Média Crash : les médias aux mains de quelques milliardaires

Le documentaire “Média Crash : Qui a tué le débat public ?”, réalisé par Valentine Oberti et Luc Hermann, dénonce l’hyper-concentration des médias dans les mains d’une poignée de milliardaires (9 pour être précis !). Sur la base de nombreux témoignages et d’une enquête précise, le documentaire interroge le détournement des médias au service d’intérêts privés et relance le débat sur l’indépendance des médias, à l’approche de l’élection présidentielle.

Concentration des richesse et concentration du pouvoir 

Il y a à peine un mois, Oxfam publiait son rapport Davos 2022 sur les inégalités mondiales révélant l’indécente augmentation de la richesse des milliardaires français. La fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. 

Une concentration extrême des richesses a pour conséquence directe la concentration du pouvoir de décision et d’influence. “Média Crash : qui a tué le débat public ?” vient illustrer ce système inégalitaire où le pouvoir de décision, ici dans les médias, est aux mains de quelques milliardaires. C’est notre démocratie qui en est atteinte, car des citoyens informés sont des citoyens qui participent à la vie politique de la nation, et à l’approche des présidentielles ce sujet est crucial.

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Des médias détenus par quelques milliardaires

Aujourd’hui, selon Julia Cagé, 9 milliardaires possèdent plus de 80 % des médias en France. L’association Acrimed et Le Monde Diplomatique ont réalisé une infographie qui nous montre qui possède quels médias en France. 

Ces 9 milliardaires sont : 

  • Bernard Arnault : Les Echos, L’Opinion, Le Parisien, une partie du Groupe Perdriel (Challenges, Sciences et Avenir)
  • Patrick Drahi : BFMTV, RMC, L’Express, Libération i24 
  • Xavier Niel : Le Monde SA (Le Monde, Télérama, Courrier International, L’OBS, Le Monde Diplomatique, Huffpost), NJJ (Paris Turf, Nice Matin, Var Matin, Monaco Matin)
  • Daniel Kretinsky : Le Monde SA (Le Monde, Télérama, Courrier International, L’OBS, Le Monde Diplomatique, Huffpost), Elle, Marianne, Télé 7 Jours
  • La famille Dassault : Le Figaro, Le Figaro Magazine
  • François Pinault : Le Point 
  • La famille Bouygues : Groupe TF1 (TF1, LCI, TMC, TFX)
  • Arnaud Lagardère : Paris Match, Hachette Livre, le JDD, Europe 1 
  • Vincent Bolloré : Groupe Canal + (Canal +, C8, CNews), Prisma Media (Capital, Femme Actuelle, Télé Loisirs, GEO, Voici, Gala), une partie de Lagardère(Paris Match, Hachette Livre, le JDD, Europe 1), France Catholique 

Il existe ainsi une concentration des médias en France qui s’intensifie et ce au détriment de la liberté de la presse et de l’indépendance des journalistes.

Ce constat est également celui de parlementaires qui ont lancé le 24 novembre 2022 une commission d’enquête « Concentration des médias en France » visant à “évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie.

Pourquoi la concentration des médias par quelques-uns pose-t-elle question ?

Posséder des médias n’est pas forcément un problème en soi, mais c’est la concentration aux mains d’une poignée d’individus qui peut constituer un danger. En pleine campagne présidentielle, il est inquiétant de constater que ces milliardaires ont la capacité d’influer – et le font – sur le contenu de l’information en tant qu’actionnaires majoritaires. Des cas d’influence, censure et de conflits d’intérêts avérés nuisent au pluralisme des médias et à leur indépendance. 

Le cas de Vincent Bolloré illustre cette problématique d’interventionnisme d’investisseurs dans les médias, avec pour exemple le démantèlement de I-Télé devenu CNews.

 

Comment garantir l’indépendance des médias et un pluralisme dans l’information ?

Face à ce constat, des universitaires et ONG portent depuis des années des recommandations visant à garantir l’indépendance des journalistes et rétablir un pluralisme de l’information, tels que Julia Cagé et Benoît Huet, auteur.trice.s de “L’information est un bien public”.

Un modèle économique des médias plus démocratique

Cela passe notamment par une modification des seuils de concentration des médias nationaux pour éviter les oligopoles. Il faut, au contraire, mettre en place une gouvernance démocratique dans les médias. Pour se faire il faudrait placer des journalistes dans les instances de gouvernance, en leur attribuant des droits de vote au même titre que les autres membres.

Il serait important également de garantir une part minimum des salaires dans les coûts de fonctionnement et l’affectation d’une part du bénéfice à une enveloppe consacrée au développement des activités journalistiques de l’entreprise.

Garantir une plus grande indépendance des médias 

Afin de garantir une plus grande indépendance des journalistes, il est recommandé de :

  • Créer un nouveau statut juridique pour les rédactions. Certains médias ont fait le choix d’adopter des chartes qui peuvent servir de base comme celle du journal Le Monde.
  • La création d’un délit de trafic d’influence en matière de presse afin de limiter les pressions sur les rédactions. En particulier, la loi devrait sanctionner pénalement tout interventionnisme abusif des propriétaires et dirigeants de médias qui ont souvent pour objectif de favoriser leurs intérêts ou ceux d’un tiers. 
  • Un financement citoyen des médias qui induirait pour partie une forme de financement participatif. Un modèle dans lequel journalistes et lecteurs seraient actionnaires, afin de garantir une meilleure indépendance économique et éditoriale.

Un meilleur contrôle de l’indépendance des médias

Pour un système de l’information libre et indépendant, il faut également davantage de transparence sur la gouvernance et l’actionnariat. On pourrait exiger de la part de toute entreprise de presse et de tout média audiovisuel la publication visible et facilement accessible du nom et des liens d’intérêts des sociétés actionnaires à plus de 5%, des dirigeantes et dirigeants de celles-ci ainsi que des personnes physiques qui les contrôlent (en ce qui concerne les sociétés mères).

Afin de protéger l’indépendance des médias, il est également nécessaire de renforcer le pouvoir des autorités de contrôle telles que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). L’Acrimed conseille même de remplacer ces structures par un Conseil National des Médias.