Paquet anti-évasion fiscale de l’Union européenne : l’ère des paradis fiscaux est encore loin d’être révolue

Une semaine après qu’Oxfam a révélé que 62 personnes détiennent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale, la Commission européenne a manqué l’occasion de prendre des mesures drastiques contre l’évasion fiscale afin de s’attaquer aux inégalités galopantes.

Avec ce paquet anti-évasion fiscale, l’UE a l’intention de mettre en œuvre rapidement les normes fiscales internationales – mais celles-ci seront insuffisantes pour réfréner l’évasion fiscale, en particulier dans les pays en développement.

Manon Aubry, responsable de plaidoyer Justice Fiscale et Inégalités d’Oxfam France a déclaré  :

Sur le paquet anti-évasion fiscale

« Le Commissaire européen en charge de la fiscalité Pierre Moscovici avait suscité beaucoup d’espoirs en déclarant urgent d’agir contre l’évasion fiscale. Pourtant, la Commission a revu à la baisse ses ambitions de réforme alors que les investissements des entreprises dans les paradis fiscaux ont quadruplé depuis l’an 2000. Cela laisse planer le doute sur la volonté réelle de l’UE de réprimer fermement l’évasion fiscale.

Après l’échec de l’OCDE et l’insuffisance du plan BEPS à mettre sur la table des solutions adéquates contre l’évasion fiscale, il est très décevant de constater que la Commission européenne privilégie à son tour le plus petit dénominateur commun. L’exécutif européen subit très certainement la pression des Etats-Membres qui ont maintenu les dispositifs facilitant l’évasion fiscale, largement exploités par les entreprises multinationales. Il n’est par exemple fait aucune mention de certaines pratiques parmi les plus dommageables, comme l’utilisation de « patent boxes » qui permettent de diminuer les impôts payés sur les revenus issus de dépôt de brevets et récemment mis en cause dans le scandale Mac Donald’s par exemple. Mais les citoyens attendent, à juste titre,  davantage de la part d’une UE qui assure vouloir montrer l’exemple en la matière ».

« Le fait que les négociations sur ce paquet anti-évasion fiscale se déroulent sous la présidence néerlandaise est plutôt ironique, car les Pays-Bas sont eux-mêmes un paradis fiscal, comme l’affaire Starbucks n’a pas manqué de l’illustrer. Si les Etats-Membres de l’UE, et notamment la présidence actuelle du Conseil, se résolvent effectivement à mettre fin à l’ère des paradis fiscaux, il leur faut cesser d’être hypocrites. »

Sur le reporting pays par pays

La Commission propose d’adopter les règles de l’OCDE en faveur d’un reporting pays par pays confidentiel : les entreprises devront transmettre à l’administration fiscale des informations sur leurs activités et impôts payés.

« La confidentialité de ces informations retire l’efficacité première du reporting : son effet dissuasif. Cette proposition ne doit en aucun cas être considérée comme un aboutissement et la Commission doit proposer la publicité de ces informations sur le modèle de ce qui existe déjà pour les banques et comme défendu par le Parlement européen. En particulier, le gouvernement français qui a bloqué l’adoption d’une telle mesure par l’Assemblée en décembre dernier, doit soutenir publiquement l’adoption d’une telle mesure. La fin de l’ère des paradis fiscaux doit passer par une réelle transparence sur l’activité des entreprises dans ces juridictions »

Sur les règles s’appliquant aux Sociétés étrangères contrôlées (SEC).

L’objectif de ces règles est de permettre aux Etats membres de taxer les activités des filiales d’une entreprise européenne dans les paradis fiscaux, en fonction du différentiel entre le niveau d’imposition dans le pays d’origine et celui dans le pays tiers (si le taux d’imposition effectif de ce pays est 40 % inférieur à celui du pays d’origine). Tout dépendra donc du taux d’imposition du pays d’origine, qui varie fortement d’un pays à l’autre au sein de l’UE. Ainsi pour un pays comme l’Irlande où le taux d’imposition est seulement de 12,5 %, l’administration fiscale irlandaise pourra taxer les revenus des filiales à l’étranger seulement si elles y sont taxées à moins de 5 %.

« Les règles proposées visant à taxer les activités des filiales dans les paradis fiscaux ne permettront pas de récupérer la plus grande partie des milliards perdus en impôts. Sans compter qu’elles risquent de renforcer la concurrence fiscale entre les Etats de l’UE qui pourraient être amenés à réduire leur taux d’imposition pour ne pas défavoriser leurs entreprises. »

Sur la stratégie externe pour une imposition effective

« La stratégie externe visant à recenser et cibler les paradis fiscaux extérieurs à l’UE selon de nouveaux critères est un pas en avant mais il s’agit d’un texte non contraignant et qui exclut de fait les pays membres de l’UE, dont certains sont reconnus comme des paradis fiscaux. Pour identifier les paradis fiscaux, l’UE doit s’en tenir aux mêmes critères que les pays en question soient à l’intérieur ou à l’extérieur de ses frontières. Il convient au minimum de mettre de l’ordre dans ses propres affaires en reconnaissant les effets dévastateurs de la compétition fiscale à outrance et des paradis fiscaux, lesquels font perdre au moins 100 milliards de dollars chaque année aux pays en développement ».

Analyse succincte du paquet de la Commission

·         Proposition d’une directive anti évasion fiscale

Règle de limitation des intérêts : Le paiement d’intérêts étant déductible des impôts pour les entreprises, ces dernières ont largement utilisé cette faille en contractant des prêts auprès de leurs filiales de leur groupe dans des paradis fiscaux. Le paiement des intérêts permet ainsi de transférer une partie de leurs bénéfices vers des paradis fiscaux et ainsi diminuer leurs impôts. Les consultations menées par l’OCDE et la commission d’experts des Nations Unies sur la fiscalité ont conclu que l’évitement de l’impôt via des déductions excessives sur les intérêts est particulièrement dommageable pour les pays en développement. La Commission européenne suggère de plafonner les déductions sur les intérêts à 30 % tandis que l’OCDE recommande de son côté une fourchette entre 10 et 30 %. En choisissant l’option la moins exigeante, la Commission européenne opte pour le plus petit dénominateur commun.

Législation sur les Sociétés étrangères contrôlées : La règlementation s’appliquant aux Sociétés Etrangères contrôlées (SEC) est primordiale pour éviter le transfert de bénéfices dans les juridictions à faible taux d’imposition.  La règle est la suivante : si le revenu d’une filiale est taxé à un taux effectif faible ou n’est pas taxé du tout, les règles SEC rentrent en vigueur et l’administration fiscale du pays d’origine de l’entreprise impose les bénéfices de la filiale étrangère. La Commission propose un seuil-plancher correspondant à 40 % du taux d’imposition du pays d’origine. Autrement dit, l’administration fiscale du pays d’origine de l’entreprise se verrait en droit d’imposer les profits des filiales dans les pays tiers si ces derniers ont un taux inférieur de 40 % au taux d’imposition du pays d’origine. Dans le cas de la Bulgarie, dont le taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés s’élève à 10 %, les règles SEC ne prendraient pas effet même pour un taux d’imposition aussi faible que 4 %.

Etablissement permanent : Les critères de définition de l’établissement permanent – soit un lieu d’activité stable – sont essentiels à la détermination de la présence imposable d’une entreprise. Alors que l’objectif de la directive anti-évasion fiscale est de mettre en œuvre les recommandations  de l’OCDE contenues dans BEPS, la recommandation portant sur l’établissement permanent – à savoir l’Action 7 du projet BEPS – a été retirée pour n’être évoquée plus que dans une recommandation non contraignante sur les abus relatifs aux conventions fiscales. En décembre, les discussions au sein du Conseil faisaient en fait référence à l’Evitement artificiel du statut d’établissement permanent. Ce point est source de fortes inquiétudes car sans définition commune de ce qu’est un établissement permanent, les multinationales pourront continuer de se soustraire artificiellement à la déclaration de leurs filiales et de déplacer leurs bénéfices.  

·         Proposition d’une directive pour la mise en œuvre du reporting pays par pays selon les modalités du plan BEPS du G20/OCDE

La Commission européenne propose l’adoption des règles de l’OCDE en matière de reporting pays par pays en révisant la Directive sur la Coopération Administrative (qui deviendrait donc DAC4). Cela signifie que seules les administrations fiscales seront en mesure de savoir où les multinationales génèrent des bénéfices et où elles payent leur impôt. La proposition actuelle ne concerne que les multinationales dont les bénéfices consolidés atteignent au moins 750 millions d’euros, n’incluant qu’environ 10 % des entreprises du calcul même de l’OCDE. Ce seuil restreindra les pouvoirs d’investigation des administrations fiscales. De plus, la plupart des administrations fiscales des pays en développement ne tireront aucun gain de cette mesure puisqu’elles seront contraintes à la réciprocité des échanges, ce qui sera compromis au vu des capacités dont elles disposent effectivement. L’approche actuelle de la Commission n’exclut cependant pas une législation future rendant obligatoire la publicité de ces informations à la suite de son étude d’impact.

·         Communication sur une stratégie externe relative aux paradis fiscaux

Après l’élaboration d’une première liste noire très limitée des paradis fiscaux en juin dernier, la Commission européenne souhaite engager de nouvelles discussions avec les Etats-Membres pour élaborer une stratégie commune dans l’optique de recenser et se prémunir contre les paradis fiscaux extérieurs à l’UE. Cette stratégie ne s’appliquera pas aux Etats-Membres quand bien même certains d’entre eux sont communément considérés comme des juridictions non-coopératives. De plus, les critères proposés ne devraient pas se contenter de cibler seulement les juridictions opaques mais également prendre en compte les montages permettant l’évasion fiscale des multinationales.

Contact

Caroline Prak
Responsable Communication et relations média
cprak@oxfamfrance.org 06 31 25 94 74

Notes aux rédactions

·         Aujourd’hui 27 janvier 2016 la Commission européenne a dévoilé son paquet anti-évasion fiscale, un ensemble de mesures visant à accroitre l’imposition effective et la transparence au sein et au-delà de l’Union européenne http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-159_en.htm

         Une analyse succincte d’Oxfam sur ce nouveau paquet se trouve ci-dessous et une analyse détaillée de la plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires dont Oxfam est membre est également disponible à cette adresse :  https://www.oxfamfrance.org/rapports/analyse-paquet-evasion-fiscale-commission-europeenne-janvier-2016/

·         Le paquet s’appuie sur le projet de réforme des règles fiscales internationales Erosion de la base fiscale et transferts de bénéfices (BEPS) initié par l’Organisation de Coopération et de Développement  Economiques (OCDE) en 2013 puis approuvé par le G20 en novembre 2015. Ces mesures ont vocation à enrayer les stratagèmes utilisés par les grandes entreprises pour éviter l’impôt et doivent contribuer à garantir que les profits sont « imposés là où les activités économiques générant les profits sont réalisées et où la valeur ajoutée est créée ». Une analyse plus détaillée du plan BEPS est disponible à cette adresse :

·         Le nouveau paquet fiscal comprend :

–       Une proposition de directive anti-évasion fiscale qui met en œuvre la plupart des dispositions du G20/OCDE contre l’évasion fiscale et s’aligne sur les recommandations du projet BEPS.

–       Une proposition de directive appliquant au niveau de l’UE le reporting pays par pays tel qu’il existe dans BEPS.

–       Une recommandation sur les questions liées aux conventions fiscales.

–       Une communication définissant une stratégie externe relative aux paradis fiscaux

–       Un document de travail qui fournit une analyse plus approfondie et appuie ces initiatives.  

·         La Commission européenne avait rendu public un premier paquet pour la transparence fiscale le 18 mars 2015. Le 17 juin 2015, elle avait publié un plan d’action pour un système équitable d’imposition des sociétés au sein de l’Union européenne. A son initiative, une étude d’impact (toujours en cours) du reporting public pays par pays a été entreprise après trois mois de consultation publique. Cette norme de reporting exigerait des multinationales qu’elles  divulguent les pays dans lesquels elles font des profits, des impôts dont elles s’acquittent et à quels endroits. La publication des résultats de l’étude d’impact est attendue pour le mois de mars.

·         Le 18 janvier 2016, Oxfam a publié le rapport intitulé Une économie au service des 1%, révélant que les 62 personnes les plus fortunées du monde possèdent une richesse équivalente à celle des 50% les plus pauvres de la planète. L’étude montre également que 1% de la population mondiale détient davantage de richesses que le reste d’entre nous réunis. Ce document d’information explore le rôle des paradis fiscaux dans la montée des inégalités, soulignant que les investissements des entreprises dans les paradis fiscaux ont quadruplé entre 2000 et 2014 et que 9 grandes entreprises sur 10 ont au moins une filiale dans un paradis fiscal https://www.oxfamfrance.org/rapports/

·         En mars 2015, Oxfam a publié Pulling the Plug – How to stop corporate tax dodging in Europe and beyond, une note d’information qui examine les moyens de lutte contre l’évasion fiscale au sein de l’Union européenne. Elle explique en quoi il est vital pour l’UE qu’elle adopte aussi rapidement que possible une législation anti-évasion fiscale https://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/file_attachments/bn-pulling-plug-corporate-tax-eu-190315-en.pdf

·         En Novembre 2015, Oxfam a publié conjointement avec Eurodad le rapport "50 nuances d’évasion fiscale"  analysant les failles du système européen en matière de lutte contre l’évasion fiscale. https://www.oxfamfrance.org/rapports/justice-fiscale/50-nuances-devasion-fiscale-au-sein-lunion-europeenne https://www.oxfamfrance.org/rapports/justice-fiscale/50-nuances-devasion-fiscale-au-sein-lunion-europeenne

Ce communiqué a été produit avec le soutien financier de la Commission européenne. Son contenu relève de la seule responsabilité d'Oxfam France et ne reflète pas nécessairement les positions de la Commission européenne et de ses services.