Jeunes et COVID-19 au Sahel : quand l’entraide devient virale

Coronavirus en Afrique du centre et de l’ouest : de multiples impacts

L’Afrique de l’Ouest et du Centre est frappée à son tour par la pandémie du coronavirus. Elle l’est autant par le virus lui-même – l’on recense 30 058 cas confirmés et 764 décès* dans les douze pays où intervient Oxfam en Afrique de l’Ouest – que par les impacts des mesures barrières sur les populations les plus vulnérables. Les restrictions de mouvements, les fermetures des frontières et des marchés arrivent au pire moment, soit en pleine période de récolte qui mobilise habituellement la main d’œuvre, en particulier des femmes et des jeunes.

Plusieurs se retrouvent sans travail et sans revenu dans un contexte où 66 % de la population active en Afrique possède un emploi vulnérable – et ne dispose pas des ressources suffisantes pour vivre sans travailler au quotidien. Et ce, tandis que le prix des denrées alimentaires monte et que les espaces pour écouler les produits deviennent de plus en plus inaccessibles.

Une jeunesse mobilisée contre la pandémie

Mais pour faire face à la pandémie, l’Afrique de l’Ouest possède un atout de taille : sa jeunesse. 76 % des Ouest-Africains ont moins de 25 ans , ce qui en fait la population la plus jeune au monde. Plusieurs jeunes ne se laissent pas abattre et se mobilisent. Ils font bouger les lignes à leur manière et incarnent l’espoir de lendemains meilleurs.

Nous sommes allés à leur rencontre au Burkina Faso, au Niger, au Mali, au Nigéria et au Tchad. Qu’ils soient des Justiciers du Sahel ou hors Sahel, des battantes et battants, ce sont tous des superhéros aux pouvoirs bien réels qui, en temps de crise, ont choisi de faire partie de la solution.

Salim Azim Assani à Ndjamena
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Crédit photo : Cissé Amadou - Oxfam
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– Malika –
Burkina Faso

« Il est difficile de faire comprendre à quelqu’un qu’on doit lutter contre le COVID-19 lorsqu’il a faim. »

Malika Ouattara, mieux connue sous le nom de « Malika la Slameuse », est une artiste musicienne slameuse au Burkina Faso. Elle met son talent et son énergie au service des causes sociales, non seulement à travers sa musique, mais en tant que présidente de la fondation Slamazone, qu’elle a créé en mars 2019 pour mettre son art au profit des personnes démunies.

Face à la crise du coronavirus, Malika n’a pas perdu de temps pour réadapter ses activités : « Nous faisons de la sensibilisation sur comment éviter la propagation du COVID-19 avec des mesures d’hygiène. Nous avons fait un appel pour l’achat de 10 respirateurs pour le pays. »

Mais les défis sont énormes face à cette crise qui s’ajoute à une situation sécuritaire qui ne cesse de se dégrader et qui a déplacé plus de 840 000 personnes à l’intérieur du pays avec des conséquences humanitaires désastreuses selon le dernier plan de réponse humanitaire. « On parle de la maladie, le virus, mais il ne faut pas oublier que la faim est une maladie elle-même qui tue peut-être beaucoup plus (…) Il y a une crise dans la crise. On est obligé d’élargir nos objectifs et c’est vraiment un gros boulot de se concentrer sur plusieurs problèmes à la fois. »

– Adam –
Mali

« Le virus ne connaît ni riche, ni pauvre, ni jeune, ni vieillard. Il s’attaque à tout le monde. Donc, donnons-nous la main et ensemble luttons pour que ce virus puisse ne pas se propager. »

Adam est une jeune activiste malienne et l’une de nos justiciers du Sahel. Elle lutte pour que les revendications des jeunes soient entendues, et se bat pour la démocratie et la promotion de la citoyenneté.

Face à la crise du COVID-19, Adam vient en aide aux personnes déplacées et aux enfants démunis à travers l’organisation qu’elle a créé, l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD). Elle distribue des kits d’hygiène (savon, gel, gants, etc.), puis elle utilise la web TV et les réseaux sociaux pour faire de la sensibilisation sur la maladie et les mesures d’hygiène pour la prévenir. « Il y a encore des personnes au Mali qui ne croient pas en l’existence de ce virus », explique-t-elle.

Sur sa web TV, Adam interpelle et alerte sur l’impact négatif des mesures barrières sur les petits commerçants ainsi que l’absence de mesures d’accompagnement pour les aider à y faire face : « l’AJCAD invite le Président de la République à revoir la mesure de couvre-feu, voire lever cette mesure. Le couvre-feu n’a pas empêché la propagation du virus. Les habitudes journalières n’ont pas changé, les mosquées sont toujours remplies », fait-elle-remarquer sans détour dans une capsule vidéo de sa web TV.

– Hamzat –
Nigéria

« Le COVID-19 a creusé l’écart d’inégalité au sein de notre société. »

Hamzat est un activiste qui se fait un devoir de veiller à la transparence dans l’utilisation des fonds publics au Nigéria, gouvernement le moins engagé au monde dans la lutte contre les inégalités selon un rapport Oxfam publié en 2019.

Les impacts du COVID-19 ne font qu’amplifier les inégalités : « À ce jour, plus de 100 millions de personnes sont pauvres [au Nigéria] parce que tout le monde est confiné à la maison. » martèle-t-il.

Avec les millions d’euros versés par des individus et organisations – dont l’Union européenne – à l’État du Nigéria pour aider à combattre la pandémie du coronavirus, l’action de Hamzat est d’autant plus nécessaire. Il utilise les outils numériques et réseaux sociaux pour suivre les ressources financières publiques tout en respectant les mesures de confinement et de distanciation sociale : « Il est important de documenter ces dépenses afin qu’après la COVID-19, les citoyens aient accès à des audits et obligent le gouvernement à rendre des comptes. »

L’influence d’Hamzat dépasse les frontières de son pays. Le groupe qu’il avait déjà créé avant la pandémie, Follow The Money, regroupe 6 000 jeunes qui suivent l’utilisation des ressources financières publiques en éducation, eau et assainissement dans 7 pays d’Afrique.

– Dr Rachid –
Niger

« Ce n’est pas loyal, pour un agent de santé de se cacher dans des moments pareils où son expertise est plus que jamais recherchée »

Dr. Rachid est un jeune médecin fraîchement diplômé qui ne se défile pas pour être en première ligne au cœur de la crise de la COVID-19 au Niger. Pourtant, lui et ses jeunes confrères de l’Association des jeunes médecins du Niger sont toujours en attente d’une intégration dans la fonction publique du pays. Or, pas question d’attendre face à la pandémie qui se propage rapidement dans le pays.

« Il est de notre ressort d’accomplir notre devoir en tant que citoyen et venir en aide aux personnes en détresse. »

Dr Rachid prend en charge les personnes infectées par le coronavirus dont celles qui sont rejetées, voire marginalisées au sein de leur communauté en raison du caractère contagieux et virulent de la maladie. Et ce, sans salaire et avec un équipement de protection qui était minimal au début de la crise, l’exposant à des risques élevés de contamination.

Cette motivation, Dr. Rachid la tient du constat de la situation sanitaire dégradante au Niger qui nécessite les efforts collectifs de tous : « nous devons tous mener le combat contre la maladie à coronavirus. ll est de notre ressort d’accomplir notre devoir en tant que citoyen de venir en aide aux personnes malades et chacun dans sa sphère de compétence peut identifier des actions louables visant à réduire la propagation de la maladie. »

– Salim –
Tchad

« La désinformation est pire qu’une pandémie »

Salim est un jeune activiste tchadien qui lutte pour l’accès de tous au numérique. Informaticien, et l’un de nos Justiciers du Sahel, il est le co-fondateur de WenakLabs, une association de jeunes partenaire d’Oxfam qui promeut la citoyenneté active et la démocratie participative à travers l’innovation technologique et l’ouverture des données publiques.

Salim n’a pas mis de temps à réagir à la crise COVID-19. Dès le début de la pandémie au Tchad, il crée l’application mobile « 1313 » pour sensibiliser, informer et lutter contre les fausses informations liées à la COVID-19.

Le terme « 1313 » renvoie à la ligne d’information mise en place par le Ministère des postes et des nouvelles technologies du Tchad et avec qui Salim a noué un partenariat qui lui a permis d’intégrer la cellule nationale en charge de la veille et de la sécurité sanitaire. « Toutes ces actions ont été menées de manière désintéressée, parce que conscient de ce que cette pandémie est en train de causer à notre génération. Et ce n’est qu’ensemble, en nous mobilisant tous que l’on pourra faire barrière à cette pandémie. »

Une fougue contagieuse

Ces initiatives ne sont qu’un échantillon. Le dynamisme et l’entraide parmi les jeunes en Afrique de l’Ouest sont contagieux et se répandent vite en période de crise de la COVID-19. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller jeter un coup d’œil sur le tableau de bord de l’engagement communautaire COVID-19 dans la région.

Une mention spéciale aux Africtivistes qui continuent à défendre les valeurs démocratiques, les droits humains et la bonne gouvernance à travers le numérique en adaptant au contexte de la COVID-19.
Ils préparent notamment, en lien avec Oxfam, une cartographie des initiatives de jeunes en lien avec la COVID-19 en Afrique de l’Ouest afin de les valoriser auprès de la population et des structures de gouvernance locales et régionales, de même que pour créer un réseau d’échange et d’inspiration stimulant l’engagement citoyen des jeunes.

* OMS, Coronavirus disease (COVID-19) Situation Report 135, 03 Juin 2020.