Une nouvelle analyse d’Oxfam et de Development Finance International (DFI) révèle que la majorité des pays du monde ne sont pas en mesure de faire face à la pandémie de COVID-19 en raison du très faible niveau de leurs dépenses en santé publique, de la faiblesse de leurs filets de sécurité sociale et de droits du travail insuffisants.

L’indice de l’Engagement à la réduction des inégalités (ERI) classe 158 États en fonction de leurs politiques en matière de services publics, de fiscalité et de droits du travail, trois domaines essentiels pour réduire les inégalités et résister à la crise du coronavirus

Oxfam montre que seuls 26 pays sur 158 consacraient avant la pandémie la part recommandée de dédier 15 % de leur budget à la santé. Par ailleurs, dans 103 pays, au moins un-e travailleur/travailleuse sur trois ne se voyait pas garantir ses droits fondamentaux ou de protection en matière de travail, tels que des congés de maladie payés.

Selon Robin Guittard, porte-parole d’Oxfam France :

« L’urgence de lutter contre les inégalités s’est terriblement accentuée avec la pandémie de coronavirus. La réponse des Etats et de la communauté internationale est cruciale pour les enrayer et ne pas faire porter le poids de cette crise sur les gens ordinaires et les pays les plus pauvres. Il est fondamental que les pays riches, dont la France, orientent massivement leur aide au développement vers les services sociaux de base dans les pays les plus pauvres, et favorisent les annulations de dettes devenues urgentes pour dégager les ressources nécessaires à leur financement pérenne. Les gouvernements doivent aussi considérablement renforcer les mesures de lutte contre l’évasion fiscale qui font perdre chaque année 86 milliards de dollars aux pays en développement. Autant d’argent qui manque cruellement pour financer des services publics qui se révèlent aujourd’hui primordiaux face à la pandémie. »

« Depuis le début de pandémie, la France est fortement mobilisée dans la réponse internationale. L’indice ERI souligne à quel point celle-ci doit intégrer l’enjeu de réduction des inégalités au risque sinon d’être largement inopérante pour le plus grand nombre. Une manière concrète d’agir serait de rapidement adopter le projet de loi de programmation relatif à la lutte contre les inégalités mondiales et garantir que la majorité de l’aide internationale française soit à destination des populations les plus vulnérables et des secteurs ayant le plus grand impact sur les inégalités. »

L’indice ERI souligne qu’aucun pays au monde n’en faisait assez pour lutter contre les inégalités avant la pandémie de COVID-19. Bien que cette crise ait servi de signal d’alarme pour certains, de nombreux pays n’agissent toujours pas pour réduire les inégalités. Cette inaction contribue à alimenter la crise et accroît la vulnérabilité des personnes vivant dans la pauvreté, en particulier les femmes. Par exemple :

  • Les États-Unis se classent au dernier rang des pays riches du G7 et sont à la traîne de 17 pays à faible revenu comme la Sierra Leone et le Libéria en matière de droit du travail en raison de leurs politiques antisyndicales et d’un salaire minimum moyen très bas. L’administration Trump n’a accordé qu’une aide temporaire aux travailleurs et travailleuses précaires avec son plan de relance d’avril, après avoir réduit de façon permanente les impôts au profit des entreprises et des plus riches en 2017. Les résultats de l’indice ERI renforcent les préoccupations plus générales d’Oxfam, qui craint que la pandémie n’aboutisse à un système de santé qui exclut des millions de personnes vivant dans la pauvreté, principalement les communautés afro-américaines et latinos au sens large – par exemple, seul un foyer noir sur dix dispose d’une assurance maladie, contre sept foyers blancs sur dix.
  • L’Afrique de l’Ouest qui connaît un essor économique impressionnant depuis 20 ans est aussi la région du continent africain où les gouvernements sont les moins engagés à réduire les inégalités. En conséquence, cette croissance économique ne profite qu’à une toute petite minorité. La richesse cumulée des cinq Nigérians les plus riches s’élève à 29,9 milliards de dollars, plus que l’intégralité du budget du pays en 2017. Pourtant, 60% de la population au Nigeria vit avec moins 1,25 dollar par jour, le seuil absolu de l’extrême pauvreté.
  • Au Sahel plus spécifiquement, les inégalités alimentent dangereusement un fort sentiment d’injustice et de défiance des populations envers les gouvernants. Un terreau idéal aux crises multiples que vit la région. Au Mali à peine 3 à 4% des enfants de pasteurs nomades sont scolarisés. Les gouvernements sahéliens et la communauté internationale devraient bien plus intégrer la réduction des inégalités dans les réponses qu’ils prétendent apporter aux crises du Sahel, et ainsi traiter les causes et pas seulement les conséquences des problèmes de la région. La question des inégalités devrait être au cœur du débat public, et les prochaines élections au Niger et au Burkina Faso en sont notamment l’occasion.
  • Depuis le début de la pandémie, le Bangladesh, qui n’est classé qu’au 113ème rang de l’indice ERI, a fait d’importants efforts, notamment en dépensant 11 millions de dollars en primes pour les travailleurs et travailleuses de la santé en première ligne, dont la plupart sont des femmes. Le Myanmar et le Bangladesh ont tous deux intégré plus de 20 millions de personnes dans leurs régimes de protection sociale respectifs.
  • Certains pays avaient commencé à prendre des mesures positives avant le début de la pandémie : la Corée du Sud a augmenté son salaire minimum, le Botswana, le Costa Rica et la Thaïlande ont augmenté leurs dépenses de santé, et la Nouvelle-Zélande a mis en place un budget « bien-être » pour s’attaquer à des problèmes tels que la pauvreté et les inégalités chez les enfants. En revanche, de nombreux pays ont peu progressé dans la lutte contre les inégalités, et certains accusent même un recul. En effet, beaucoup de pays figurant dans les premiers rangs de l’indice ERI, tels que l’Allemagne, le Danemark, la France et le Royaume-Uni, ont fait marche arrière en matière de réduction des inégalités, notamment en ce qui concerne les mesures d’imposition progressive.

Les femmes, qui ont généralement des salaires moins élevés, font moins d’économies et occupent des emplois précaires, ont été particulièrement touchées par les mesures de confinement mises en place en réponse à la pandémie, tandis que le travail de soin non rémunéré et les violences fondées sur le genre ont augmenté de façon spectaculaire. Près de la moitié des pays du monde n’ont pas de législation adéquate sur les agressions sexuelles et dix pays, dont Singapour et la Sierra Leone, n’ont pas de lois sur l’égalité salariale ou sur la discrimination fondée sur le genre.

« Les inégalités extrêmes ne sont pas inévitables. Nous savons que certaines politiques, telles que la gratuité des soins de santé publics, la mise en place de filets de sécurité sociale pour les personnes qui ne peuvent pas travailler, des salaires décents et un système fiscal équitable, ont fait leurs preuves dans la lutte contre les inégalités. Le fait de ne pas mettre en œuvre de telles mesures est un choix politique – un choix que la pandémie de COVID-19 a exposé, avec des coûts économiques et humains catastrophiques.

Les gouvernements doivent tirer les leçons de cette pandémie et saisir cette occasion pour construire des sociétés plus justes et plus résilientes, ainsi qu’un meilleur avenir pour toutes et tous, » conclut Robin Guittard. 

Notes aux rédactions

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L’indice ERI a connu des changements significatifs de méthodologie à partir de 2018. En raison de ces changements, une comparaison directe entre les scores d’un pays dans l’indice de 2020 et celui de 2018 pourrait ne pas donner une indication précise de sa performance. Pour cette raison, l’analyse des changements se concentre sur les changements concrets réalisés en matière de politiques depuis la publication de l’indice de 2018.

Oxfam et  DFI recommandent  que les  gouvernements  consacrent  15%  de  leur  budget  à  la  santé, conformément à la Déclaration d’Abuja. En avril 2001, les chefs d’État des pays de l’Union africaine se sont réunis et engagés à fixer l’objectif de consacrer au moins 15% de leur budget annuel à l’amélioration du secteur de la santé. La Déclaration d’Abuja fournit un point de repère budgétaire sur le niveau des dépenses de santé des pays.