Le spectre d’ACTA plane encore sur les médicaments génériques

Début juillet, le Parlement européen a rejeté à une écrasante majorité l’accord commercial anti-contrefaçon ACTA. Pour autant, ce traité, qui fait peser de nombreux dangers sur les libertés individuelles mais aussi sur la santé publique, est loin d’être mort et enterré.

Négocié dans le plus grand secret par l’Union européenne, les États-Unis, l’Australie, le Canada, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour et la Corée du Sud, ACTA a déjà été signé par ces 8 pays ainsi que par tous les Etats membres de l’UE sauf Chypre, l’Estonie, la Slovaquie, l’Allemagne et les Pays-Bas. Karel De Gucht, le commissaire européen au commerce, a pris fait et cause pour ACTA et prône son adoption avec acharnement. Pour Oxfam, la Commission européenne et l’ensemble des pays membres de l’UE doivent respecter la décision du Parlement, seule représentation démocratique de l’UE et ne pas tenter de réintroduire, sous une forme ou une autre, une nouvelle version du traité.

Pourquoi ACTA et ce genre de réglementation sont-ils si dangereux ?

Sous couvert de lutter contre la contrefaçon, ACTA ferait passer des intérêts commerciaux avant l’intérêt des populations et les libertés individuelles. Si l’attention des médias et du public s’est beaucoup focalisée sur la menace que représenterait ACTA pour la neutralité du net, cet accord mettrait aussi en péril l’accès aux médicaments génériques de millions de personnes vivant dans la pauvreté dans le monde entier. En termes de santé publique, il est primordial de lutter contre la contrefaçon : les médicaments contrefaits sont de faux médicaments, sans effet thérapeutique et parfois dangereux pour la santé. Mais la contrefaçon, c’est-à-dire « l’utilisation délibérée et frauduleuse d’une marque commerciale dans le but de tromper les consommateurs », tombe déjà sous la juridiction de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il n’y a donc pas besoin d’ACTA pour lutter contre la contrefaçon. ACTA est dangereux parce qu’il considère par défaut toute copie d’un produit comme de la contrefaçon. Or les médicaments génériques sont des copies de produits « de marque » commercialisés par des laboratoires pharmaceutiques. Ils contiennent exactement la même substance active que leurs équivalents de marque et peuvent avoir des noms similaires, parce que basés sur le nom scientifique de la molécule. Pourtant les génériques n’ont rien en commun avec des médicaments contrefaits : ils sont produits en toute légalité (soit parce que le brevet est arrivé à expiration, soit parce qu’il n’y a pas de brevet en cours), et passent des tests de bioéquivalence pour vérifier que leur efficacité est la même que leurs équivalents de marque. ACTA crée un amalgame intellectuellement malhonnête entre générique et contrefaçon.Un amalgame dangereux lorsqu’il est question de santé publique et que sont mis sur un même plan faux médicaments et copies génériques de qualité. Cette confusion volontairement entretenue par le traité donnerait aux fabricants de marques le pouvoir disproportionné d’empêcher la circulation de génériques sur un simple soupçon d’infraction à leurs droits de propriété intellectuelle. Des médicaments génériques de qualité pourraient être ainsi retirés du marché, privant ainsi les malades des pays appliquant ACTA de médicaments de qualité à des prix abordables. Si ACTA n’est encore appliqué par aucun pays, une réglementation douanière de l’UE comporte déjà de nombreuses dispositions proches de celles de ACTA. Sur la base de ce texte, en 2008, 2009 et en 2011, au moins 20 chargements de médicament génériques, produits en Inde et en Chine, et destinés à des pays à faible revenu, ont été saisis sur le territoire de l’UE par des agents des douanes. Ces médicaments qui étaient juste en transit par des ports européens ont été ainsi injustement bloqués et parfois détruits sans compensation. L’Inde et le Brésil ont remis en cause cette réglementation qui fait obstacle au commerce des médicaments génériques auprès de l’OMC. Elle fait actuellement l’objet d’une révision afin d’éviter d’autres saisies abusives de ce genre à l’avenir. Pire, les règles définies dans ACTA sont telles qu’elles pourraient également impacter des pays non signataires. En effet, cet accord s’applique aussi aux produits qui ne font que transiter par un pays signataire ! Autrement dit, des médicaments génériques ayant été légalement fabriqués dans un pays, en route vers un autre pays où leur commercialisation ne constitue pas non plus une infraction au droit de propriété intellectuelle, pourraient être saisis, voire détruits, dans un pays signataire d’ACTA en tant que « contrefaçons ». Autre disposition inquiétante du traité : la simple vente d’ingrédients permettant de fabriquer des médicaments génériques pourrait, au regard d’ACTA, entrainer une responsabilité pénale et civile, si le produit fini est considéré comme une contrefaçon. Même des organisations humanitaires reconnues, telle que Médecins sans frontières (MSF) qui distribue et transporte des médicaments génériques dans le cadre de ses programmes dans les pays en développement, pourraient se voir accuser de complicité de contrefaçon. Une menace qui risque de dissuader les laboratoires de fabriquer des médicaments génériques. Loin de protéger les consommateurs des dangers des médicaments contrefaits, ACTA freinerait la circulation de médicaments de qualité à des prix abordables, une question de vie ou de mort pour des millions de malades pauvres.

Aller plus loin

Voir nos dernières actus sur ACTA – Découvrir notre travail sur les questions de santé – Consulter également Global Health Check, le blog d’Oxfam spécialisé sur l’accès aux soins et le financement de la santé (articles en anglais et en français)