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Depuis le 9 février 2018 et la parution dans le journal britannique The Times of London, Oxfam est au cœur d’une forte attention médiatique, en Grande-Bretagne et dans le monde entier.

Beaucoup de choses ont été écrites ou ont pu être dites. Nous avons reçu beaucoup d’interpellations, parfois pour exprimer de l’indignation, d’autres fois un soutien, souvent pour nous demander des précisions. Nous avons tenté d’y répondre au mieux.

Il nous paraît important de faire le point – long mais essentiel – sur ce qu’il s’est passé, tant sur nos erreurs passées que sur les dispositifs mis en place pour que les abus de toute nature ne puissent pas se répéter.

L’intervention d’Oxfam en Haïti en 2011

Le 12 janvier 2010, Haïti est frappée par un tremblement de terre d’une gravité sans précédent, provoquant la mort de 220 000 personnes, en laissant 1,5 million d’autres sans abris et le pays détruit.

Oxfam, présente en Haïti depuis 1978 pour y soutenir les populations sur des programmes de développement, est intervenue en urgence afin d’apporter un soutien vital au plus grand nombre d’Haïtien.ne.s . 1,2 million de personnes ont bénéficié d’une aide par le biais de l’équipe d’Oxfam, composée d’environ 1 000 salariés locaux et internationaux. Notre intervention a permis la construction d’abris, la distribution de nourriture. 300 millions de litres d’eau potable ont été distribués, notamment pour permettre d’endiguer la propagation du choléra.

Au cours de cette mission, des suspicions concernant neuf membres de l’équipe, dont le directeur pays d’Oxfam en Haïti, Roland van Hauwermeiren, ont été remontées auprès d’Oxfam Grande-Bretagne (OGB), l’affilié qui était en charge de ces opérations sur le terrain. Les accusations portaient alors sur des risques de fraude, d’intimidation et de comportements sexuels répréhensibles, dont le recours à des prostituées dans les locaux de l’organisation.

Une équipe a été envoyée en Haïti par Oxfam Grande-Bretagne pour enquêter sur le comportement du directeur pays qui a rapidement reconnu les faits, notamment le recours à des prostituées. Avec la collaboration du directeur pays, l’enquête a ensuite porté sur les autres membres suspectés de l’équipe.

L’enquête a révélé que sept membres (sur neuf suspectés) de l’équipe d’Oxfam en Haïti avaient bien eu des comportements répréhensibles, dont le recours à des prostituées, et des cas d’intimidation et de menaces ont été confirmés. Quatre personnes ont été renvoyées. Deux personnes ont démissionné avant la fin de l’enquête. Le directeur pays, Roland van Hauwermeiren, a été autorisé à démissionner suite à sa pleine collaboration au cours de l’enquête.

L’enquête menée en 2011 a révélé qu’il n’y avait pas eu de détournement des fonds destinés à la réponse humanitaire en Haïti à des fins personnelles, notamment pour payer les prostituées. L’équipe d’enquête a été particulièrement vigilante à ce sujet, au regard des montants collectés pour faire face aux conséquences du tremblement de terre.

Au cours de l’enquête, les informations ont été transmises à la Charity Commission, organe règlementaire des ONG en Grande-Bretagne, et aux institutions publiques qui finançaient l’intervention d’urgence d’Oxfam en Haïti. Oxfam Grande-Bretagne a également publié un communiqué de presse au moment de l’ouverture et de la clôture de l’enquête.

Comment nous aurions pu mieux répondre à cette situation

Si cette situation advenait aujourd’hui, les réponses apportées seraient différentes.En effet, plusieurs dysfonctionnements apparaissent aujourd’hui :

  • Oxfam aurait dû prévenir les autorités haïtiennes de ces agissements. Ne pas le faire immédiatement était une erreur, motivée à l’époque par la situation chaotique dans le pays et par la nécessité de poursuivre le programme en cours.
  • Oxfam aurait dû communiquer et préciser la nature exacte des accusations portéescontre les membres de son équipe en Haïti et en particulier, le recours à la prostitution.

Une forte prise de conscience après Haïti

Le rapport d’enquête interne rédigé en 2011s’accompagnait d’une annexe listant les leçons à retenir et les actions à mettre en place. Sur la base de ces recommandations, Oxfam a largement renforcé ses mesures de prévention et de protection au cours des années suivantes :

  • Une équipe de prévention et de protection a été mise en place au sein d’Oxfam Grande-Bretagne. Cette équipe avait pour objectif de dresser un état des lieux des cas d’abus et de harcèlements au sein de l’organisation, de mettre en place des politiques de prévention, des mesures de réponse et d’appuyer les personnes référentes en la matière au niveau des différents pays d’intervention. La mise en place de cette équipe a permis de faire connaître des situations graves d’abus ou de comportements sexuels inappropriés, notamment au Soudan du Sud ou dans les magasins Oxfam en Grande-Bretagne. Ces alertes ont permis de mener des enquêtes et d’instaurer de nouvelles politiques de contrôle à l’embauche, d’alerte et de formation, notamment au sein des magasins en Grande-Bretagne.
  • La création d’une ligne téléphonique d’alerte, directe, anonyme, ouverte à tou.te.s les salarié-e-s d’Oxfam et à ses partenaires. La situation en Haïti nous avait montré l’importance d’une alerte rapide et facile pour les personnes victimes ou témoins de tels comportements.
  • Le renforcement des procédures de recrutement, avec l’obligation de deux références, dont le-la prédécent-e responsable direct-e.
  • Un changement d’organisation interne, à partir de 2015, avec une coordination renforcée des interventions sur le terrain afin d’assurer une meilleure harmonisation de nos politiques et pratiques de contrôle, de prévention et de sécurité.

Oxfam Grande-Bretagne est aujourd’hui l’une des seules organisations au monde à faire apparaître dans son rapport annuel le nombre de cas d’abus ou de harcèlement sexuels qui lui sont remontés. La mise en place de cette équipe de prévention et de protection ainsi que de la ligne d’alerte directe et anonyme ont été reconnues parmi les bonnes pratiques à suivre dans le milieu, selon l’université américaine Tufts, « Stop the sexual assault against humanitarian and development aid workers » (Mai 2017).

Des failles qui persistent

Les affaires mises en lumière ces derniers jours ont souligné l’importance d’un suivi rigoureux de toutes les personnes ayant été reconnues coupables d’actes répréhensibles.

En effet, le Times a révélé que Roland van Hauwermeiner, directeur pays incriminé dans l’enquête d’Haïti en 2011, avait pu être embauché par Action contre la Faim (ACF) pour une mission au Bangladesh de 2012 à 2014. Il est également apparu que lors d’une mission antérieure en Haïti avec Oxfam, au Tchad en 2006, des suspicions avaient déjà été remontées à sa direction.

Suite à ce manque de suivi et d’alerte, Penny Lawrence, directrice adjointe d’Oxfam Grande-Bretagne et directrice des programmes internationaux de 2006 à 2016, a donné sa démission le 12 février 2018.

Oxfam n’a jamais fourni de référence positive pour aucune des personnes ayant été licenciées ou ayant démissionné suite à cette affaire et ne le fera jamais.

Le fait qu’Action contre la Faim ait pu recruter Roland Van Hauwermeiren sans qu’Oxfam ne précise autre chose que les dates correspondant à ses précédents contrats chez d’Oxfam, obligation légale, a été une grave erreur. Par ailleurs, Oxfam ne peut pas s’assurer que des références falsifiées ou données par une connaissance personnelle n’aient pas été données. C’est notamment ce contrôle que nous souhaitons renforcer grâce à notre plan d’action international.

D’autres dysfonctionnements dans le suivi des dossiers des membres de l’équipe incriminée en Haïti nous sont apparus ces derniers jours. Nous examinons chaque demande qui nous est remontée et avons publiquement appelé les personnes ayant subi des abus ou en ayant été témoin, à contacter Oxfam pour que les mesures nécessaires soient prises à l’égard des auteurs d’actes répréhensibles.

Ces dysfonctionnements révèlent l’urgence de renforcer les systèmes de suivi au sein de la confédération Oxfam mais également au sein du secteur dans son ensemble. Un travail coordonné doit être mené et Oxfam s’est d’ores et déjà pleinement engagé à le réaliser.

Agir contre les abus et le harcèlement sexuel : une priorité pour Oxfam

L’enquête en Haïti en 2011 avait été un premier électrochoc pour Oxfam quant à l’urgence de mettre en place des mesures fortes pour lutter contre le harcèlement, l’exploitation ou les abus sexuels.

Il est évident que ces mesures doivent être renforcées et que des ressources supplémentaires doivent être allouées. Dans ce cadre, Oxfam a approuvé, au niveau international, un plan d’action ambitieux, effectif depuis son annonce le 16 février 2018 :

  • La création d’une commission d’enquête indépendante, composée d’expert-e-s dans la défense des droits des femmes, qui aura pour mission d’auditer l’ensemble des politiques et pratiques en place et aura la possibilité de réexaminer toutes les enquêtes passées ou en cours. Un rapport public sera publié durant le semestre qui suivra la création de cette commission. Ses recommandations seront suivies pour opérer un changement de culture et lutter effectivement contre les abus et le harcèlement sexuel.
  • La création d’une base de données, recensant les personnes accréditées pour donner des références au nom d’Oxfam, afin de lutter contre les fausses recommandations. Tant qu’elle ne sera pas mise en place, Oxfam ne fournira plus de références.
  • Le doublement des effectifs de l’équipe de prévention et de protection et le triplement de ses ressources qui dépasseront un million de dollars au niveau international. Ces fonds seront mobilisés grâce à des coupes sur les frais généraux et administratifs, et par la révision des recrutements futurs – les programmes en cours dans nos différents pays d’intervention ne seront pas impactés.
  • Un travail de fond pour changer les mentalités en profondeur, en renforçant les formations sur les questions de genre, la prévention et la protection, en direction de l’ensemble des membres d’Oxfam ou dans les recrutements.

Oxfam a aujourd’hui deux priorités : faire en sorte que de tels comportements soient bannis de notre organisation et pouvoir continuer à mener notre mission de lutte contre la pauvreté et notre action humanitaire auprès des personnes les plus vulnérables.

Oxfam : un travail essentiel qui doit se poursuivre

Oxfam est une association qui existe depuis plus de 75 ans et qui mène de nombreuses actions, qu’il s’agisse d’urgence humanitaire, de programme de développement, de plaidoyer ou de mobilisation. Ce scandale a pu ébranler la confiance que nous portent des milliers de personnes à travers le monde et nous nous excusons sincèrement d’avoir manqué de vigilance et de n’avoir pas pu protéger comme il se devait, des personnes vulnérables.

Renforcée par un plan d’action qui devrait empêcher que de tels abus ne se reproduisent, Oxfam poursuivra son travail de terrain et d’influence pour lutter contre les injustices qui engendrent la pauvreté.Ce scandale est un rappel fort, indispensable, de la nécessité de nous renforcer et de redoubler d’efforts pour être, en toutes circonstances, conformes à nos valeurs et à notre mission.

Nous sommes forts de près de 10 000 salarié-e-s dans le monde, et de plus de 110 000 bénévoles engagé.e.s. Nous soutenons plus de 20 millions de personnes chaque année et mobilisons des millions d’autres pour porter des solutions durables contre la pauvreté.

Les interventions sur le terrain témoignent de l’importance du travail que nous réalisons :

  • Au Yémen, crise qualifiée comme la pire crise humanitaire du monde par l’ONU, 76 % de la population a besoin d’une aide urgente. Depuis le début du conflit et à la veille de son 3ème anniversaire, nous avons apporté une aide à plus de 1,5 million de Yéménites, pour qui la vie reste un combat de tous les jours et les violences une menace constante.
  • En Syrie, après bientôt 7 ans de conflit, plus de 13,5 millions de personnes sont aujourd’hui affectées. Nous aidons plus de 2 millions de personnesdans la région, notamment dans les camps de réfugiés au Liban et en Jordanie.
  • Au Népal, après le tremblement de terre du 25 avril 2015, sur les trois premiers mois, Oxfam a fourni de l’eau potable, des kits d’hygiène, des toilettes, des abris d’urgence et de la nourriture à plus de 300 000 personnes parmi les plus pauvres du pays, sauvant ainsi de nombreuses vies.

La voix que nous portons en France et dans le monde est motrice de changements majeurs :

  • En 2012, suite à une campagne de plus d’un an, la taxe sur les transactions financières est instaurée en France, permettant d’apporter des fonds supplémentaires pour la solidarité internationale et la lutte contre le changement climatique. Ce sont plus de 500 millions d’euros qui sont ainsi alloués chaque année sur ces enjeux cruciaux.
  • En 2013, les Nations-Unies adoptent un traité contre le commerce des armes, après une campagne de près de 10 ans menée en lien avec nos partenaires en France et dans le monde entier.
  • En 2015, lors de la COP21, la France s’engage à augmenter d’ici 2020 de 2 milliards d’euros ses financements pour lutter contre le changement climatique, et en partie pour financer l’adaptation des pays les plus pauvres, une des demandes fortes d’Oxfam.

L’extrême pauvreté a diminué de moitié ces 15 dernières années. Nous pouvons l’éradiquer d’ici à 2030.

Les nombreux soutiens que nous avons reçus ces derniers jours, qui disent l’importance de continuer notre action, conjuguée à une nécessité renouvelée d’exemplarité de tous nos membres, nous ont aussi beaucoup touché.e.s. Nous espérons conserver la confiance que des milliers de personnes ont placée dans l’action d’Oxfam et de continuer à mobiliser le pouvoir citoyen contre la pauvreté.