Késako des idées reçues sur l’agriculture familiale

2014 ! L'année internationale de l'agriculture familiale. Certes,  2014 est aussi l'année internationale de la cristallographie ou encore des petits États insulaires en développement. Mais, oh surprise, c’est l’agriculture qui a le plus inspiré Jean-Cyril Dagorn, notre chargé de plaidoyer sur la sécurité alimentaire – lui-même agriculteur – et qui l’a décidé à s’attaquer à quelques a priori tenaces.

L'agriculture familiale, c'est celle de mon papy avec ses deux vaches et son râteau

Oui et non. Nos grands-pères pratiquaient effectivement l'agriculture familiale. Mais l’agriculture familiale a plein d’autres visages. Aujourd’hui encore, en France, un nombre important d'exploitations agricoles – de la ferme bio à de grands champs cultivés avec des méthodes intensives – sont détenues et constituent la source principale de revenus d'une famille ou d’au moins un de ses membres. Au niveau mondial, c'est écrasant : on estime qu'1,3 milliard de personnes dans le monde travaillent sur une exploitation agricole familiale.

N’oubliez pas Papy, mais parlons plutôt d'agricultures familiales, au pluriel, qui varient en taille d'exploitation, en nombre de personnes qu'elles font vivre, en type de production, en niveau de mécanisation, en niveau d'intégration dans l'industrie agro-alimentaire, etc.

L'agriculture familiale ne peut pas nourrir le monde

En fait si. Et elle le fait déjà : on estime que 80% de la nourriture produite dans le monde vient de l’agriculture familiale. Il est vrai que les grandes initiatives internationales des Etats développés, des Nations unies et des entreprises multinationales ont une fâcheuse tendance à ne parler que du défi de l'augmentation de la production agricole pour lutter contre la faim, alors qu'on produit actuellement assez de nourriture pour que tout le monde mange à sa faim. Nourrir tous les habitants de la planète ce n’est pas qu’une question de quantité et de rendement, c’est avant tout un problème d’équité du système alimentaire mondial.

L'agriculture familiale est incapable d'innover, elle est vieille et poussiéreuse

Et pourquoi ne pas dire aussi, comme le chef d'Etat d'un pays développé, que nous ne citerons pas, que "Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, […] ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles […] Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin." ?

En fait, ce sont les innovations qui ne savent pas s'adapter aux agricultures familiales. La recherche agricole est dominée par les entreprises multinationales qui vendent des semences, des engrais et des produits phytosanitaires. Ces entreprises ignorent les agricultures paysannes alors que celles-ci passent leur temps à changer de techniques, de productions, de rythme en fonction des contraintes ou opportunités agronomiques, commerciales, climatiques…. Les agricultures familiales sont les mieux placées pour trouver progressivement un plan B face au changement climatique. Encore faudrait-il qu’elles soient soutenues, et que la recherche, notamment publique, soit enfin orientée pour nourrir le monde, et pas seulement les intérêts commerciaux de quelques-uns.

L'agriculture familiale n’arrive même pas à nourrir ses paysans, comment pourrait-elle être la solution ?

80% des personnes souffrant de la faim dans le monde vivent dans des régions rurales, et une bonne part d'entre elles vivent et travaillent sur une exploitation familiale. Mais regardons-y de plus près.

Les agriculteurs, et tout particulièrement les femmes, rencontrent des difficultés à accéder sur le long terme aux moyens de production (terres, eau, semences, intrants, équipement, financement etc.). Sans parler de la volatilité des prix agricoles, qu’ils subissent de plein fouet. Privés de visibilité à long terme, difficile pour eux d’avoir une gestion efficace de leur production.

Pourtant les petites paysannes et petits paysans restent des acteurs incontournables de la sécurité alimentaire mondiale. Impossible de prétendre lutter contre la faim sans s’appuyer sur eux : dans les pays en développement, ils sont environ un demi-milliard à exploiter des fermes de moins de 2 hectares, qui font vivre 1,5 milliard de personnes en produisant 80% de la nourriture…

C’est simple en fait : pas de paysans, pas de nourriture. Donc on n'éliminera pas la faim dans le monde sans soutenir ces paysannes et paysans en priorité. Ils ont la solution, mais ils ont besoin d’être soutenus.

L'agriculture familiale n'est pas capable d'investir pour développer l'agriculture de demain

Les bailleurs de fonds et le G8 souhaitent de plus en plus attirer les investisseurs privés pour résoudre la faim dans le monde. Ils semblent oublier que les agriculteurs familiaux sont les premiers investisseurs en agriculture. Ils investissent individuellement et collectivement de la main-d’œuvre, de la connaissance et des moyens pour améliorer les sols, les installations, les races animales, les variétés cultivées, etc. Mais ils investissement également par l'accumulation d'expériences et de connaissances pour former du capital humain et écologique.

La difficulté pour les paysannes et paysans du monde entier souffrent surtout de difficultés d'accès au crédit d'investissement. Les banques publiques ou privées rechignent à leur prêter des sommes trop petites sur du moyen ou long terme sans garanties matérielles ou financières. Elles proposent alors des taux d'intérêt rédhibitoires. Les Etats développés et en développement n'apportent que peu de soutien pour permettre aux agricultrices et agriculteurs, ainsi qu’aux organisations paysannes de mobiliser les financements dont ils ont besoin pour se développer. Pourtant, le retour sur investissement d'un euro misé sur l'agriculture familiale serait incomparable en termes de sécurité alimentaire.