L’hôpital « modèle » qui saigne le Lesotho

Le Lesotho est l’un des pays les plus pauvres du monde : plus de la moitié de la population y vit sous le seuil de pauvreté. L’espérance de vie ne dépasse pas les 50 ans, 10 ans de moins qu’en 1990 et le pourcentage de personnes infectées par le VIH y est le troisième plus élevé au monde.

En 2009, le Lesotho s’est lancé dans un gros investissement de santé publique, sous la forme d’un partenariat public-privé. Bonne nouvelle ?

Depuis de nombreuses années, des institutions internationales comme la Banque mondiale ou l’OMS vantent les mérites des partenariats public – privé (appelés familièrement les "PPP") pour développer des services de santé dans des pays en développement. Concrètement, l’Etat  passe un contrat, le plus souvent sur de nombreuses années, avec une entreprise du secteur privé pour construire et exploiter un établissement public, comme par exemple un hôpital.

C’est la solution qui a été choisie pour le Queen Mamohato Memorial Hospital, un nouvel hôpital dans la capitale du Lesotho, en Afrique australe.
Cet hôpital de 425 lits a été construit, financé et exploité dans le cadre d’un partenariat public-privé de 18 ans entre l’Etat et un consortium appelé Tsepong Ltd (dont Netcare, géant sud-africain des soins de santé, est actionnaire). Ouvert en 2011, il est le premier du genre dans un pays à faible revenu.

Le projet a reçu le soutien de la Société financière internationale (SFI), la branche d’investissement du secteur privé de la Banque mondiale, qui a reçu 723 000 dollars pour ses conseils.

1 hôpital, 425 lits, plus de la moitié du budget santé

Oxfam et l’Association de protection des consommateurs du Lesotho ont étudié le cas de cet hôpital et ont calculé qu'il coûte trois fois plus que celui qu’il remplace. Les frais de fonctionnement et d’emprunt de ce centre hospitalier ont littéralement explosé : à 67 millions de dollars par an, ils représentent 51% du budget national de la santé.

En outre, le nouvel hôpital ne fonctionne pas comme un hôpital universitaire à part entière, comme cela avait été prévu. À ce jour, aucun étudiant en médecine n'a été formé. Mais pour Tsepong Ltd, pas de quoi se plaindre : le retour sur investissement est de 25% !

Selon la SFI, le nouvel établissement constitue une nette amélioration, avec une réduction de 41% du taux de décès par rapport à celui de l’ancien hôpital. Le nouvel hôpital a certes réduit de 10% la mortalité maternelle à Maseru, la capitale, mais les trois quarts de la population vivent en zone rurale où la pauvreté est 50% plus élevée qu’en ville. Quatre fois plus de femmes enceintes meurent dans les régions rurales pauvres que dans la capitale.

Un hôpital qui gangrène tout le pays

Les effets de ce nouvel hôpital se font sentir bien au-delà de la capitale : pour faire face à la crise du financement de la santé dans le pays, il est déjà envisagé de réintroduire et d'augmenter les paiements directs par les usagers dans certains établissements. Premiers touchés : les Basothos (habitants du Lesotho) qui vivent sous le seuil de pauvreté dans les zones rurales et qui ont déjà peu ou pas accès à des soins de santé décents.

Un tel recul serait dévastateur pour le Lesotho. Cela exacerberait plus encore les inégalités et réduirait l'accès aux soins de santé pour la majorité de la population. Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a récemment affirmé que les paiements directs des soins de santé par les usagers étaient à la fois "injustes et inutiles".

Enrayer l’épidémie des PPP en santé

La SFI, qui considère le Queen Mamohato Memorial Hospital comme un fleuron du système de santé africain, fournit à présent des conseils (rémunérés, bien sur) dans le cadre de projets analogues au Bénin et au Nigeria. Pourtant, l’exemple du Lesotho démontre les dangers du modèle proposé.

Le soutien à ce partenariat public-privé est en contradiction avec les propres recommandations de la Banque mondiale selon lesquelles le Lesotho doit accorder la priorité à la santé et à la nutrition dans ses régions rurales, où les ressources continuent de manquer.

Les expériences en matière de PPP menées dans différents pays mettent en lumière une tendance d'augmentation des coûts par rapport aux voies d'approvisionnement classiques, des compromis sur la qualité, des difficultés pour préparer les installations aux exigences de demain, ainsi qu'une complexité rédhibitoire dans bien des cas.

Oxfam et l’Association de protection des consommateurs du Lesotho réclament l’ouverture d’une enquête sur les raisons pour lesquelles la SFI a exposé le Lesotho à un contrat de longue durée si risqué et si coûteux et appellent la Banque mondiale à suspendre, d’ici là, toutes les activités de la SFI en faveur de PPP dans le secteur de la santé.