Pour ne jamais avoir à choisir entre santé, éducation et alimentation

Pensez-vous un jour devoir choisir entre vous faire soigner, nourrir votre famille, ou envoyer vos enfants à l’école ? C’est pourtant l’arbitrage auquel sont confrontées les familles dans de nombreux pays. Ce n’est pourtant pas une fatalité car des solutions existent : la Couverture Santé Universelle (CSU) permet en effet aux personnes de faire face aux accidents de la vie sans avoir à se priver de leurs droits fondamentaux.

Il y a deux ans jour pour jour, les Etats votaient à l’unanimité dans l’enceinte des Nations unies une résolution exhortant les Etats, les organisations de la société civile et les organisations internationales à promouvoir la Couverture Santé Universelle (CSU). Elle visait à promouvoir la mise en place dans chaque pays d’un système de soins de qualité couplé d’une protection sociale en santé. Alors deux ans après ce vote, quelle portée a eu cette résolution dans les politiques nationales de santé ? Quels rôles ont joué les pays bailleurs et les institutions internationales et, plus important encore, quel a été l’impact pour la santé des populations ?

La CSU n’est pas un luxe réservé aux pays riches

Aujourd’hui, plus de 70 pays dans le monde, dont 30 parmi les plus pauvres, ont adopté d’ambitieuses politiques de Couverture Santé Universelle. Au Sénégal, où 60% de la population vit avec moins de 2$ par jour et seulement 20% bénéficie d’une couverture maladie, le gouvernement s’est fixé en 2013 l’objectif d’étendre la couverture à 75% de la population d’ici 2017.

La CSU est une politique ambitieuse, mais elle n’est pas l’apanage des pays riches. Elle résulte avant tout de la volonté politique de construire des sociétés plus justes, volonté qui doit se traduire en actes concrets : un dispositif qui couvre, tant financièrement que géographiquement, l’ensemble de la population, dont les plus vulnérables ; la mobilisation de ressources humaines et financières suffisantes ; et la diffusion de l’information autour de ces droits auprès des bénéficiaires.

La société civile, comme l’Institut Panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV), un de nos partenaires, a un rôle clef à jouer pour que soient respectés les principes d’égalité, d’équité et d’universalité. Au Sénégal, s’il faut encourager l’effort du gouvernement, il faudra aller plus loin pour garantir l’universalité : seulement certaines catégories de population (enfants de moins de 5 ans, personnes âgées)  et certaines maladies qui sont couvertes.

Le volet financier, source de tensions

Selon le Ministère de la santé et de l’Action Sociale du Sénégal, sur les 25 milliards FCFA (38 millions d’euros) nécessaires pour atteindre l’objectif annoncé par le gouvernement sénégalais, seulement 6 milliards de FCFA  (9 millions d’euros) y ont été alloués en 2014, en dehors des fonds alloués aux autres politiques de gratuité (carte d’égalité de chance pour les handicapés, Plan SESAME pour les plus de 60 ans, la césarienne et les enfants de moins de 5 ans). Des réflexions sont en cours pour mobiliser des ressources supplémentaires, car en 2012, la santé ne représentait que 5% de la richesse nationale (OMS). Un budget encore loin de respecter l’engagement pris par les gouvernements africains à Abuja en 2001 de consacrer 15% des budgets nationaux à la santé. Des réflexions sont en cours pour mobiliser des ressources supplémentaires. La mise en place d’un impôt véritablement progressif serait une solution pérenne.

La France réduit son soutien

Malheureusement cette augmentation des ressources nationales ne pourra se faire du jour au lendemain et d’ici là les financements extérieurs continueront de jouer un rôle décisif. Aujourd’hui l’aide publique au développement (APD), représente une part critique des dépenses de santé – 19% au Sénégal. La France, fervente défenseuse de la CSU sur la scène internationale fait le choix de coupes drastiques depuis quelques années sur son aide extérieure : moins 9,8% en 2013 (alors même que son volume augmentait de 6,1% au niveau mondial). Si la tendance se poursuit, on peut s’attendre à une chute des crédits budgétaires de 20% entre 2012 et 2017. Une tendance d’autant plus inquiétante que la France ne consacre que 0,5% de son APD santé à la protection sociale (23 millions d’euros entre 2006 et 2010). Il y a bien sûr eu des signes encourageants, comme en 2013 les 30 millions d’euros issus de la taxe sur les transactions financières (TTF) pour l’Initiative Solidarité Santé Sahel en faveur de la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans, répartis entre cinq pays. Mais cela ressemble davantage à un coup politique qu’une véritable stratégie de soutien aux politiques de CSU dans les pays. Deux ans après l’annonce seuls 12 millions ont été octroyés. Alors que la France célèbre cet anniversaire, on s’inquiète que le discours officiel sur la CSU associé à l’objectif de mobilisation des ressources nationale dans les pays, ne soit utilisé pour venir légitimer des coupes toujours plus importantes dans les budgets de l’aide internationale en santé.

Pourquoi si peu d’investissements ? La rengaine de la crise économique tourne en boucle. Les politiques d’austérité mettent à mal les politiques publiques de redistribution, nationales et internationales, pourtant garantes de l’accès aux services essentiels pour toutes et tous. Même dans les pays riches, les inégalités économiques se creusent et avec elles, les inégalités d’accès à la santé. Pourtant c’est justement lors des crises, que ces politiques de redistribution permettent aux populations d’affronter les chocs.

Les gouvernements doivent se mobiliser aujourd’hui et pour les 15 années à venir

Comme le soulignait récemment Joseph Stiglitz à propos d’une autre crise qui sévit, elle, en Afrique de l’Ouest : la crise d’Ebola nous rappelle l’importance des gouvernements et de la société civile. Car ce sont eux qui se mobilisent depuis plusieurs mois pour prendre en charge les malades et enrayer l’épidémie. Il est grand temps de faire preuve de cohérence et de ne pas couper les ressources précieuses, qui leur permettent d’agir.

Aujourd’hui, les ministres du Développement se réunissent à Bruxelles pour étudier la réponse à court terme et à moyen terme de l’Union européenne à Ebola, mais également pour examiner les travaux en cours pour définir les objectifs internationaux de développement durable des 15 années à venir. Cette rencontre doit être l’occasion de défendre les politiques publiques de redistribution que sont l’aide publique au développement, en faveur notamment de la CSU pour qu’elle ne reste pas confinée aux déclarations politiques et résolutions internationales, mais devienne une réalité pour les  populations.