Le soutien de l’UE aux agrocarburants prive de nourriture des millions de personnes

Alors que les ministres européens de l'Énergie se réunissent lundi 17 septembre à Chypre, Oxfam révèle dans un nouveau rapport que la surface agricole nécessaire pour alimenter les voitures européennes en agrocarburants en 2008 aurait pu permettre de produire assez de blé et de maïs pour nourrir 127 millions de personnes pendant un an.

Alors que le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde ne cesse d'augmenter, Oxfam appelle l'Union européenne à mettre fin à sa liaison dangereuse avec les agrocarburants.

Dans ce nouveau rapport « Les semences de la faim », Oxfam montre, chiffres à l'appui, que l'appétit croissant de l'Europe pour les agrocarburants Au niveau européen, la Directive Energies Renouvelables impose que 10% de l'énergie utilisée dans les transports soit produite à partir de sources renouvelables d'ici à 2020. Cela correspond pour 90% à l'incorporation d'agrocarburants de première génération – c'est-à-dire produits à partir de matières premières agricoles – dans les carburants traditionnels.] fait grimper les prix alimentaires mondiaux et alimente le phénomène d'accaparements des terres dans les pays du Sud.

Les prix du maïs et du soja ont atteint des niveaux record cet été, touchant de plein fouet les ménages pauvres qui, dans les pays du Sud, peuvent consacrer jusqu'à 75% de leurs revenus à l'alimentation. Les politiques européennes de soutien aux agrocarburants jouent un rôle central dans la hausse des prix alimentaires. D'ici à 2020, elles pourraient à elles seules faire grimper les prix de certaines denrées alimentaires de 36% supplémentaires. Étant donné que 80% des agrocarburants européens sont de l'agrodiesel, principalement fabriqué à partir de colza, de soja et d'huile de palme, les objectifs d'incorporation de l'UE ont un impact particulier sur le cours mondial de l'huile végétale et des oléagineux. Cela entraîne une augmentation du prix à la consommation de l'huile de cuisson dans les pays importateurs comme Haïti et les pays exportateurs comme l'Indonésie, cette dernière étant l'une des principales sources d'agrodiesel pour l'UE.

La demande croissante en agrocarburants, soutenue à des niveaux artificiellement élevés par les politiques européennes, constitue également le principal moteur de l'accaparement des terres dans les pays du Sud. D'après la Coalition Internationale pour l'Accès à la Terre, ce sont près de deux tiers des terres accaparées entre 2000 et 2010 qui seraient utilisés pour produire des agrocarburants.

« L'actuelle flambée des prix alimentaires devrait sonner comme un signal d'alarme pour les ministres européens de l'Énergie qui se réunissent aujourd'hui, explique Clara Jamart, responsable des questions liées à la sécurité alimentaire pour Oxfam France. C'est simple : si les gouvernements européens ne renoncent pas à leurs politiques de soutien aux agrocarburants, ils mettent en péril le droit à l'alimentation de millions de personnes.

En 2008, les exemptions fiscales et autres aides à la production d'agrocarburants en Europe s'élevaient à plus de 3 milliards d'euros, un montant comparable à la réduction des dépenses prévu dans l'accord très controversé sur le plan de sauvetage de la Grèce en février dernier.

« Si les agrocarburants permettaient réellement de lutter contre le changement climatique, ce coût pourrait éventuellement être acceptable par les Européens, mais ce n'est pas le cas !, ajoute Clara Jamart. Si l'on prend en compte l'intégralité des émissions liées à leur production, la majorité des agrocarburants utilisés aujourd'hui en Europe produisent plus de gaz à effet de serre que les carburants fossiles. Au final, la politique européenne de soutien aux agrocarburants ne permet pas de réduire le changement climatique : elle l'aggrave. »

« La Commission européenne réalise enfin que les objectifs d'incorporation d'agrocarburants posent de graves problèmes sociaux et environnementaux Plusieurs agences de presse ont révélé le 11 septembre que la Commission européenne envisageait de réviser ses objectifs d'incorporation d'agrocarburants à la baisse, en fixant des objectifs d'incorporation qui passeraient de 10% à 5% d'ici 2020.]. Le ministre français de l'Agriculture a lui aussi déclaré qu'il fallait faire une pause dans le développement des agrocarburants entrant en concurrence avec des cultures alimentaires. Si ces prises de position vont dans le bon sens, elles sont encore largement insuffisantes : il faut mettre fin de manière claire et nette aux politiques de soutien aux agrocarburants. »

« L'Union européenne et ses Etats membres ont contribué à déclencher une ruée mondiale vers les agrocarburants dont les impacts sociaux et environnementaux sont dramatiques« , conclut Clara Jamart. « Il faut renoncer au plus vite aux politiques actuelles de soutien aux agrocarburants, et mettre en place pour l'avenir des politiques ambitieuses de promotion des énergies renouvelables qui ont un véritable impact positif pour l'environnement, et qui ne remettent pas en cause la sécurité alimentaire mondiale. »

Face à cette situation inacceptable, Oxfam France lance le 17 septembre 2012 une action « Nourrir ou conduire, il faut choisir » à destination de la ministre de l'Ecologie, Delphine Batho, ainsi que des députés français, afin que la France mette fin à sa politique nationale de soutien aux agrocarburants, et prenne position en faveur de la suppression des objectifs d'incorporation européens.

Contact presse

Pierre Motin – Oxfam France – 01 77 35 76 10 / 06 12 12 63 94 – pmotin@oxfamfrance.org

Les recommandations d'Oxfam France

– Les objectifs nationaux d'incorporation d'agrocarburants dans les carburants traditionnels doivent être abandonnés. En France, les subventions et avantages fiscaux attribués aux grandes entreprises de distribution de carburants doivent être supprimés.

-* La Directive Energies Renouvelables de 2009 doit être révisée pour :
-** Renoncer à l'objectif contraignant d'incorporation d'énergies d'origine renouvelables dans le secteur des transports;
-** Prendre en compte l'intégralité des émissions de gaz à effet de serre des agrocarburants ; et introduire des critères sociaux contraignants de durabilité pour la production d'agrocarburants, garantissant le respect de la sécurité alimentaire et des droits humains.

– La Stratégie Européenne pour les Energies Renouvelables après 2020 devrait prendre en compte les impacts négatifs des politiques actuelles de soutien aux agrocarburants sur la sécurité alimentaire et l'accès au foncier dans les pays du Sud. Des objectifs globaux ambitieux doivent soutenir cette stratégie de développement des énergies renouvelables pour l'horizon post 2020, mais aucun nouvel objectif chiffré ne doit être mis en place dans le secteur des transports.

– Delphine Batho, Ministre de l'Ecologie, du Développement Durable et de l'Energie, doit prendre fermement position pour que la France s'engage et oriente les politiques énergétiques de l'UE vers un véritable respect du droit à l'alimentation des populations les plus vulnérables.

Contact

Photo : Achmad Rabin Taim / Flickr CC BY 2.0
Plantation de palmiers à huile à Cigudeg, Bogor, Java (Indonésie).

Notes aux rédactions