2021 : l’année des inégalités vaccinales

2020 fut l’année d’une prouesse scientifique. Celle de développer en un temps record des vaccins efficaces contre le Covid-19, pandémie ayant couté la vie à des millions de personnes et confiné le monde pendant plusieurs mois. 2021 sera l’année de l’apartheid vaccinal, où les vaccins, solution pour nous sortir de l’impasse, ont été accaparés par les pays riches au détriment des pays du sud. Or, la propagation rapide du variant Omicron rappelle que nous ne sortirons pas de cette pandémie sans garantir l’accès au vaccin partout dans le monde.

Inégalités vaccinales : rétrospective de l’année 2021

L’histoire d’un apartheid vaccinal

En 2020, grâce à une mobilisation exceptionnelle du monde scientifique et de l’industrie pharmaceutique, dopée par plusieurs milliards de financements publics, des vaccins contre le Covid-19 ont été développés en un temps record. La première dose de vaccin a été administrée le 8 décembre 2020 à Margaret Keenan au Royaume-Uni, créant un élan d’espoir après des mois de pandémie dévastatrice, de restrictions de libertés et de crise économique et sociale.

Dès la fin de l’année 2020, Oxfam alertait sur les risques d’inégalités d’accès aux vaccins dans le monde. Car avant même la mise sur le marché des vaccins, les pays riches avaient précommandé plus de trois fois le nombre de doses nécessaires pour vacciner leur propre population. Cette tendance ne s’est pas inversée tout au long de l’année 2021. L’écart d’accès aux vaccins dans le monde n’a cessé de se creuser entre les pays riches et les pays pauvres. En décembre 2021, la France et l’Union Européenne ont vacciné plus de 70% de leur population, contre seulement 3% de personnes vivant dans un pays à faible revenu.

 

Plusieurs facteurs expliquent ces importantes inégalités. Les pays riches ont capté la grande majorité des doses produites. Les premiers mois de l’année 2021 ont été marqués par un fort égoïsme vaccinal, qui permettait aux plus offrants – les pays riches – de doubler tout le reste du monde dans les carnets de commande des laboratoires pharmaceutiques.

Les pays riches ont eu accès à des doses en grand nombre avant même que le dispositif COVAX n’ait eu accès à la moindre dose. COVAX devait initialement éviter toute concurrence déloyale entre les pays, comme cela avait été le cas avec les masques aux premiers mois de la pandémie, en permettant l’achat groupé ainsi qu’une distribution équitable à l’échelle de la planète, respectant les principes de l’OMS, à savoir la vaccination des populations prioritaires partout dans le monde (personnels soignant, personnes âgées et vulnérables). Or les pays riches n’ont pas joué le jeu et ont passé des commandes directement auprès des laboratoires. De plus, COVAX a été une victime collatérale de l’arrêt des exportations des vaccins et matières premières décrété par l’Inde au pic de la flambée de Covid-19 dans le pays, retardant de plusieurs mois l’approvisionnement en vaccins des pays pauvres.

Certains pays riches, dont la France, ont lancé dès le printemps 2020 des initiatives de dons de doses. Bien que bienvenues, ces donations représentaient une goutte d’eau dans l’océan face à la demande mondiale. Lors du sommet du G7 en Cornouaille en juin 2021, les pays riches se sont engagé à donner 1 milliard de doses d’ici 2022, dont la moitié d’ici la fin 2021. Malgré les effets d’annonces, cela ne représentait que 250 millions de personnes protégées en 2021, bien loin des besoins pour atteindre une immunité collective mondiale. En octobre 2021, la People vaccine alliance, dont Oxfam est membre dévoilait dans son rapport « une dose de réalité » que sur les 1,8 milliard de dons de vaccins anticovid promis par l’ensemble des pays riches, seulement 261 millions de doses – soit 14% – avaient été livrées, tandis que les laboratoires pharmaceutiques occidentaux eux n’avaient livrés que 12% des doses qu’ils avaient promises à COVAX.

Le besoin d’administrer des doses de rappel va considérablement creuser les inégalités vaccinales. En quatre mois seulement, les pays riches ont administré plus de doses de rappel que toutes les doses administrées dans les pays pauvres depuis le début de la pandémie.

Les vaccins contre le Covid-19 privatisés par des monopoles très rentables

Les vaccins sont actuellement privatisés par les droits exclusifs liés à la propriété intellectuelle, dont les brevets, détenus par les laboratoires les ayant développés. Ces monopoles leurs permettent de fixer librement les règles du jeu en décidant qui peut avoir accès aux vaccins et à quel prix. Ils ont donc permis aux laboratoires de gonfler le coût des vaccins pour les pays : Oxfam a démontré que les laboratoires ont facturé les vaccins au moins 5 fois plus cher que leur cout de production. Selon nos calculs, la France aurait payé 4,6 milliards d’euros de plus que le coût de production des vaccins Pfizer et Moderna.

Les monopoles sur les vaccins détenus par les laboratoires sont donc très rentables et leur assurent des profits faramineux. Dès le mois de mai nous avons montré que les vaccins anticovid avait fait émerger 9 nouveaux milliardaires dont la richesse cumulée était supérieure au coût de la vaccination de tous les pays les plus pauvres du monde. A la première place de ce classement figurait le français Stéphane Bancel, PDG de Moderna, l’un des laboratoires ayant développé des vaccins à ARN messager.

Au-delà d’enrichir une poignée de laboratoires pharmaceutiques, les monopoles liés aux brevets limitent artificiellement la production des vaccins. Il existe toujours des capacités de production de vaccin non-exploitées. Une enquête de Médecins sans frontières (MSF) publiée en décembre 2021 dévoile que plus d’une centaine de sites de production non exploités à travers le monde pourrait contribuer à la production de vaccins à ARN messager, les plus efficaces contre le Covid19. Or, sans l’accord de Moderna et de BionTech, ces producteurs n’ont pas le droit de produire ces vaccins.

Les négociations internationales sur la levée des brevets bloquées par les pays riches

Pour lever les obstacles juridiques, dès octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du Sud ont déposé une demande de levée temporaire des barrières liées à la propriété intellectuelle sur tous les produits médicaux nécessaires pour faire face au virus, dont les futurs vaccins anticovid. Car dès les prémisses de la pandémie, des laboratoires pharmaceutiques avaient fait prévaloir les brevets qu’ils détenaient sur des outils tels que les masques FFP2 pour limiter leur production par des concurrents.

L’Inde et l’Afrique du Sud ont été rejoints par plus d’une centaine de pays avec une demande claire : laissez-nous produire les vaccins anticovid pour protéger nos populations, sans barrière juridique liée aux brevets.

Après avoir accaparé la grande majorité des doses disponibles et donné moins de doses que promises, les pays riches ont également bloqué depuis plus d’un an les négociations sur la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud.  En effet, depuis des mois, les pays riches refusent de voter cette levée temporaire des brevets au sein de l’OMC pour protéger les intérêts de l’industrie pharmaceutique. Ce combat pour la levée des monopoles des géants de l’industrie pharmaceutique rappelle tristement les années de lutte pour l’accès aux traitements antirétroviraux contre le VIH-Sida en Afrique.

L’Union Européenne figure parmi les ferventes opposantes à la demande de l’Inde et l’Afrique du Sud au sein de l’OMC, aux côtés du Royaume-Uni et de la Suisse. Pour contrecarrer la demande de levée temporaire des brevets, elle essaie d’imposer une contre-proposition préférant le statu quo.

Levée des brevets : le double-jeu de la France

Oxfam s’était félicité de cette annonce qui concrétisait enfin les discours de la France en faveur d’un vaccin bien public mondial. Elle faisait suite aux annonces du Président américain Joe Biden dans le même sens, et représentaient un espoir pour les millions de personnes mobilisées contre l’apartheid vaccinal.

Dès le début de la pandémie, le président français Emmanuel Macron avait déclaré que les futurs vaccins devaient être des biens publics mondiaux.  Néanmoins, la France a mis plusieurs mois avant de soutenir clairement la demande de levée temporaire des brevets. Ce n’est qu’en juin dernier à quelques jours du sommet du G7 en Grande Bretagne que le Président français, dans le cadre d’une rencontre avec des ONG françaises dont Oxfam, avait annoncé le soutien de la France à la demande de l’Inde et l’Afrique du sud.

Malgré les annonces, la France n’a pas pesé au sein des négociations pour convaincre ses partenaires européens de soutenir la demande de levée temporaire des brevets. Pire, elle s’est ralliée à la position bloquante de l’UE, tournant le dos à ses partenaires africains. En décembre 2021, la directrice générale d’Oxfam France Cécile Duflot a écrit au Président de la République pour lui demander de revenir à ses engagements de juin. Ce courrier est toujours sans réponse.

Un vaccin pour toute la planète : la bonne résolution des pays riches pour 2022 !

Pourquoi il faut changer la donne en 2022 ?

Le scénario sur lequel nous avions alerté s’est réalisé avec la propagation rapide du variant Omicron. En mars 2021, Oxfam publiait une enquête où des épidémiologistes du monde entier mettaient en garde sur les risques des inégalités vaccinales. Les scientifiques estimaient que nous n’avions qu’un an, sinon moins, avant que le virus ne mute pour arriver à un point où la majorité des vaccins de première génération deviendraient inefficaces, et imposerait donc d’importantes modifications. Les récentes déclarations du PDG de BionTech, Ugur Sahin, au sujet de l’efficacité des vaccins contre le variant Omicron, confirment cette hypothèse.

Les inégalités vaccinales ne sont pas seulement une faute morale. Elles sont également dangereuses et inefficaces d’un point de vue de santé publique. En laissant des régions entières avec un faible accès aux vaccins, nous laissons le virus circuler et développer de nouvelles mutations qui risquent d’être plus contagieuses et résistantes aux vaccins actuels. Nous ne vaincrons pas la pandémie du Covid19 sans mettre fin à l’apartheid vaccinal. Pour protéger leur propre population, les pays riches doivent prendre toutes les mesures pour garantir un accès universel aux vaccins.

Nos demandes à la France

En 2022, les pays riches doivent de toute urgence arrêter de bloquer les négociations au sein de l’OMC sur la levée temporaire des barrières de propriété intellectuelle. Le Président Emmanuel Macron, qui prendra la présidence du conseil de l’Union Européenne le 1er janvier prochain doit faire de cette question une priorité de son mandat. Car actuellement l’Union Européenne est l’un des principaux adversaires à la levée des brevets et à un vaccin bien public mondial. Le Président français a donc 6 mois pour être le Président qui aura permis à l’Europe d’enfin choisir le camp de l’intérêt général contre les intérêts des grands groupes pharmaceutiques.

Nous n’avons plus de temps à perdre, car la levée des brevets n’est pas une fin en soi. Elle est la première étape incontournable pour augmenter massivement la production des vaccins, et faire que chaque producteur qualifié en mesure de contribuer à l’effort ne soit pas empêché à cause des droits exclusifs liés aux brevets. La levée des brevets devra être accompagnée de transferts des technologies et mutualisation des savoir-faire, ainsi qu’un effort de solidarité pour financer l’achat et la distribution des vaccins pour les pays les plus pauvres au sein de l’initiative COVAX.