Audrey Millet est docteure en Histoire et ès Lettres. Actuellement chercheure à l’université d’Oslo, elle travaille sur les écosystèmes de la mode et est membre du collectif Fashion Revolution. Auteur du « Livre noir de la mode », paru en mars 2021, elle répond à quelques-unes de nos questions sur la fast fashion, et les moyens de la révolutionner !

La fast-fashion, ça date de quand ?

« La mode rapide est en fait une conséquence simple du prêt à porter. Mais il faut chercher ses origines dans le XVIIème siècle et les conquêtes anglaises et françaises, celles du monde colonial. Pour envahir les pays, pour en faire des dominions, pour créer de nouvelles colonies, il fallait en fait habiller des soldats et habiller des milliers de marins. C’est à ce moment-là que la mode rapide a commencé à naître, celle qui n’est pas faite à la maison. »

Quels coûts humains derrière la fabrication de la fast fashion ?

« D’abord la fabrication. Nous avons un problème de teintures, qui vont abîmer les corps. Les corps des ouvriers, bien entendu, mais également les corps des consommateurs. On a aussi des problèmes sanitaires, des problèmes de sécurité, et des problèmes de salaire vital. »

Pour aller plus loin, lire notre article consacré aux impacts écologiques, sociaux et sanitaires de l’industrie de la mode.

Quels salaires dans la chaîne de production ?

« C’est formidable d’avoir un salaire minimum, sauf si ce salaire minimum ne permet pas de se nourrir, de se loger, de se laver et d’éduquer ses enfants. Le salaire minimum n’est pas vital en Asie du Sud-Est, mais on retrouve aussi ces problèmes là au cœur de l’Angleterre, à Leicester, avec des inégalités, des contrats à côté des contrats, du marché noir à 3€ de l’heure. »

La mode, source d’émancipation ou d’exploitation des femmes ?

« Les femmes sont, selon les statistiques, de plus grandes consommatrices de vêtements et de produits relevant des apparences. C’est tout de même formidable d’avoir le choix, et personne ne veut retourner à une époque durant laquelle on manquait. Mais le vêtement est aussi devenu, dès le début du XXème siècle, une obligation, une injonction à la beauté. Lorsque la femme est entrée dans la sphère publique, par exemple lorsqu’elle a eu le droit de vote, on lui a encore plus proposé des produits cosmétiques, des vêtements, des produits d’apparence. Donc si elle sort de chez elle, elle doit absolument être parfaite.

On a également d’autres problèmes, c’est que ce sont les femmes, les petites mains. Depuis le XVIIème siècle, lorsqu’on faisait le prêt à porter dans les arrière-cours puantes de Londres ou de Paris, ce sont des petites mains, des femmes, qu’on a mobilisées pour coudre, toute la journée, et qui étaient payées à la pièce.

Donc il y a bien un système d’exploitation et d’oppression. Une femme c’est pratique, on la paie à peine plus qu’un enfant, et surtout moins que les hommes. »

Le système de Sumangali

« On a des problématiques, des systèmes établis qui oppressent les femmes, mais surtout les jeunes filles. Je pense notamment au système du Sumangali. Ce système du Sumangali est développé en Asie du Sud-Est. Le but, c’est de proposer à de très jeunes filles, de 10 ou 11 ans, un contrat dans une industrie textile qui leur permet de récolter au bout de 3 ou 4 ans leur dot pour se marier. On leur fait miroiter un beau mariage, une belle situation et une belle union. Tout ça à des enfants d’à peu près 10 ou 11 ans. »

Alors comment faire la fashion revolution ?

« Pour révolutionner la mode, il faut révolutionner les comportements. Et pour révolutionner ces comportements, il faut aussi s’attaquer, modifier, transformer les règles du système. Les problèmes économiques, on le sait, sont systémiques. Ils sont profonds, ils relèvent des structures. Il faut donc limiter le néolibéralisme et la diffusion d’un capitalisme sauvage, celui qui ponctionne les ressources. On peut également révolutionner nos propres comportements.
Numéro 1 : Acheter moins, tout simplement. Redonner du sens à ses achats.
Numéro 2 : se renseigner sur la provenance de vêtements.
Numéro 3 : résister. Résister à cet achat compulsif. »

Quels changements opérer dans l’industrie de la mode ?

« Lorsque vous achetez un vêtement, vous devez savoir d’où il vient, par qui il a été fait, dans quelles conditions, et quels sont les produits qu’il contient. Il faut également s’interroger, et il est nécessaire de refaire le lien entre producteurs, agriculteurs et consommateurs. Renégocier une échelle locale, avec une échelle régionale, une échelle nationale, ce qui ne signifie pas mépriser l’échelle mondiale.
Il faut enfin prendre en compte tous ces points et avoir un comportement révolutionnaire, révolutionnaire doux et tendre, mais qui demande des comptes et exige de savoir ce que l’on porte, comment cela a été fait, et ce qui passe par les pores de notre peau. »

Pour aller plus loin

Découvrez notre décryptage complet, réalisé en partenariat avec le collectif Ethique sur l’Etiquette, sur la face cachée de la fast fashion, 8 ans après le drame du Rana Plaza.

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