La spéculation alimentaire ou le dangereux pari sur la faim

Alors que nous faisons face à une crise alimentaire mondiale sans précédent, le rapport annuel global sur les crises alimentaires paru en mai dernier mettait en exergue le nombre croissant de personnes connaissant des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë. En 2022, 258 millions de personnes, dispersées sur 58 territoires, souffraient de la faim.

Dans certains pays tels que ceux du Sahel, le prix des denrées alimentaires est une variable qui peut plonger un Etat dans la famine. Malheureusement, force est de constater que de nombreux facteurs affectent les prix et plus généralement participent à leur volatilité.  Et cela en particulier en période de crise, lorsqu’une guerre éclate ou qu’une tension sur la disponibilité des denrées survient. Un des facteurs majeurs de l’instabilité du cours des denrées alimentaires est le jeu de quelques acteurs financiers – des banques, des fonds d’investissements et des multinationales – qui en profitent alors pour accumuler plus de profits grâce à la spéculation alimentaire.

La spéculation alimentaire, qu’est-ce que c’est ? 

La spéculation, c’est une opération financière ou commerciale qui réalise une plus-value en anticipant les fluctuations du marché. En d’autres termes, cela correspond à des acteurs qui vont acheter des titres et les revendre plus tard, dans l’espoir que les prix aient augmenté et ainsi de réaliser des profits.

Quand on parle de spéculation alimentaire on fait référence à la spéculation qui se produit sur le marché alimentaire. L’opération est plutôt simple : il s’agit d’acheter du blé, du soja ou une autre denrée, attendre qu’augmente les prix, pour ensuite les revendre au moment opportun.

Très concrètement ca veut dire profiter qu’une crise crée le risque que les denrées deviennent rares, pour en acheter à ce moment-là, attendre que les prix augmentent et au moment opportun, revendre ces mêmes denrées pour gagner de l’argent.

La spéculation alimentaire, comment ça fonctionne ?

Un système gagnant-gagnant ?

Si la spéculation est possible, c’est grâce aux marchés financiers. A la base, spéculer sur les denrées est prévu pour garantir les prix de vente de ces denrées. En effet, la quantité de denrées disponibles est intimement liée aux variations de récoltes : le blé, le soja, ou toute autre céréale qui peut être abondante à une période de l’année et tendue à une autre, mais aussi dépendante des aléas climatiques. 

Les contrats à terme ont été créés pour pallier cette caractéristique. Il s’agit de contrats qui assurent à l’agriculteur·trice, le cours auquel son blé (par exemple) sera vendu une fois la récolte terminée, indépendamment des impacts que pourraient avoir les aléas climatiques sur cette dernière.  

Concrètement, les agriculteurs·trices achètent et vendent des céréales à l’avance, à des dates déterminées et dont les prix sont négociés en bourses. La bourse garantit l’exécution du contrat. Ainsi, les prix dépendent de la bourse et varient peu… en théorie.

Cette configuration sert les deux parties : les agriculteurs·trices et leurs coopératives savent en avance quelles quantités de céréales ils vendront et à quel prix et peuvent ainsi planifier leur culture. Les acquéreurs peuvent planifier et calculer leur production à raison des quantités et des prix assurés.  

L’insoutenable pari sur la faim

Ce système, qui paraît pourtant simple, est vulnérable car d’autres acteur·ice·s, externes au marché alimentaire, en profitent pour arriver sur le marché sans aucune intention véritable d’acquérir ou de vendre une denrée. Ils spéculent avec la seule intention de se servir du marché pour s’accaparer de la valeur et donc de réaliser un profit, en particulier en période de crise. 

En 2013, Oxfam France dénonçait déjà cette pratique exercée par les banques françaises dans un rapport intitulé : Réforme bancaire : ces banques françaises qui spéculent sur la faim et avait fait contrôler les engagements pris pour stopper leur activités spéculatives en 2015. 

Plus récemment, la guerre en Ukraine a profité aux spéculateurs. Un rapport de l’organisation Lighthouse a mis en lumière les énormes profits (1,5 milliard d’euros) réalisés par les 10 plus gros fonds à cause des tensions en denrées alimentaires provoquées par la guerre. 

Ces profits réalisés en pariant sur la faim (et qui contribuent à l’exacerber) doivent cesser et la spéculation nécessite d’être strictement encadrée. 

En France, cette instabilité provoque l’inflation des prix, dans une période déjà marquée par le manque de pouvoir d’achat. Dans les pays  affectés par la famine,  les conséquences peuvent être fatales. Rappelons qu’une personne meurt de faim toutes les 28 secondes dans la Corne de l’Afrique. Les Nations unies alertent également sur les conséquences de ces paris financiers. En 2022, à peine 62% des besoins de financements humanitaires estimés par l’ONU ont été comblés dans ces régions.

Comment lutter contre la spéculation alimentaire ?

Peut-on accepter que des personnes gagnent de l’argent en pariant sur la faim alors même que les fonds manquent  pour faire face à l’urgence absolue dans la région du Sahel ? 

Oxfam France souhaite que l’actuelle révision du cadre réglementaire pour les entreprises d’investissement et les opérateurs de marché (MIFID II et MIFIR) intègre des mesures fortes pour limiter la spéculation à la seule fin de couverture des risques et que cet encadrement ne participe pas à la volatilité des prix et à l’enrichissement sur la faim des acteurs extérieurs.