Zones à Faibles Émissions : un enjeu de santé et de justice sociale

Le sujet des Zones à Faibles Émissions (ZFE) devient de plus en plus important en France. Alors que de nombreuses agglomérations commencent à adopter cette mesure essentielle pour la qualité de l’air, des craintes émergent sur la capacité de tout le monde à s’y adapter.

Les ZFE : qu’est-ce que c’est ?

Une ZFE, ou Zone à Faible Émission, est une aire géographique où la circulation des véhicules les plus polluants est restreinte, voire interdite, dans le but de réduire la pollution de l’air. L’exclusion des véhicules se fait sur la base de leur niveau de pollution atmosphérique, catégorisé en France par les vignettes Crit’Air.

Expérimentées dans de nombreuses collectivités à travers le monde, les ZFE existent déjà dans certaines villes françaises, comme à Paris depuis juin 2021 ou à Strasbourg depuis janvier 2022. La Loi d’Orientation des Mobilités a rendu obligatoire les ZFE dès début 2023 dans une dizaine d’agglomérations (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse…), puis la Loi Climat et Résilience a élargi les ZFE à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants, portant le nombre de territoires qui seront concernés en 2025 à presque cinquante, soit environ 44% de la population française.

Mais les calendriers de mise en œuvre sont souples. A l’exception des agglomérations de Paris, Lyon et Marseille qui sont soumises à des obligations plus fortes en raison de leur fort niveau de pollution, les autres villes sont libres de définir les différentes étapes et dérogations de leur ZFE. Il est probable qu’en 2025, la majorité des agglomérations concernées se contente d’interdire les véhicules Crit’Air 5, soit moins de 2% du parc automobile national.

Les ZFE, un dispositif essentiel pour lutter contre la pollution de l’air

En 2023, la pollution fait des victimes chaque année

Entre 40 000 (1) et 100 000 personnes (2) meurent chaque année en France à cause de la pollution de l’air, et une partie importante de cette pollution est engendrée par les véhicules thermiques. 63% de la pollution à l’oxyde d’azote (NOx), qui tue plus de 3000 personnes par an rien qu’en Ile-de-France, est ainsi générée par les véhicules thermiques (3). De nombreuses maladies respiratoires, cardiovasculaires ou cancers sont favorisés par la pollution des véhicules thermiques, y compris des maladies chroniques comme l’asthme, en nette progression chez les enfants. L’Etat français a d’ailleurs été condamné par la Cour de Justice Européenne et par le Conseil d’Etat pour ne pas avoir suffisamment agi sur la pollution de l’air (4).

Les plus modestes sont les plus impactés par la pollution de l’air

Par ailleurs, la pollution de l’air touche en priorité les plus modestes. Que ce soit à Lille, à Lagos au Nigéria ou à Lahore au P akistan, les populations les plus précaires sont souvent les plus exposées à la pollution de l’air, par exemple parce qu’elles résident à proximité de grands axes routiers, ou parce qu’elles ont peu de moyens pour y échapper ou s’en protéger. A Paris, les populations les plus pauvres ont trois fois plus de chances de mourir d’un épisode de pollution que les plus riches, en raison d’une plus grande exposition à des facteurs de risque mais aussi d’une plus grande difficulté d’accès aux soins (5).

Les ZFE sont également une mesure positive pour le climat. Ces dernières favorisent le passage à des véhicules électriques ou thermiques de dernière génération, nettement moins émetteurs en gaz à effet de serre (GES). Elles constituent également une incitation pour les pouvoirs publics à développer davantage les transports en commun, et pour les citoyens à se reporter sur leur usage. Alors que les transports représentent environ 30% des émissions de GES et que 95% de ces émissions sont liées au transport routier selon le CITEPA, on comprend aisément l’apport des ZFE en matière d’action climatique.

La mise en place des ZFE doit être juste socialement

Malgré leurs bienfaits écologiques et de santé publique, les ZFE, qui entrent en vigueur prochainement  dans quelques agglomérations, font craindre à certain.e.s Français.e.s de ne pas pouvoir s’adapter à temps et donc de se voir exclu.e.s de ces zones. Si la vitesse du calendrier des restrictions est souvent surestimée et que plusieurs agglomérations prévoient des dérogations (par exemple quelques jours par an autorisés comme à Strasbourg et Toulouse, ou des dispositions spéciales réservées aux professionnels), les inquiétudes sont compréhensibles dans la mesure où les politiques d’accompagnement sont insuffisantes. 

Depuis 2015, plus de 1100 km de lignes ferroviaires du quotidien ont été abandonnées et 40% de ce réseau est menacé de fermeture faute d’investissements (6). Quant à l’acquisition de véhicules peu polluants, elle reste très chère. Au premier semestre 2022, le reste à charge des ménages et entreprises bénéficiant d’aides pour l’achat d’un véhicule électrique était supérieur à 20 000 euros (7). On estime ainsi qu’environ 13 millions de Français.e.s sont en situation de “précarité mobilité” (8), totalement dépendantes de leur voiture ou ne disposant pas de moyen de transport régulier.

Par ailleurs, ce sont les plus modestes qui sont les plus exposés à la mise en œuvre des ZFE. 38 % des ménages les plus pauvres ont un véhicule classé Crit’Air 4 ou 5, qui sont les premiers concernés par les restrictions des ZFE, alors que seulement 10 % des ménages les plus riches en possèdent (9). Sachant qu’en 2022, parmi les foyers à bas revenus (moins de 1 200 euros net par mois), 67 % se sont déclarés fragilisés par les frais de transports (10). Moins armés financièrement pour s’adapter, les plus précaires risquent donc d’être les plus touchés par les ZFE si des mesures plus ambitieuses ne sont pas prises pour les accompagner.

Les mesures d’accompagnement des citoyen.ne.s doivent être renforcées

D’importantes mesures structurelles sont nécessaires pour changer les mobilités. Les pouvoirs publics (Etat, collectivités) doivent réhabiliter et développer les infrastructures de transports en commun. La filière automobile française, qui se concentre beaucoup trop sur les véhicules lourds et haut-de-gamme à la fois coûteux et néfastes pour le climat, doit se réorienter vers la production de modèles plus légers et abordables. L’Etat doit jouer son rôle pour accélérer cette transition.

Par ailleurs, le soutien pour l’achat ou la location de véhicules propres par les particuliers doit être amélioré. Aujourd’hui, des mesures de soutien existent, telles que la prime à la conversion, le bonus écologique ou encore l’expérimentation depuis janvier 2023 d’un prêt à taux zéro (PTZ) pour l’achat ou la location longue durée d’un véhicule propre dans les agglomérations les plus polluées. De même, certaines mesures prévoient un soutien spécifique aux plus fragiles, comme le PTZ ou un bonus écologique porté à 7000€ pour les plus modestes. Pour autant, ces accompagnements demeurent trop limités au regard du prix moyen des véhicules électriques en France.

Les recommandations d’Oxfam pour une mise en oeuvre juste des Zones à Faibles Émissions

Oxfam recommande à ce titre plusieurs mesures :

  • Investir au moins 3 milliards d’euros par an dans le secteur ferroviaire, avec en priorité la réhabilitation des petites lignes du quotidien et le déploiement de RER métropolitains.
  • Flécher au moins 1 milliard d’euros annuels vers les transports en commun et le vélo : bus à haut niveau de service, parking-relais multimodaux, plan vélo (dont la création de pistes cyclables sécurisées continues pour désenclaver les territoires).
  • Favoriser l’adoption des pratiques de mobilités douces et partagées, notamment en rendant obligatoire le Forfait Mobilités Durables et en expérimentant un ticket climat permettant un accès complet et abordable aux mobilités partagées du territoire.
  • Augmenter et harmoniser les soutiens financiers à l’acquisition de véhicules à faibles émissions, en facilitant également le rétrofit (changement d’un moteur thermique pour un moteur électrique).
  • Soutenir spécifiquement les plus modestes pour réduire l’avance des frais et le reste à charge, en généralisant par exemple les prêts à taux zéro et en instaurant une “super-prime à la conversion” pour les ménages défavorisés.
  • Réorienter la filière automobile française pour qu’elle se concentre sur la production de véhicules légers, sobres et électriques plus écologiques et financièrement accessibles, notamment en renforçant le malus poids sur les véhicules.

Sources :

(1) https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/pollution-de-l-air-ambiant-nouvelles-estimations-de-son-impact-sur-la-sante-des-francais

(2) https://www.hsph.harvard.edu/c-change/news/fossil-fuel-air-pollution-responsible-for-1-in-5-deaths-worldwide/

(3) https://www.citepa.org/app/uploads/publications/secten/Citepa_Secten-2019_Rapport_Completv3.pdf

(4) https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/10/17/pollution-de-l-air-l-etat-de-nouveau-condamne-par-le-conseil-d-etat-qui-lui-inflige-une-amende-record-de-20-millions-d-euros_6146153_3244.html

(5) https://www.unicef.fr/article/pollution-de-lair-et-pauvrete-des-enfants-de-linjustice-sociale-dans-lair/

(6) https://www.autorite-transports.fr/app/uploads/2021/01/chiffres-cles-du-marche-de-transport-ferroviaire-2019.pdf

(7) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/developpement-durable/missions-de-la-commission/zfem

(8) https://www.fnh.org/13-3-millions-de-francais-en-precarite-mobilite/

(9) https://villes-cyclables.org/ressources/les-actualites/la-nouvelle-enquete-mobilite-des-personnes-de-l-insee#:~:text=Le%20Minist%C3%A8re%20de%20la%20transition,de%208%25%20%C3%A0%209%25

(10) https://www.secourspopulaire.fr/16e-barometre-de-la-pauvrete-ipsos-secours-populaire-0