Covid-19 : tirer les leçons en France et prévenir la crise en Afrique

L’épidémie du Covid-19 a entraîné en quelques semaines une grave crise sanitaire et économique mondiale. Chaque jour, le bilan s’alourdit et le virus se propage dans toute les régions du monde, annonçant un risque de catastrophe humanitaire majeure dans un monde où la moitié de la population n’a pas accès aux services de santé les plus essentiels. La propagation du Covid-19 dans les pays les plus pauvres, en particulier sur le continent africain qui souffre d’une faiblesse chronique des systèmes de santé, doit alerter la communauté internationale. Cette grave crise doit agir comme un électrochoc : en France comme dans le monde, les Etats doivent investir dans le service public de la santé, puissant levier de lutte contre les inégalités et bouclier face aux épidémies.

Depuis le début de l’année 2020 le monde subit une grave crise sanitaire. L’épidémie du Covid-19 a déjà coûté la vie à plus de 14 000 personnes avec plus de 330 000 cas confirmés, principalement en Chine et en Europe, mais s’étendant déjà à plus de 189 pays sur tous les continents. Aujourd’hui, 2,6 milliards de personnes sont confinées dans le monde. En quelques semaines seulement, le virus s’est propagé comme une onde de choc, épuisant systèmes de santé et personnels soignants de nombreux pays.

 

La santé et le service public, des « biens précieux » ?

L’épidémie du Covid-19 coûte des vies chaque jour et met à rude épreuve les systèmes de santé. En France, en Chine, en Italie et dans de nombreux pays, les personnels soignant témoignent d’une saturation des services de réanimation, du manque de matériel et d’un épuisement face à l’afflux de malades. Cette crise nous rappelle tristement, la place cruciale de la santé et des services publics.

Covid-19 : une pandémie en pleine crise de l’hôpital public en France

Bien que la France soit connue pour la performance de son système de santé et des politiques d’accès universel aux soins, le secteur de la santé français connaissait une crise profonde avant l’irruption de la crise du Covid-19. Depuis plus d’un an, de nombreux professionnels de santé tirent la sonnette d’alarme sur l’état du système de santé. En décembre dernier, 660 chefs de service, responsables d’unités de soins et médecins hospitaliers avaient même menacé de démissionner de leurs responsabilités alertant sur « un hôpital public qui se meurt ». Manque de moyens et de matériels, fermetures excessives de lits, surmenage et faible rémunération des soignants, en particulier les infirmier-e-s et aides-soignants, tous dénonçaient une austérité frappant les hôpitaux au détriment de la qualité des soins et de la sécurité des patients. Une étude récente de la DRESS montrait que depuis 2013, la France avait fermé 17 500 lits d’hôpitaux.

 

La France figure parmi les derniers du classement de l’OCDE, 28ème sur 32, en termes de rémunération des infirmier-e-s, profession dont le salaire moyen est inférieur au salaire médian en France. Symptomatique d’un système économique profondément injuste et sexiste qui concentre la richesse dans les mains de quelques hommes, alors que les métiers du soin, à prédominance féminine, sont dévalorisés socialement et financièrement. Rappelons qu’en 2018, le PDG du groupe pharmaceutique Sanofi gagnait ainsi plus de 343 fois le salaire moyen d’une aide-soignante française chargée d’administrer les produits de la marque à des patients.

Des sociologues, Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent, ont analysé dans « La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public » les politiques hospitalières successives, en particulier depuis les années 2000. Ces réformes ont introduit une acculturation de l’univers médical à des logiques managériales et de rentabilité, associée à une concurrence de cliniques privées largement dispensées des obligations de service public. Ces réformes suivent une tendance globale néo-libérale qui pousse les Etats à baisser les dépenses publiques, fragilisant durablement les services publics.

En France, les inégalités face au système de santé

Malgré des politiques d’accès universel à la santé et la mise en place de dispositif tels que la couverture maladie universelle (CMU) et l’aide complémentaire santé (ACS), la France connaît également de fortes inégalités face à la santé. Une étude récente de l’OCDE sur les inégalités sociales et la santé démontrait que 40% des personnes les moins éduquées en France, correspondant aux classe sociales les moins favorisées, estimaient avoir une mauvaise santé, moitié moins pour les populations avec un niveau supérieur d’études.
Ces inégalités se retrouvent en termes d’espérances de vie, la France figurant parmi les mauvais élèves de l’OCDE. Celle des hommes avec un niveau d’études moins élevé est de 6,9 années inférieure à celle des hommes les plus éduqués.

Ces inégalités sont également territoriales, avec de nombreux déserts médicaux en France dans les territoires ruraux et les quartiers populaires. La densité médicale en France est 30% inférieure dans les zones rurales que dans les zones urbaines. La tendance est la même pour certains quartiers prioritaires, comme en Seine-Saint-Denis, particulièrement touchés par le manque de médecins et où le nombre de spécialistes y sont en moyenne trois fois moins nombreux que dans les autres unités urbaines.

Enfin, l’accès aux soins des populations les plus précaires s’aggrave en France. Comme en témoignait l’association de solidarité Médecins du Monde dans son rapport de l’observatoire de l’accès aux droits et aux soins, avec un accès aux soins détérioré pour les populations précaires tels que les sans domicile fixe et les populations migrantes. Le durcissement de l’accès à l’aide médicale d’Etat (AME) pour les personnes étrangères en situation irrégulière apparaît aujourd’hui plus que jamais comme une faute politique et morale et une irresponsabilité en matière de santé publique.

Les leçons à tirer pour le système de santé en France

Dans ce contexte, les mots du président de la République, Emmanuel Macron, lors de son allocution du 12 mars dernier ont une résonance particulière. Le Président a déclaré que nous devrons tirer les leçons de cette crise et interroger notre modèle de développement : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe ». Il appelle ainsi à ce que les biens et les services, tels que la santé, soient placés en dehors des lois du marché.

Ces paroles devront être suivies d’effet et de choix politiques et budgétaires une fois la crise du Covid-19 passée. La France devra apporter une réponse ambitieuse à la crise de l’hôpital public à travers un plan de sauvetage ambitieux, une revalorisation salariale des métiers du soin à prédominance féminine (aides-soignant-e-s, infirmier-e-s etc.), et faire de la défense des services publics une priorité de son action.

Une menace forte planant sur les pays les plus pauvres

La propagation rapide de l’épidémie du Covid-19 à l’échelle mondiale, laisse craindre un risque majeur de catastrophe humanitaire. Alors que l’épidémie du Covid-19 fragilise les systèmes de santé des pays riches, les pays les plus pauvres ne pourront faire face à une épidémie de cette ampleur.

Une faiblesse chronique des systèmes de santé en Afrique

Frappant d’abord la Chine et l’Europe, l’épidémie du Covid-19 a commencé à se propager dans les pays les plus pauvres. Actuellement, on recense près de 300 cas confirmés en Afrique de l’Ouest, dont 99 au Burkina Faso et 79 au Sénégal, avec une évolution rapide du nombre de cas chaque jour. De plus, le déficit structurel de dispositifs de surveillance épidémiologique en Afrique pourrait entraîner une sous-estimation de la propagation du virus sur le continent. Une aggravation de la propagation constitue donc un risque majeur dans des pays où les systèmes de santé souffrent d’une faiblesse chronique.

Cette épidémie nous rappelle tristement la crise Ebola de 2014 qui avait coûté la vie à plus de 11 000 personnes principalement au Sierra Leone, Libéria et Guinée Conakry. La crise avait alors montré l’incapacité des systèmes de santé à faire face et à contrôler la propagation de l’épidémie, dans des pays où une grande partie de la population, en particulier les plus pauvres, n’avait déjà pas accès aux soins.

La situation sanitaire dans de nombreux pays africains, notamment au Sahel était avant la crise déjà fortement préoccupante, avec une faiblesse des infrastructures de santé et un accès réduit aux soins et à des installations sanitaires sûres des populations. En Afrique, plus de la moitié de la population ne bénéficie pas d’une couverture des soins les plus essentiels, au Sahel il s’agit de plus de deux tiers de la population.

Le nombre de personnel soignants est largement insuffisant pour faire face à une épidémie aussi dévastatrice que le Covid-19 : moins de 1 médecin pour 10 000 personnes au Sahel, quinze fois inférieur à la moyenne mondiale, et 32 fois inférieur à la moyenne française – où le système de santé peine déjà à faire face. De même concernant le nombre d’infirmier-e-s : en Afrique, on compte seulement 11 infirmier-e-s pour 10 000 personnes, au Sahel moins de 5, quand la moyenne mondiale est de 35 infirmier-e-s pour 10 000 personnes. Les pays africains ne sont d’ailleurs pas suffisamment équipés du matériel pour faire face au Covid-19. Un article dévoilait l’exemple du Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest ne disposant que d’un seul respirateur dans tout le pays, équipement de soins intensifs au cœur de la réponse à la crise du Covid-19.

Comme dans d’autres pays, la faiblesse des systèmes de santé africains est en partie due aux politiques d’ajustement structurel prônées dans les années 1980 par les institutions financières internationales. En effet, à la sortie de la crise de l’endettement, les institutions internationales avaient conditionné leurs aides financières à des coupes drastiques dans les secteurs sociaux tels que la santé. Aujourd’hui encore, peu de pays africains respectent l’engagement d’Abuja d’allouer au moins 15% de leur budget à la santé. En pleine crise sécuritaire, certains pays, du Sahel notamment, augmentent fortement les dépenses sécuritaires au risque d’accroître leur endettement ou de désinvestir dans leurs politiques sociales. Un sous-investissement incompatible avec le renforcement des systèmes de santé.

Face à la pandémie, l’importance de la solidarité internationale !

Le risque de propagation dans des pays les plus pauvres est très préoccupant. Le contexte de crise sanitaire et économique dans les pays riches ne doit pas se transformer en une crise de solidarité, qui verrait une réduction drastique des budgets de la solidarité internationale à un moment où elle va être plus nécessaire que jamais. Cette crise de Covid-19 nous a déjà démontré que les virus ne connaissent aucune frontière et que l’irruption d’une épidémie à des milliers de kilomètres peut avoir des conséquences dramatiques dans notre propre pays, et demain dans d’autres bien plus fragiles. Le changement climatique risque même d’aggraver ce phénomène de mondialisation des épidémies avec le développement de maladies tropicales telles que la dengue en Europe.

Au-delà d’une mesure de santé publique, l’assistance des pays les plus pauvres à faire face à un risque sanitaire et humanitaire majeur est une exigence morale et politique de solidarité. La France, parmi les principaux pays fournisseurs d’aide internationale, ne respecte toujours pas l’engagement historique d’allouer 0,7% de sa richesse nationale à la solidarité internationale. L’aide française est toujours trop tournée vers des prêts dans les pays à revenu intermédiaire, au détriment de la santé et les secteurs sociaux dans les pays les plus pauvres. Avant la crise du Covid-19, moins de 10% de l’aide française était allouée à la santé, seulement 2% du volume d’activité de l’Agence française de développement (AFD). Largement insuffisant compte-tenu de la situation sanitaire désastreuse dans les pays les plus pauvres.

Comme l’ont déclaré Rémi Rioux, directeur général de l’AFD, et Gilles Bloch, PDG de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le défi du Covid-19 devra également être relevé en Afrique, appelant à soutenir, par la coopération internationale, le renforcement des systèmes de santé. La place de la santé, et plus largement des secteurs sociaux, dans notre politique de solidarité internationale sera donc également une leçon à tirer de cette crise sanitaire majeure.

La future loi pour le développement devra garantir, d’une part l’atteinte de l’engagement des 0,7% au plus vite, mais également des financements suffisants vers la santé, soit au moins 15% de l’ensemble de l’aide, afin d’investir dans des systèmes publics de santé robustes et capables de faire face aux pandémies dans les pays les plus pauvres.

Cette crise nous rappelle, avec dureté, l’importance de défendre nos services publics, financés par une redistribution des richesses juste et une solidarité internationale forte. Oui, nos services publics sont un levier puissant de lutte contre les inégalités et un bouclier face aux crises sanitaires. Et la santé, l’un de nos biens les plus précieux.

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