Agrocarburants – La position catastrophique du gouvernement français annihile tout espoir de réforme ambitieuse au niveau européen

En soutenant bec et ongles les intérêts des lobbies agro-industriels, la France bloque l'ensemble du processus de réforme des politiques de soutien aux agrocarburants au niveau européen. La lutte contre le dérèglement climatique et la faim dans le monde ne semble pas constituer des priorités pour le gouvernement français qui choisit de revenir sur ses engagements pour soutenir l'agro-industrie, quel qu'en soit le coût social et environnemental.

Après la Commission et le Parlement européen, c'est désormais au tour du Conseil de se positionner sur le projet de réforme des politiques européennes de soutien aux agrocarburants. Le 12 décembre prochain, un vote en Conseil Energie fixera la position officielle des Etats membres. L'ultime réunion de préparation de ce Conseil, vendredi 29 novembre à Bruxelles, doit permettre de finaliser la position commune : si elle était adoptée en l'état, la proposition actuellement défendue par la présidence lituanienne, et soutenue par la France, ruinerait les efforts consentis depuis un an par l'ensemble des parties prenantes.

Pourtant, le consensus scientifique est unanime : ces politiques aggravent le dérèglement climatique, entrainent des phénomènes de déforestation et d'accaparement des terres, et mettent en péril le droit à l'alimentation de centaines de millions de personnes vulnérables dans le monde. Jean Ziegler, rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation auprès des Nations unies entre 2000 et 2008, rappelle encore ces impacts désastreux dans une tribune parue aujourd'hui, allant même jusqu'à affirmer que "brûler des centaines de millions de tonnes d'aliments de première nécessité pour la production d'agrocarburants est un crime contre l'humanité".

En septembre 2012, le gouvernement Ayrault, reconnaissant l'impact des politiques de soutien aux agrocarburants sur la volatilité des prix alimentaires et la faim dans le monde, avait pourtant annoncé une pause dans le développement des agrocarburants en France, et mis en avant sa volonté de pousser ses partenaires européens dans cette voie. Aujourd'hui, Stéphane Le Foll et Jean-Marc Ayrault renient leurs engagements et défendent une politique incohérente de croissance des marchés européens en matière d'agrocarburants.

En matière de lutte contre les changements climatiques, le manque de volonté politique de la France est tout aussi dramatique. Alors que le gouvernement français accueillera la conférence des Nations unies sur le climat en 2015 et veut se montrer exemplaire sur ce dossier, il envoie aujourd'hui un signal très négatif à l'ensemble de ses partenaires internationaux. A Bruxelles, la France met tout en œuvre pour que les émissions de gaz à effet de serre liées au changement d'affectation des sols indirect (CASI) des agrocarburants ne soient pas réellement prises en compte, et pour que les agrocarburants, plus polluants que les carburants fossiles, puissent continuer à bénéficier d'un soutien politique et financier considérable . Pire, en ne s'opposant pas à la proposition britannique visant à revoir à la baisse les objectifs globaux d'incorporation d'énergies renouvelables en Europe à l'horizon 2020, c'est l'ensemble du paquet énergie-climat qui est aujourd'hui ébranlé.

Au final, ce sont bien les conflits d'intérêts entre pouvoirs politiques et pouvoirs économiques qui bloquent aujourd'hui toute ambition de réforme de la France. Xavier Beulin, le président de Sofiproteol qui occupe aujourd'hui une place de quasi monopole sur la production du biodiesel en France, est également président du syndicat agricole majoritaire FNSEA. Sa capacité d'influence auprès du Ministère de l'agriculture, dans un contexte politique délétère lié aux débats sur l'écotaxe, lui permet encore une fois de tirer son épingle du jeu, aux dépends de la lutte contre le dérèglement climatique et des centaines de millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde [1]. Face aux mises en garde récurrentes des scientifiques, des organisations internationales et de la société civile, le gouvernement ne doit pas laisser la main au seul ministère de l'Agriculture, qui cède systématiquement aux exigences économiques et financières de Sofiproteol.

Communiqué commun : Oxfam France, Réseau Action climat – France, Peuples solidaires Action Aid France, Confédération paysanne

Contact

Oxfam France : Magali Rubino 06 30 46 66 04 / mrubino@oxfamfrance.org
RAC France : Simon Coquillaud 01 48 58 83 92 / simon@rac-f.org
Peuples solidaires Action Aid France : Katia Roux 01 48 58 21 85 / 06 72 32 18 24 / k.roux@peuples-solidaires.org
Confédération paysanne : Georges Baroni 06 45 75 01 83

Notes aux rédactions

[1] En renouvelant fin 2012 les agréments permettant aux entreprises productrices d'agrocarburants de continuer à bénéficier d'une niche fiscale jusqu'à fin 2015, le gouvernement Ayrault a fait un cadeau fiscal d'environs 80 millions d'euros à la filière du biodiesel pour la seule année 2013. Le groupe Sofiprotéol capterait, à lui seul, 50 millions d'euros, soit plus de 60% de cet énorme cadeau fiscal.

Le taux d'incorporation d'agrocarburants atteint en moyenne au sein de l'Union européenne dans les carburants traditionnels est actuellement de 4,8%. La France défend la mise en place d'un plafond d'incorporation à 7%. D'après les estimations des ONG, ce sont 69 millions de personnes supplémentaires par an qui pourraient être convenablement nourries si le taux d'incorporation restait à son niveau actuel.

Début 2012 la Cour des comptes montrait que, sur la période 2005-2010, les producteurs français d'agrocarburants avaient reçu 2,65 milliards d'euros de l'Etat du fait de la défiscalisation partielle dont bénéficie leur production, dont 1,8 milliards d'euros uniquement destinés aux producteurs de biodiesel. Sur la même période, les producteurs de biodiesel auraient réalisé des investissements à hauteur de 500 millions d'euros. En seulement 5 ans, ces investissements productifs ont donc été remboursés près de 4 fois par les contribuables français.