La protection sociale en santé peut-elle être universelle ?

Charlotte Soulary, chargée de plaidoyer santé d’Oxfam France, est au Forum Social à Tunis pour échanger et travailler sur les questions de couverture universelle en santé. Elle a co-organisé une table ronde sur le sujet, avec de nombreuses associations africaines.

Les initiatives actuelles autour de la protection sociale en santé prolifèrent, de l’Organisation internationale du travail avec son « socle de protection sociale » à la Banque mondiale et l’Union européenne, en passant par l’OMS. Il était donc logique d’en faire le cœur de nos échanges lors du 5ème forum social en santé et protection sociale, organisé à Tunis en amont du FSM, lors duquel Oxfam France a organisé avec ses partenaires la table ronde sur l’Afrique.

Une protection sociale basée sur l’individu ou sur la société ?

Margaret Thatcher disait « la société n’existe pas, il n’y a que des individus ». La logique de la protection sociale telle qu’elle se développe dans les politiques récentes de couverture universelle en santé est empreinte de cet individualisme : vous êtes protégé au niveau auquel vous contribuez. Les expériences des participants des quatre coins du monde sont autant de témoignages. Ainsi, au Ghana, comme nous l’explique Sidua Hor, qui a mené campagne dans son pays pour la gratuité des soins : alors que l’ensemble de la population contribue au financement de la protection sociale via la TVA, chacun-e doit tout de même acheter une carte d’adhésion pour pouvoir bénéficier des services de santé gratuitement. Or, une grande partie de la population est dans l’incapacité financière de payer cette adhésion. Le Ghana se retrouve donc avec un système de santé à deux vitesses. Ceux qui peuvent payer bénéficient d’une protection sociale, les autres restent sans solution face à des dépenses de soins inabordables.

Fragmentation des droits, catégorisation des populations

Cette individualisation de la protection sociale en santé est la conséquence d’une stratégie de fragmentation des droits. Comme nous l’explique Armando de Negri, le fondateur du forum social en santé et protection sociale, « l’idéologie néolibérale nous impose de fragmenter les droits et d’adopter un langage très lié à la pauvreté, au lieu de parler de distribution de la richesse. Ne plus parler de paquets de soins, de minimums sociaux, de socles ni de filets de protection sociale, mais développer un projet universel qui est nécessairement égalitaire, voilà notre projet. » L’exemple de la politique de gratuité des soins pour les personnes âgées au Sénégal, présenté par Maguette Sy du COSEPRAT et Cheikh Athié d’AcDev, est éclairant. Les personnes âgées de plus de 60 ans représentent 7% de la population sénégalaise. Celles-ci bénéficient des consultations gratuites. Mais encore faut-il avoir les moyens de payer les médicaments prescrits lors des consultations. Et encore faut-il habiter non loin d’un hôpital, seul lieu où les soins spécialisés existent. L’exemple du Niger est flagrant à cet égard, puisque 50% de la population habite à plus de 5 km d’un centre de santé. Les soins ont beau être gratuits, seule une faible partie de la population, celle qui habite en ville, y a accès. La conclusion d’Ibrahim Diori d’AEC Niger, est sans appel : le droit de toutes et tous à la santé et à la protection sociale n’est pas respecté tant que la gratuité des soins n’est pas universelle et accompagnée du renforcement des systèmes de santé.

 

 

Le débat de l’universalisation du droit à la santé est très difficile dans les pays considérés comme « pauvres », dans lesquels le droit à la santé apparait comme un luxe. Comment parler de droit de toutes et tous à la santé lorsque l’on classe les populations en catégories ? Femmes enceintes, personnes vivant avec le VIH, enfants de moins de 5 ans, personnes âgées, indigents : les populations, classées par types de maladie ou caractéristiques, bénéficient de soins gratuits lorsqu’elles sont identifiées comme « vulnérables » ou davantage « à risque ». Ces politiques de gratuité relèvent davantage de la charité que d’une solidarité nationale basée sur la redistribution des richesses.

Tous invités au diner, mais chacun aura son propre menu

Qu’est ce que la couverture universelle en santé ? Alors que le consensus international se dégage en faveur de ce nouvel objectif, la question majeure est celle de la définition à en donner. S’agit-il de la mise en pratique du droit de toutes et tous à la santé et à la protection sociale ? Ou s’agit-il de fournir à toutes et tous un paquet minimum de soins via des mécanismes différenciés de protection sociale ? Car si chacun a accès à des soins différents en fonction de sa capacité à contribuer financièrement, il ne s’agit plus de droit à la santé mais d’individualisation de l’accès aux services de santé, en fonction de ses moyens. L’universalité qui nous est présentée ici signifie bien que tout le monde va être inclus, mais, comme le souligne Francine Mestrum du mouvement Global Social Justice, si « tout le monde va être invité au diner, on ne va pas tous manger la même chose » : si je peux payer, alors j’aurais le paquet complet, sinon j’aurais un paquet minimal. Cela amène à classer la population en plusieurs catégories de citoyens. Tout le contraire de l’idée d’un droit à la santé pour toutes et tous.

Pour une protection sociale universaliste

Pour la société civile, le défi est d’arriver à placer au cœur des débats sur la couverture universelle en santé le principe de redistribution des richesses. Chacun doit pouvoir contribuer en fonction de ses moyens, et bénéficier d’une protection en fonction de ses besoins. Voilà le principe auquel nous devons nous conformer dans tout projet de couverture universelle en santé. Le concept et les politiques de protection sociale doivent être repensés pour protéger réellement tout le monde. Pour cela, il est nécessaire de les envisager dans un espace collectif, la société ; dont l’Etat garantit les droits humains, y compris les droits économiques et sociaux. La protection sociale n’est pas une politique corrective mais un projet de société.