Areva au Niger : A qui profite l’uranium ?

L’Etat du Niger, l’un des plus pauvres au monde, et AREVA, l’un des leaders de l’énergie nucléaire et fer de lance de la diplomatie économique de la France, se sont engagés depuis plusieurs mois dans la renégociation du contrat d’exploitation de l’uranium nigérien, qui arrive à échéance le 31 décembre 2013.

Dans une note d’information sur les conventions minières liant AREVA et le Niger, Oxfam et l’association nigérienne ROTAB, membres de la coalition ’Publiez Ce Que Vous Payez’, dénoncent l’opacité et les pressions qui entourent cette renégociation.

Les organisations dénoncent également un régime fiscal plus qu’accommodant pour la multinationale qui exploite depuis plus de 40 ans l’uranium nigérien, représentant près de 40% de son approvisionnement mondial.

Les deux filiales d’AREVA au Niger, la Somaïr et la Cominak, bénéficient en effet de nombreux avantages fiscaux : exemptions sur les droits de douane, exonérations de TVA ou encore une exonération sur les taxes sur les carburants, qu’elles utilisent pourtant en grande quantité. Une "provision pour reconstitution de gisement" leur permet également de mettre de côté 20% de leurs bénéfices, qui échappent ainsi à l’impôt sur les sociétés.

En 2010, les deux filiales avaient extrait un total de 114 346 tonnes d’uranium au Niger, représentant une valeur d’exportation de 2 300 milliards de francs CFA (plus de 3,5 milliards d’euros). Sur cette somme, le Niger n’aurait touché que 300 milliards de Francs CFA (environ 459 millions d’euros), soit 13% de cette valeur exportée [2].

"Il est incompréhensible que le Niger, 4ème producteur d’uranium au monde, et fournisseur stratégique d’Areva et de la France, ne tire pas davantage de revenus de cette exploitation et reste l’un des pays les plus pauvres de la planète. Les négociations en cours représentent une occasion historique pour le Niger d’obtenir de meilleures conditions pour l’exploitation de ses ressources, y compris de plus grandes retombées financières", souligne Anne-Sophie Simpere d’Oxfam France, auteure de cette recherche.

"En France, une ampoule sur trois est éclairée grâce à l’uranium nigérien. Au Niger, près de 90% de la population n’a pas accès à l’électricité. Cette situation ne peut plus durer. La France doit prouver que le temps des contrats secrets, des négociations opaques et des pressions sont finies. Les pays africains doivent pouvoir compter sur des revenus équitables pour l’exploitation de leurs ressources par des entreprises françaises", rappelle Ali Idrissa, coordinateur national du ROTAB – Publiez Ce Que Vous Payez Niger.

Le Niger a besoin de revenus supplémentaires pour faire face aux crises alimentaires récurrentes, pour assurer la survie d’un système d’accès gratuit aux soins menacé, investir dans l’éducation, l’agriculture, et faire face à une situation sécuritaire dégradée [3]. Le prochain contrat entre AREVA et le Niger doit permettre de faire augmenter les recettes fiscales de ce pays très dépendant de l’aide publique au développement, qui peut représenter jusqu’à 40% de son budget.

"Malheureusement, Areva n’a à ce jour pas donné suite à nos multiples demandes de rendez-vous. Il est extrêmement difficile d’avoir accès aux chiffres de l’exploitation de l’uranium au Niger et de l’imposition des activités d’Areva sur place. Areva clame que 70% de la valeur de l’uranium revient à l’Etat du Niger. Mais le gouvernement du Niger et la société civile nigérienne jugent ce partenariat déséquilibré : l’uranium représentait 70,8% des exportations du pays en 2010, et seulement 5,8% du PIB", ajoute Anne-Sophie Simpere.

Pourtant, la pression pour augmenter les revenus et la transparence des industries extractives est aujourd’hui mondiale et la France affirme vouloir être exemplaire en la matière.

Le gouvernement a soutenu la nouvelle obligation de reporting pays par pays des entreprises minières dans les Directives européennes votées en juin dernier, à la suite de la loi Dodd-Franck qui instaure ce principe aux Etats-Unis. La France a également contribué à hauteur de 10 millions de dollars au nouveau Trust Fund de la Banque mondiale qui vise à aider les Etats Africains à négocier leurs contrats dans les industries extractives.

Le Ministre du développement Pascal Canfin a lui-même affirmé en septembre dernier que la France devait se montrer "exemplaire" dans les négociations des nouveaux contrats d’AREVA [4]. Pourtant, tout indique que le contrat d’AREVA se renégocie en toute opacité. Aucune information n’est disponible : même les conclusions de l’audit externe de la Somaïr et la Cominak rendu en octobre dernier, et qui doit servir de base à la renégociation, n’ont pas été communiquées.

"La France, actionnaire à plus de 80% d’AREVA, a un rôle essentiel à jouer à ce titre : elle doit garantir la transparence et l’équité de cette renégociation. Les jours sont comptés.", conclut Anne-Sophie Simpere.

Recommandations

Le ROTAB demande au gouvernement du Niger :

  • De permettre que les termes des nouvelles conventions de la SOMAÏR et la COMINAK fassent l’objet d’un débat au Parlement, avant leur signature ;
  • D’exiger, en tant qu’actionnaire de la SOMAÏR et de la COMINAK, la publication de l’audit des sociétés, afin d’assurer que tous les éléments de la négociation sont transparents et accessibles ;
  • D’impliquer les services techniques du Ministère des Mines, de la Direction Générale des Impôts et de la Direction Grandes Entreprises, des services de Douanes et du Ministère de l’Environnement dans toutes les phases de la négociation ;
  • De faire respecter les dispositions du Code minier de 2006 et toutes les législations en vigueur au Niger.

Oxfam France demande au gouvernement français :

  • D’exiger d’AREVA, en tant qu’actionnaire de la SOMAÏR et de la COMINAK, la publication de l’audit des sociétés, afin d’assurer que tous les éléments de la négociation sont transparents et accessibles ;
  • De n’exercer aucune pression sur le gouvernement du Niger pour obtenir des dérogations à la loi minière de 2006, des exemptions fiscales, ou toute dérogation à la législation nigérienne en faveur d’AREVA, qui réduiraient les retombées financières pour le Niger ;
  • De s’assurer que les négociations, à toutes les étapes, se déroulent dans la plus grande transparence.

Logo UECe communiqué a été réalisé avec l’aide de l’Union européenne. Le contenu de cette publication relève de la seule responsabilité d’Oxfam France et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union européenne.


Contact

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Responsable des relations média
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Notes aux rédactions

Des membres du ROTAB (Réseau des Organisations pour la Transparence et l’Analyse Budgétaire) au Niger sont disponibles par téléphone ou par vidéo conférence pour des interviews.

[1] La note d’Oxfam et du ROTAB est disponible en PDF sur demande et sera publiée sur le site d’Oxfam France vendredi 22 novembre : www.oxfamfrance.org

[2] Depuis 2006, des chiffres sont disponibles sur les recettes de l’uranium perçues par l’Etat du Niger grâce à la mise en place de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). Les données sont publiées avec deux ans de retard, mais elles permettent d’avoir un aperçu des sommes en jeu.

Sur le seul 1er trimestre 2013, Areva a généré un chiffre d’affaire consolidé de 2,279 milliards d’euros, soit plus que le budget annuel total du Niger (environ 2 milliards d’euros). Au 3ème trimestre 2013, son chiffre d’affaire s’élève à 6,8 milliards d’euros, en hausse par rapport à 2012 et son carnet de commande atteint 42 milliards d’euros (soit 21 ans de budget du Niger). En 2012, le chiffre d’affaire total du groupe dépassait les 9 milliards d’euros et ses activités minières ont généré un chiffre d’affaire de 1,36 milliards d’euros, en hausse de 5,5% par rapport à l’année précédente.

[3] Le Niger est l’un des Etats les plus pauvres du monde. Avec plus de 60% de la population vivant avec moins de 1$ par jour, le pays se place au dernier rang du classement de l’indice de développement humain des Nations unies.

[4] Le récent rapport du Sénat sur la présence française en Afrique "encourage la France à faire en sorte que les entreprises françaises du secteur, notamment celles dans lesquelles l’État français a une participation -telles que AREVA ou TOTAL- soient exemplaires en matière de transparence et de responsabilité environnementale et sociale" et recommande d’aller plus loin en faisant "la démonstration que les entreprises françaises sont des partenaires fiables et respectueux des intérêts de long terme des pays africains".