Agrocarburants européens : les lobbys à l’assaut de Bruxelles

La bataille qui oppose lobby agro-industriel et la société civile bat son plein à Bruxelles. Il s'agit de décider si l'Europe continuera de soutenir les agrocarburants au détriment de la sécurité alimentaire des populations du Sud et de la lutte effective contre le changement climatique.
Le processus de décision est encore long : les Etats membres du Conseil européen devraient donner leur avis aujourd'hui sur la proposition que la Commission européenne a mise à l'agenda des négociations en Octobre 2012. Le Parlement se prononcera, à travers un rapport, avant le début de l'été. Enfin, Commission, Parlement et Conseil européens entameront les négociations pour aboutir à un accord. Il y a un mois, Marc-Olivier Herman, spécialiste des agrocarburants chez Oxfam, a participé à Bruxelles à une discussion réunissant ministres, députés européens, lobbyistes et ONG.

Mercredi 20 février, Parlement européen à Bruxelles. La salle de conférence est pleine à craquer. Plus un seul siège de libre derrière les rangées réservées aux membres des commissions Environnement et Industrie, qui travaillent sur la nouvelle législation européenne concernant les agrocarburants. Pour les assistant-e-s parlementaires, lobbyistes industriels et représentant-e-s des ONG arrivés en retard, pas d'autre choix que de passer les trois prochaines heures debout. Trois heures de présentations complexes et de débats experts, par des spécialistes ayant modélisé les impacts de la soif insatiable de l'Europe pour les agrocarburants sur l'utilisation des terres, les prix alimentaires et les émissions carbone.

Lutter contre le changement climatique

Leurs conclusions ? Pour lutter contre le changement climatique, il ne faut pas augmenter mais au contraire réduire la consommation d'agrocarburants. Pour éviter que les agrocarburants ne fassent concurrence aux cultures alimentaires et engendrent des hausses des prix agricoles, "la solution la plus simple est d'arrêter de subventionner et de rendre obligatoires les agrocarburants" a expliqué Ronald Steenblik, de la direction des Echanges et de l'Agriculture de l'OCDE. Si l'Europe se rangeait à son avis, cela permettrait d'allouer les milliards actuellement dépensés pour les agrocarburants de première génération à des politiques de transports réellement durables. En octobre dernier, la Commission a fait un timide pas dans la bonne direction en présentant une proposition visant à limiter à 5% le taux d'incorporation d'agrocarburants de première génération dans les carburants traditionnels d'ici 2020. Une simple (et incomplète1) mesure de bon sens pour quiconque un tant soit peu intéressé par la bonne gestion des ressources, mais de la folie pure aux yeux des représentants du secteur agro-industriel présents à cette discussion.

Pas d'inquiétude

Si l'Europe abandonne les agrocarburants, elle sera totalement asservie à la Russie de Poutine et à son pétrole, a prévenu Raffaello Garofalo du European Biodiesel Board. Et d'expliquer que même simplement mesurer les émissions carbone du aux changements d'affectation des sols est une mauvaise idée, parce que cela ternirait l'image du secteur. Par ailleurs, il n'y a pas lieu de s'inquiéter pour la sécurité alimentaire, les agrocarburants n'affament personne affirme e-Pure, le lobby européen de l'éthanol : en effet le secteur donne comme sous-produit de la nourriture pour bétail. "L'industrie européenne de l'éthanol remet approximativement autant de nourriture dans la chaîne alimentaire qu'elle n'en consomme" assure Thomas Gameson aux député-e-s. Le complexe processus de décision de l'UE nécessite qu'une majorité qualifiée au sein des Etats membres et du Parlement soient d'accords pour mettre en place une nouvelle législation. Deux jours plus tard, c'était au tour des ministres européens de l'Energie de se réunir à Bruxelles pour discuter de leurs positions sur la proposition de la Commission européenne concernant les agrocarburants. Oxfam et une large coalition d'organisations environnementales et de développement ont appelé les ministres à mettre fin aux politiques qui nuisent à la sécurité alimentaire mondiale et à la lutte contre le changement climatique en supprimant progressivement toute forme de soutien aux agrocarburants.

Lobby vs ONG et experts dans l'oreille des ministres

En écoutant les ministres détailler la position de leurs pays respectifs ce vendredi 22 février, il était clair que beaucoup d'entre eux avaient davantage prêté oreille au lobby agro-industriel qu'aux arguments des experts et des ONG. Heureusement, certains ministres ont pris position en faveur d'une politique plus durable. "Promouvoir des agrocarburants qui sont parfois plus chers que les carburants fossiles, qui ne permettent pas de baisser significativement nos émissions de gaz à effet de serre, voire en émettent plus que les carburants fossiles, tout cela me semble un terrible gaspillage d'argent et de nourriture." a ainsi déclaré Martin Lidegaard, le ministre danois.

Et après

Si nous nous réjouissions de la disparition des objectifs d'incorporation d'agrocarburants pour le secteur des transports dans la stratégie de l'Europe pour les énergies renouvelables pour après 2020, adoptée en décembre dernier, rien n'est encore gagné. Quant au futur immédiat, il est clair que le combat est loin d'être terminé : aucune décision n'a encore été prise pour les années qui nous séparent de 2020, et dans les semaines et mois qui viennent, Oxfam continuera son travail de plaidoyer pour rappeler aux décideurs européens le poids qu'ont leurs décisions sur les millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde.

Cet article est traduit et adapté d'un billet écrit par Marc-Olivier Herman