Loi fraude fiscale au Sénat : des mesures dérisoires sans la suppression du Verrou de Bercy

Communiqué commun – Anticor, Attac, CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France, Sherpa, Syndicat de la Magistrature. Ce mardi, le Sénat examine en première lecture le projet de loi contre la fraude fiscale, présenté par Gérald Darmanin en Conseil des ministres en mars dernier. Si la loi propose de renforcer les moyens d’investigations et les sanctions contre la fraude, les dispositions, comme l’alourdissement des sanctions pénales encourues et la publicité des peines, restent très modestes dans la lutte contre la fraude fiscale.

Ces dispositions resteront dérisoires tant que sera maintenu le « Verrou de Bercy », qui donne au ministère des Finances le monopole en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale, et devrait constituer un des principaux enjeux des débats parlementaires.

Pour nos organisations, il est primordial d’aller vers une suppression de cette exception française qui institue une justice à deux vitesses et une impunité pour les fraudes fiscales les plus graves. Le récent rapport de la mission d’information parlementaire a présenté plusieurs recommandations en ce sens, sur lesquelles les parlementaires doivent s’appuyer. Pour une réelle ouverture du « verrou de Bercy », les parlementaires doivent impérativement introduire ces trois dispositions :

– inscrire dans loi des critères d’examen du dossier par la justice, non cumulatifs, sur les droits éludés et le caractère aggravant de la fraude

– garantir un examen conjoint par l’administration fiscale et la justice des dossiers ainsi sélectionnés, en laissant le dernier mot au Parquet

– permettre à la justice de s’auto-saisir pour les cas connexes qu’elle rencontre.

« Le ‘’verrou de Bercy’’ participe aujourd’hui à l’impunité dont jouissent les fraudeurs fiscaux. Sur 16 000 infractions fiscales graves constatées chaque année, seules 1 000 sont aujourd’hui transmises à la justice et elles concernent généralement des fraudes de moyenne ampleur. Il est essentiel de redonner à la justice son rôle dissuasif pour garantir que les cas de fraude les plus graves et les montages complexes et douteux des grandes entreprises soient jugés devant les tribunaux et sanctionnés de manière exemplaire, en toute transparence», déclare Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer Financement du développement au CCFD-Terre Solidaire.

« Sans une réelle ouverture du verrou de Bercy, l’alourdissement des sanctions et la publicité des peines proposées par la loi n’auront que peu d’effet. Même chose pour les intermédiaires – cabinets de conseils, experts, avocats fiscalistes – qui sont eux aussi protégés par le ‘’verrou de Bercy’’.

L’indignation des citoyen-ne-s face aux comportements d’impunité, à commencer par l’affaire Cahuzac, exige une loi ambitieuse qui permette enfin de changer la donne. Faut-il rappeler que les particuliers et entreprises qui fraudent privent l’Etat, et donc la collectivité entière, de ressources nécessaires au financement des services publics ? », affirme Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam France.

Nos organisations alertent également sur la proposition d’extension de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) à la fraude fiscale, proposée dans la version actuelle du texte. Introduite dans le droit français par la loi Sapin 2 sur les questions de corruption d’agent public étranger, la CJIP permettrait aux entreprises poursuivies par la justice pour fraude de passer une convention transactionnelle validée par le juge et de simplement payer une amende, sans que leur culpabilité ne soit reconnue.

« Les derniers scandales d’évasion fiscale, en tête desquels les Panama et Paradise Papers, ont montré que les mesures de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale sont insuffisantes. La loi fraude est notamment l’occasion de transposer de manière ambitieuse la 5e directive anti-blanchiment, qui introduit un registre public des sociétés, pour mettre un terme aux sociétés écran. La simple transposition de la liste noire européenne des paradis fiscaux à la liste française, comme proposé par la loi, est une mesure hypocrite car elle exclue d’office les pays européens. La France doit être en première ligne et agir aux niveaux national mais aussi européen et international pour lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales », conclut Dominique Plihon, porte-parole d’Attac France.

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Pauline Leclère
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