« Let’s make money » : un réquisitoire contre l’argent fou

Après We Feed the World, film événement sur les dérives de l’industrie alimentaire, le réalisateur Erwin Wagenhofer revient avec un nouveau documentaire intitulé Let’s Make Money, une démonstration implacable sur les conséquences humaines, démographiques et écologiques de la dérégulation économique. Une fascinante plongée au coeur du système financier mondial.

C'est l'histoire de deux mondes qui s'interpénètrent sans jamais se rencontrer. Dans l’un, on ramasse du coton ou on casse du minerai, dans l’autre, on « fait » de l’argent. Entre les deux, une passerelle à sens unique, qu’empruntent les flux invisibles de la finance mondiale. Une frontière immatérielle et pourtant infranchissable, qui concentre entre les mains de 10% de la population mondiale 80% des richesses, et les sépare du reste de l’humanité.

Deuxième long métrage du réalisateur autrichien Erwin Wagenhofer, auteur de We Feed the World, film événement sur les dérives de l’industrie alimentaire dont nous avions déjà soutenu la sortie en en France en 2007, Let’s make money, dans les salles depuis le 15 avril 2009 et sélectionné au festival de Sundance, est une dénonciation de l’argent fou. Une démonstration implacable sur les conséquences humaines, démographiques et écologiques de la dérégulation économique, notamment sur les pays pauvres, un voyage à travers les folles dérives du capitalisme financier.

Une machine à produire des inégalités

Des mines d'or du Ghana aux banques londoniennes, des champs de coton du Burkina Faso aux gratte-ciel de Singapour, des bidonvilles de Madras aux plages de Jersey, le cinéaste s’attaque à l’opacité d’un système complexe dont il tente de démonter les mécanismes tortueux et de montrer toute l’iniquité.

Le film reflète, par sa construction, la juxtaposition d’univers que tout oppose, Nord et Sud, riches et pauvres, investisseurs et paysans, hommes d’affaires et enfants des rues… Il enchaîne plans-séquences et témoignages multiples, qui illustrent les risques d’une économie sans garde-fous et les méfaits du néolibéralisme triomphant : spéculation effrénée, investissements fictifs, chantage économique, évasion fiscale, surexploitation de la main d'oeuvre, pays du Sud ruinés par le protectionnisme occidental, privatisation des services publics, pollution…

Le vertige des chiffres

Il en montre aussi les aberrations. Dans l'industrie cotonnière, les subventions accordées aux agriculteurs américains empêchent les pays du Sud d’accéder au marché mondial et coûtent par exemple au Burkina Faso 80 milliards de dollars par an, un manque à gagner dont le montant est quatre fois supérieur à la somme que perçoit ce pays sous forme d'aide.

Autre scandale, on estime qu’actuellement plusieurs milliers de milliards de dollars dorment à l’ombre des paradis fiscaux où ils échappent à toute forme de taxe. Si cette richesse était imposée au taux très modéré de 30%, les gouvernements du monde entier toucheraient 250 milliards de dollars de recettes annuelles supplémentaires, qu’ils pourraient dépenser pour endiguer la pauvreté et atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement de l’ONU…

Au-delà du vertige procuré par de tels chiffres, le film de Wagenhofer cherche à interpeller le citoyen ordinaire, mais aussi le simple contribuable. Celui dont l’argent, une fois déposé en banque, est introduit dans le circuit monétaire international et contribue, sans qu’il le sache, à alimenter un système qui, à l’échelle du globe, ne profite qu’aux populations riches d’Etats privilégiés. Plaidoyer pour une redistribution équitable des richesses, ce film engagé est avant tout un bel hommage aux valeurs citoyennes de l’information.

Morceaux choisis…

« Je ne pense pas que l’investisseur doive être responsable de l’éthique, de la pollution ou de quoi que ce soit que produise la compagnie dans laquelle il investit. Ce n’est pas son boulot. Son boulot est d’investir et de gagner de l’argent pour ses clients« , Mark Mobius, président de Templeton Emerging Markets.

« Si nous ne créons pas un nouveau mode de répartition des richesses, ce qui a abouti à la Seconde Guerre mondiale se reproduira sous une autre forme. C'est une nouvelle ère de barbarie qui s'ouvrira« , Hermann Scheer, lauréat du prix Nobel alternatif et député allemand.