La TTF française rapporte 1 milliard d’euros par an et est efficace quoiqu’en dise le lobby bancaire, Oxfam explique pourquoi

Avant-hier, le quotidien Les Echos a publié dans un article, La Cour des comptes tire à boulets rouges sur la taxe Tobin à la française [1], les principaux points d’un document critique de la Cour des comptes à l’encontre de la taxe sur les transactions financières (TTF) française. Selon cet article, cette taxe ne remplirait aucun de ses objectifs.

Oxfam France répond aux principales critiques de la Cour des comptes qui sous couvert d’objectivité, devient le simple relais des arguments mensongers des lobbies de la finance.

Une attaque qui intervient alors que le sujet de la taxe sur les transactions financières est à l’agenda politique au niveau européen, et qu’il a fait l’objet de déclarations contradictoires de la part d’Emmanuel Macron. Oxfam France vient d’appeler le Président Macron à cesser tout bluff sur la lutte contre le changement climatique en maintenant la TTF française en l’état et en aboutissant à un accord sur la TTF européenne d’ici l’été, comme il s’y est engagé le 6 juin dernier devant un parterre d’associations, d’entreprises et de scientifiques spécialistes du climat [2]. Face au retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris, la mise en place de la TTF européenne et une taxe française ambitieuse permettraient d’amplifier le soutien financier de la France et de l’Europe aux pays les plus vulnérables au changement climatique.

1. Un rendement en baisse et une baisse des volumes financiers ?

Tenir un procès à la TTF française sur la question des recettes est ridicule. La baisse des recettes entre 2015 (1,06 milliard en 2015) et 2016 (947 millions d’euros) est minime : 59 millions d’euros sur près d’un milliard d’euros en moyenne par an.

La TTF visant aussi à réguler la finance en dissuadant les transactions les plus spéculatives et nocives, une stabilisation et une baisse des volumes de recettes peut être vue comme un élément positif, et est bel et bien inhérente à la TTF française : pourquoi la Cour des comptes ne l’indique-t-elle pas ? Par ailleurs, les chiffres de la Cour des comptes manquent clairement de perspective. L’économiste Gunther Capelle-Blancard a en effet conclu à une baisse des 10 % des volumes de transactions sur les actions en 2012 mais a tempéré en indiquant que ces derniers avaient augmenté de 2 000 % depuis 1990 ! Une véritable explosion qui relativise la légère baisse observée en 2012… [3].

Surtout, la TTF française est un outil de financement clé pour la solidarité internationale et la lutte contre le changement climatique. Elle va permettre de dégager 798 millions d’euros pour l’aide publique au développement en 2017. Par ailleurs, dans un contexte où Donald Trump souhaite retirer les Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le Climat, la TTF est indispensable pour que la France puisse continuer à faire preuve de leadership dans la lutte contre les dérèglements climatiques. En effet, les fonds issus de la TTF permettent à la France d’honorer sa contribution au Fonds Vert pour le climat, qui aide les populations les plus vulnérables à s’adapter au changement climatique et à développer les énergies renouvelables. La TTF permet notamment à la France d’être le 2e contributeur au Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui a sauvé plus de 20 millions de vies depuis sa création en 2002. Alors que 400 millions de personnes n’ont pas accès aux services de santé les plus essentiels, les fonds issus de la TTF ont également permis de financer à hauteur de 30 millions d’euros des programmes d’amélioration d’accès aux soins des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes au Sahel.

2. Une taxe sur les investisseurs et pas sur les financiers ?

La TTF française comme toutes les autres taxes sur les transactions n’a aucun impact sur la croissance. Par exemple, le FMI indique que des pays comme l’Inde a une TTF importante tout en connaissant une croissance élevée. Force est de constater qu’on peut tout à fait taxer les transactions financières et avoir une croissance élevée.

3. Un probable échec de la TTF européenne ?

Selon le FMI, 40 pays taxent déjà les transactions financières au niveau national, dont le Royaume Uni, l’Italie, le Brésil ou encore Taïwan [4]. La France est donc loin d’être seule à le faire.
Surtout, il n’y a pas de désaccord profond sur la taxe européenne sur les transactions financières : un compromis visant à taxer les transactions sur actions et sur la quasi-totalité des produits dérivés est sur la table depuis octobre 2016. Tout est une question de volonté politique pour aboutir à un accord sur cette base. Or, la France et la Belgique y sont opposées, prétextant toutes deux que le Brexit pourrait sonner le glas de la TTF européenne. Voulant profiter du Brexit, la place financière de Paris cherche à prendre des parts de marché à la City britannique. Or ces arguments ne tiennent pas : avec ou sans TTF, les banques n’abandonneront jamais le marché des dix pays européens souhaitant l’instaurer : à lui seul il représente près de 90 % du PIB de la Zone Euro et 2/3 de celui de l’Union européenne. Surtout, pour être compétitive tout en aboutissant à une taxe régulant la finance et dégageant des recettes conséquentes pour la solidarité internationale, la France a tout intérêt à étendre la TTF à d’autres pays européens [5].

4. Un simple déplacement du trading à haute fréquence ?

C’est faux : la Cour des comptes ment de manière éhontée lorsqu’elle indique que la taxe sur le trading à haute fréquence mise en place en 2012 a fait fuir les traders à haute fréquence à Londres.

Depuis le boom du trading à haute fréquence dans les années 1990 et 2000, l’ensemble des traders à haute fréquence se sont installés à Londres ou aux Etats Unis depuis, mais pas en France : il n’y a plus de traders à haute fréquence en France depuis bien longtemps. Mais cela n’empêche pas les traders britanniques et américains de spéculer à la vitesse de la lumière sur la bourse de Paris : selon l’Autorité européen des marchés financiers (ESMA), le trading à haute fréquence représente entre 21 et 45 % des volumes de transactions réalisées sur les actions de la bourse de Paris [6].

Et d’ailleurs, ce sont les traders à haute fréquence eux-mêmes, et non pas la taxe française sur les transactions financières, qui ont participé à la délocalisation de la bourse de Paris. En 2010, c’est-à-dire deux ans avant la création de la TTF française, la bourse de Paris s’est installée dans la banlieue de Londres pour se rapprocher des traders à haute fréquence et gagner quelques millisecondes face à ses concurrentes américaines, britanniques et allemandes. La taxation des transactions intra-journalières votée l’année dernière par l’Assemblée nationale, et fortement décriée par les lobbies de la finance, est un point qui heurte les traders à haute fréquence car elle permettra de taxer les acteurs français comme étrangers.

5. Une taxation des transactions intra-journalières difficilement applicable

Il y a toujours eu de bonnes raisons pour ne pas créer ou ne pas améliorer la TTF française. Avant 2012, ses détracteurs indiquaient que la taxe nationale était impossible à mettre en place. Elle existe désormais et le monde financier français ne s’est pas effondré. Désormais, il serait impossible de taxer les transactions intra-journalières alors que l’Assemblée nationale a voté cette mesure en 2016 et que la directive de la Commission européenne le prévoit ?

Sa mise en place en France étant prévue au 1er janvier 2018, le Ministère des finances a encore six mois pour régler les dernières questions juridiques. Mais quelques pistes existent déjà : la France pourrait s’inspirer de la Grande Bretagne qui dispose de toutes les méthodes et l’arsenal juridique pour taxer les transactions intra-journalières.

Contact

Caroline Prak / cprak@oxfamfrance.org / 06 31 25 94 74
Twitter : @carolineprak

Notes aux rédactions

[1] La Cour des comptes tire à boulets rouges sur la taxe Tobin à la française, Les Echos, le 26 juin 2017.

[2] Positions contradictoires d’Emmanuel Macron sur la TTF : le président en plein bluff ?, communiqué de presse d’Oxfam France, le 26 juin 2017.

[3] Gunther CAPELLE-BLANCARD, Olena HAVRYLCHYK, The Impact of the French Securities Transaction Tax on Market Liquidity and Volatility, 2013, disponible au : http://www.labex-refi.com/app/uploads/2013/04/Working-paper-The-Impact-of-the-French-Securities-Transaction-Tax-on-Market-Liquidity-and-Volatility-Capelle-Blancard.pdf

[4] Matheson (2011), ‘Taxing Financial Transactions, Issues and Evidence’, FMI document de travail, Washington DC, Etats-Unis, disponible au : https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2016/12/31/Taxing-Financial-Transactions-Issues-and-Evidence-24702

[5] Commission Européenne, « Analyse d’impact de la taxe européenne sur les transactions financières », 14 février 2013, disponible : http://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/resources/documents/taxation/swd_2013_28_en.pdf

[6] ESMA, Economic Report High-frequency trading activity in EU equity markets Number 1, 2014, disponible au: https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/2015/11/esma20141_-_hft_activity_in_eu_equity_markets.pdf