Ce jeudi 19 novembre, le Conseil d’État a rendu une décision historique [1] dans le cadre du recours juridique de la commune de Grande-Synthe, dans lequel les quatre organisations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France) interviennent. Cette décision marque une avancée décisive face à l’inaction climatique de l’État : les objectifs climatiques de la France et la trajectoire pour y parvenir deviennent contraignants. L’État français a trois mois désormais pour démontrer à la fois la crédibilité de la trajectoire annoncée et si les moyens qu’il a mis en place sont à la hauteur de ses engagements.

Pour les organisations de l’Affaire du Siècle, intervenantes dans le dossier : « La décision du Conseil d’État rebat les cartes de la politique climatique de la France. En effet, en affirmant le caractère contraignant des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre contenus dans la loi [2], la plus haute juridiction administrative met l’État face à ses responsabilités dans la crise climatique. C’est une véritable révolution en droit : les lois programmatiques sur le climat ont jusqu’ici été considérées par les gouvernements et parlements successifs comme de vagues promesses. Elles font désormais peser sur l’État une obligation de résultat, et l’engagent à mettre en œuvre des mesures concrètes et efficaces pour atteindre ces objectifs. »

En quoi cette décision est-elle historique ?

1) La loi de programmation qui fixe les objectifs climatiques de la France n’est plus une vague promesse, elle oblige. Le « droit mou » devient du « droit dur ».

2) Le Conseil d’État, qui souligne le caractère a priori peu crédible de la trajectoire annoncée par le gouvernement, lui demande donc de rendre des comptes, effectuant ainsi, à la barre du tribunal, un véritable travail d’évaluation de politique publique. Ce travail pourrait déboucher non seulement sur un jugement, mais aussi sur une injonction d’adopter des actions de nature à atteindre l’objectif fixé.

3) Le Conseil d’État procède à cette évaluation avant même que l’on soit au terme fixé par la trajectoire. Il reconnaît ainsi que les objectifs de 2030, 2050 ou 2100 se construisent dès maintenant.

4) La décision est porteuse de changements concrets pour les opérateurs privés et publics : si à la suite de l’évaluation, le Conseil d’État estime que les actions sont insuffisantes, il pourra enjoindre l’État à agir. Cela peut se traduire notamment par de nouvelles réglementations, des mesures incitatives ou des mesures contraignantes.

La France loin de la trajectoire nécessaire pour atteindre ses objectifs climat

Les organisations de L’Affaire du Siècle ainsi que le Haut conseil pour le climat ont déjà souligné à plusieurs reprises que les trajectoires n’étaient pas crédibles et les actions de l’État insuffisantes.

Entre 2015 et 2018 : le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre a été quasiment deux fois plus lent que ce que la France aurait dû faire pour être sur la bonne trajectoire, suffisante et efficace, pour atteindre l’objectif de 40% de baisse des rejets de gaz à effet de serre en 2030 (-1,1% par an au lieu de -1,9%).

Le premier budget carbone n’a pas été respecté, ni globalement ni sectoriellement pour les quatre principaux secteurs qui représentent plus de 85 % des émissions (transport, bâtiment, énergie et agriculture). La relève des budgets carbone 2019-2023 [3] dans les décrets Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) est directement contraire à une recommandation explicite du Haut conseil pour le climat [4].

La Commission européenne a d’ailleurs épinglé la France en septembre 2020, estimant qu’avec les mesures existantes, la France devrait manquer son objectif de baisse des gaz à effet de serre à 2030 de 11 points de pourcentage [5].

Des manquements que le Conseil d’Etat a lui aussi notés et soulignés dans son arrêt.

Quelle suite pour l’Affaire du Siècle ?

La prochaine décision à venir sur le recours de Grande-Synthe au Conseil d’État (en mars 2021, suite à l’évaluation menée sur les engagements de l’État) est fondamentale et déterminerait une potentielle victoire aussi pour l’Affaire du Siècle. En effet, le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative française et l’État n’a donc aucun recours contre ses décisions.

Cette décision obligerait le Tribunal administratif à donner raison à l’Affaire du Siècle, a minima sur une partie de ses arguments. Mais surtout, l’Affaire du Siècle donnera la possibilité à la justice de préciser davantage la nature et l’étendue de la responsabilité de l’État.

Le Tribunal administratif pourrait ainsi reconnaître un Principe général du droit, celui du droit à un système climatique soutenable et face à ce droit, l’obligation d’agir. Il s’agirait alors non plus d’une décision ponctuelle, mais d’une obligation générale qui s’imposera également au législateur et aux autorités administratives. De même, alors que le Conseil d’État a écarté les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, nous défendons l’idée que les droits climatiques doivent être reconnus comme étant des droits fondamentaux. Nous demandons également à la justice de reconnaître que le préjudice écologique peut bien s’appliquer à l’État.

Enfin, l’Affaire du Siècle pourrait permettre de faire reconnaître des carences spécifiques de l’État, en particulier sur les objectifs sectoriels, par exemple sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les transports, etc.

Dans les trois prochains mois, l’Affaire du Siècle va faire appel à des experts pour déposer un nouveau mémoire démontrant l’inaction climatique de l’État, continuant ainsi à soutenir le dossier de Grande-Synthe pour obtenir qu’une injonction à agir soit prononcée à l’issue de cette nouvelle période d’instruction.

Notes aux rédactions :

[1] la décision du Conseil d’État
[2] article 100-4 du code de l’énergie, suite à l’adoption de la loi pour la Transition énergétique et la croissance verte : “réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050.”
[3] les décrets 2020 ont relevé les plafonds de 398 Mt CO2eq à 422 Mt CO2eq.
[4] “Nous recommandons que le niveau du deuxième budget carbone présenté dans
ce projet soit revu à la baisse, en cohérence avec la trajectoire à long-terme et les dernières données sur les émissions nationales” – rapport annuel 2019
[5] “Avec les mesures existantes, la France manquerait de 11 points de pourcentage en 2030.” – évaluation détaillée des plans énergie-climat des États membres