique.

Une théorie économique née dans les bureaux d’Oxfam

« En économie, l’outil le plus puissant n’est pas l’argent, ni même l’algèbre. C’est un crayon. Parce qu’avec un crayon vous pouvez redessiner le monde. »

 

C’est sur cette interlude que s’ouvre La Théorie du Donut, bestseller dans le monde anglophone, disponible en français. Par l’image d’un simple donut, Kate Raworth est parvenue à démontrer les changements nécessaires à opérer dans la pensée économique pour prendre en compte la réalité d’aujourd’hui et les défis de demain.

Kate Raworth a travaillé pendant 11 ans au sein de l’équipe de recherche d’Oxfam Grande-Bretagne. La Théorie du Donut qu’elle a développé au fil des années traduit la vision portée par l’organisation, celle d’une réorientation de l’économie vers un modèle plus juste et durable.

En 2008, elle assiste à une présentation sur les enjeux actuels et futurs pour le développement des pays. Un diagramme y décrit les « 9 limites de la planète » et le dépassement en cours des ressources planétaires. Pour la première fois, les sciences naturelles montrent à l’économie jusqu’où, ou non, elle peut aller. La réécriture de celle-ci commence.

Un modèle qui allie enjeux environnementaux et justice sociale

La réflexion, qui a abouti à la Théorie du Donut, prend progressivement forme : comment allier les enjeux de justice sociale aux enjeux environnementaux, pour orienter l’économie en faveur d’un développement durable et juste ?

Les sciences naturelles ont défini les limites extérieures, « le plafond ». Pour Kate Raworth, la justice sociale permet de définir les limites intérieures, « le plancher ». Ces limites relèvent des droits humains, des besoins essentiels attachés à chaque personne pour assurer son épanouissement.

A partir du diagramme initial, entre les limites extérieures et intérieures, se dessine une forme bien reconnaissable… un donut. Au sein de celui-ci se trouve l’espace sûr et juste pour l’humanité, dans lequel peut prospérer une économie inclusive et durable.

Le diagramme de la Théorie du Donut

Cette théorie est pour la première fois développée dans un papier « d’analyse et de discussion » publié par Oxfam en 2012, en amont de la conférence « RIO +20 », conférence des Nations unies sur le développement durable, qui doit redéfinir les objectifs du millénaire pour le développement. Le succès de cette nouvelle approche ne se fait pas attendre. A partir de ce moment-là, Kate Raworth est la « lady donut ».

Développer cette nouvelle pensée économique, la porter auprès du plus grand nombre devient alors la priorité de l’autrice. Cette théorie devient un livre, afin de pouvoir en explorer toutes les dimensions et la mettre à la disposition du public. Le livre développe la Théorie du Donut en 7 grands principes permettant de développer l’économie de demain.

Comprendre la théorie du Donut en vidéo

Changer le monde avec un Donut

Une nouvelle façon de penser l’économie

En développant la Théorie du Donut, Kate Raworth explore le type d’économie dont le 21e siècle a besoin pour répondre aux grands défis qui sont les siens. Elle offre une boussole à l’économie pour permettre de répondre aux besoins des personnes dans la limite de ce que la planète peut offrir.

A travers l’idée du Donut, Kate Raworth s’appuie sur la force de l’image et de l’humour. Il est vrai que le terme interpelle. Pour l’autrice, l’aspect très visuel de cette théorie joue un rôle majeur pour faciliter son appréhension et son appropriation. « Il faut savoir rendre son projet irrésistible pour en faire la vision, la logique de demain » nous explique-t-elle, se rappelant aussi ce qui animait les campagnes d’Oxfam.

La théorie du Donut, entre plancher social et plafond environnemental

A travers la Théorie du Donut, Kate Raworth associe les enjeux d’intégrité environnementale et de justice sociale. Elle appelle à un travail commun renforcé entre des acteurs travaillant sur ces différents enjeux. Elle leur offre des points de connexion, une vision décloisonnée.

Au cœur du donut, se retrouvent des personnes dont leurs besoins vitaux essentiels ne sont pas assurés. L’autrice définit ainsi 12 besoin de bases dont personne ne devrait manquer (alimentation, santé, éducation, eau potable, logement, accès à un travail digne, égalité des genres, une voix politique, etc). Ce premier cercle vert est « plancher social » : il constitue le but à atteindre pour assurer l’épanouissement de chacune et chacun.

Mais cet épanouissement ne peut se faire au-delà d’un cercle extérieur, ce que Kate Raworth appelle le « plafond environnemental ». Collectivement, nous ne pouvons utiliser les ressources de manière trop intensive, au risque de soumettre l’équilibre de la planète à une trop grande pression. La Théorie du Donut définit ainsi 9 limites planétaires parmi lesquelles les changements climatiques, la perte de biodiversité, l’acidification des océans, la pollution chimique.

Des « zones rouges » de dépassement des limites, facilement identifiables

La Théorie du Donut définit l’espace sûr à atteindre. Elle démontre également les zones rouges de l’économie actuelle, que ce soit à l’intérieur du donut – les besoins essentiels qui ne sont pas encore assurés pour l’ensemble de l’humanité – et à l’extérieur – les équilibres planétaires déjà mis sous pression.

Les zones rouges identifiées par la Théorie du Donut

Les signes de dépassement des limites sociales et planétaires se sont multipliés ces dernières années et sont partout aujourd’hui : multiplication et amplification des vagues de chaleur et des incendies, intensifications des inondations, mobilisations sociales partout dans le monde face à l’explosion des inégalités, la pauvreté et la faim qui repartent à la hausse. A moins que les émissions ne chutent considérablement, le budget carbone mondial sera complètement épuisé à l’horizon 2033. Et la pandémie de Covid-19 révèle autant qu’elle amplifie les fractures sociales et économique existantes de nos sociétés.

L’urgence de « changer de logiciel » pour penser l’avenir

Ce modèle économique injuste et défaillant est devenu insoutenable. Pour en sortir, il faut changer notre façon de penser, il faut changer de logiciel.

La façon dont nous pensons l’économie depuis un siècle est obsolète. Elle n’est plus adaptée aux enjeux sociaux et climatiques du 21ème siècle et, surtout, c’est cette logique qui a contribué à nous emmener dans le mur.

Depuis des décennies, les décideurs politiques et économiques nous imposent un cadre unique alors que d’autres modes de conception de l’économie sont possibles.  Il faut sortir de la croyance en une croissance infinie dans un monde fini et aux ressource épuisables et s’affranchir du PIB comme unique horizon à atteindre. Nous avons besoin d’une nouvelle boussole qui oriente nos décideurs politiques et économiques vers la seule voie possible pour assurer à chacun.e les conditions d’une vie digne tout en respectant les limites planétaires. L’urgence sociale ET environnementale nous oblige à concevoir un nouveau logiciel de prospérité partagée et durable.

Dépasser le dogme d’une croissance infinie du PIB

Nos institutions politiques, financières et sociales sont fondamentalement structurées autour d’une idée centrale : celle de la croissance infinie du PIB. Leur fonctionnement, leurs décisions répondent à cet impératif. Pourtant, l’observation seule de la nature démontre l’inexactitude de cette croyance : dans la nature, rien ne croît toujours, auquel cas il finit par se détruire ou détruire l’environnement sur lequel il repose.

La nature nous montre à l’inverse qu’au premier stade, chaque chose à vocation à grandir, avant de se stabiliser arrivée à maturité. C’est à partir de cette stabilisation qu’il est possible de continuer à vivre longtemps, dans de bonnes conditions. Cette observation faite par Kate Raworth pose dès lors une question fondamentale : comment transformer notre économie pour qu’elle puisse continuer de prospérer sans être obligée de croître ? Cette question est d’autant plus centrale dans les pays aux revenus très élevés, mais pose également la question du modèle de développement futur des pays à revenus aujourd’hui faibles ou intermédiaires.

L’auteur se démarque sur ce point de la théorie de la décroissance. Si la décroissance et la Théorie du Donut ont un grand nombre d’éléments en commun, elles diffèrent sur l’idée de baisse du PIB. Pour Kate Raworth, ce point n’est pas central. Tout d’abord parce qu’il entraîne d’emblée des réticences et des blocages politiques, ce qui n’est pas le but de sa démarche. Surtout, parce que l’objectif de la Théorie du Donut est de développer une nouvelle approche économique, durable et inclusive. Personne ne peut aujourd’hui dire, pas même l’auteur, de quelle manière le PIB évoluera dans cette nouvelle économie. Pour Kate Raworth, un des enjeux actuels est justement de se détacher de cette obsession économique autour du PIB, pour développer de nouveaux indicateurs.

Du dégénératif au régénératif

La pensée économique, et plus largement la pensée humaine, repose sur l’idée fondamentale que la croissance est synonyme de réussite, de progrès. Le passage de la marche à quatre pattes à celle sur deux pieds, bien droit, constitue le symbole même de l’évolution humaine. En économie, cela se traduit par l’idée de croissance infinie du PIB.

A cette vision linéaire, Kate Raworth oppose celle, circulaire, du donut.

Le processus industriel actuel est linéaire et dégénératif. Les ressources de la planète sont captées, transformées, utilisées puis rejetées. Ce processus, qui alimente d’un côté la déforestation, la combustion d’énergies fossiles, l’utilisation massive d’engrais, et génère à l’autre bout du CO2, des polluants, est la raison derrière le dépassement actuel des limites planétaires.

Ce système linéaire n’est pas le seul possible. Il constitue un choix. Il est aussi possible d’agir pour aller vers un système circulaire, du donut, régénératif. Les déchets peuvent se recycler et venir alimenter une économie circulaire. Au lieu même de recycler, il est possible de réutiliser, de réparer, de partager. Cette économie régénérative repose également sur les énergies renouvelables au lieu des énergies fossiles.

De l’accaparement au partage des ressources

L’économie actuelle est entre les mains et ne profite qu’à une très petite minorité de la population. Le travail d’Oxfam a permis de démontrer cela et de mettre en lumière ces inégalités mondiales croissantes. Aujourd’hui, les 1% les plus riches de la planète détiennent 50% des richesses mondiales.

Là encore, ce clivage n’est pas une fatalité et ne permet pas le développement d’une économie inclusive et durable. Dans sa Théorie du Donut, Kate Raworth propose de passer à un schéma distributif. Certaines évolutions prouvent d’ores et déjà la pertinence et la faisabilité d’un tel changement.

Le modèle énergétique constitue une illustration d’un tel changement. Celui-ci repose jusque-là sur l’utilisation du charbon, l’exploitation de plateformes pétrolières et de pipeline de gaz. Ce modèle, nécessitant des investissements importants, bénéficie exclusivement aux actionnaires. Au 21e siècle, le développement de panneaux solaires sur chaque immeuble, chaque maison, chaque école, dans les pays riches ou à faible revenus, peut permettre à l’énergie de devenir distributive. Ce changement est un choix.

L’évolution des moyens de communication, tout comme l’émergence des logiciels en open source, constituent d’autres exemples de ce changement de schémas des sociétés.

Les changements sociaux doivent accompagner ces changements technologiques, afin de permettre l’émergence d’une société distributive. Cette approche est d’ailleurs au cœur de la démarche d’Oxfam, qui, depuis longtemps, met ces théories en pratique.

Diffuser une nouvelle pensée économique

William S.Burrough, auteur américain, écrivait “After one look at this planet any visitor from outer space would say “I want to see the manager” ». Mais aujourd’hui, de la planète, personne n’est en charge. Il en va de la responsabilité de chacune et chacun d’entre nous. C’est dans cette optique que Kate Raworth multiplie les rencontres, les présentations, avec une diversité d’acteurs toujours plus importante.

Le livre est paru dans sa version anglaise en avril 2017. Depuis, Kate Raworth n’a jamais arrêté de présenter la Théorie du Donut. Du Parlement européen à l’ONU, en passant par les membres du groupe Occupy Wall Street, ses interlocuteurs sont divers, signe d’une prise de conscience et d’une réflexion qui émerge belle et bien.

L’autrice s’efforce d’échanger avec tous les domaines d’activités, du niveau global au niveau local, pour voir comment son donut peut s’y appliquer. Elle cherche constamment des leaders du changement, pour travailler avec elles et eux et mettre en théorie des fonctionnements, des modèles déjà expérimentés dans la pratique.

Intégrer le donut à l’économie de demain

Les études économiques font encore de la résistance pour intégrer la Théorie du Donut, celle-ci remettant en question le principe même d’homo economicus, socle de base de la pensée économique. Les autres champs d’étude se la sont quant à eux déjà appropriée, de l’urbanisme au développement durable, en passant par la santé, l’écologie, jusqu’aux écoles de commerce.

La demande est pourtant là. Le milieu étudiant, avec le mouvement « repenser l’économie », souhaite que les réalités du 21e siècle soient plus intégrées dans la manière d’étudier et de penser l’économie. Commencé en 2001 par des étudiants de Paris, il se développe dans toute l’Europe. Kate Raworth travaille aujourd’hui avec eux.

Elle s’est aussi récemment engagée auprès de l’ONG Extinction Rebellion lors d’une grande mobilisation et d’action à Londres, en août 2021, pour alerter sur l’urgence climatique.

Dessiné dans les bureaux d’Oxfam, le donut de Kate Raworth se diffuse. Tant mieux, car exceptionnellement, c’est un donut bon pour la santé de toute la planète !

Amsterdam, le pari d’un plan de relance inspiré du Donut

En avril 2020, Amsterdam est devenue la première ville au monde à instaurer le concept d’économie du donut dans ses choix de politiques publiques. En pleine pandémie de Covid-19, la capitale des Pays-Bas a fait le pari d’adopter un plan de relance qui associe justice sociale et transition écologique. Au niveau du logement par exemple, la municipalité mise sur la construction de logements moins polluants et accessibles au plus grand nombre, en misant sur les techniques de l’économie circulaire et l’utilisation de matériaux à faible impact carbone. La ville a aussi mis en place des programmes de recyclages d’ordinateurs qui sont ensuite proposés aux personnes les plus modestes. Ce sont aussi des jardins individuels et des projets d’agriculture collective qui fleurissent un peu partout.

Comment peut-on fonder une économie à partir de l’image du Donut ? 

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