Vers des politiques de santé globales

La lutte contre le sida a ouvert la voie à une profonde réflexion sur l’organisation et le financement des politiques de santé. Elle a aussi montré les limites d’un raisonnement purement vertical. La lutte contre le sida ne peut être efficace que dans le cadre d’une politique de santé globale, mais une politique qui respecte les acquis de ces vingt dernières années.

Les programmes de la Banque mondiale puis la création en 2002 du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont eu deux effets majeurs dans la lutte contre le sida. Tout d’abord, grâce à la hausse des financements, des millions de personnes séropositives ont été mises sous traitement et bénéficient d’un suivi thérapeutique. Le second changement touche à la gouvernance de la santé. Elle a été profondément modifiée suite à la mise en place par le Fonds mondial d’instances de coordination nationales, dans lesquelles des représentants de la société civile et des personnes vivant avec le VIH ont pu participer aux orientations et aux décisions dans leur pays. De son côté, la Banque mondiale a aussi favorisé la création de conseils nationaux de lutte contre le sida, des organes de coordination multisectoriels rattachés directement à la présidence ou au Premier ministre. Cette action d’ampleur contre l’épidémie a été à la fois un vecteur de changement et un révélateur des limites et des failles des systèmes de santé. En prenant l’efficacité comme prisme, comment concilier réponse à l’urgence et réponse de long terme?

Verticalité versus intégration

Dans de nombreux pays, les programmes de lutte contre le VIH ont été organisés selon un schéma vertical, avec des structures organisationnelles parallèles, rapportant directement à la présidence ou à la primature, sans rendre compte au ministère de la Santé. Or, la lutte contre le sida est indissociable des autres politiques de santé. La prévention, si elle passe par des actions ciblées vis-à-vis des groupes les plus touchés par le sida, doit aussi se faire au quotidien, dans les centres de santé, dans les centres pour les jeunes ou encore lors des consultations prénatales pour les femmes enceintes, afin de prévenir la transmission mère-enfant. Mais combien de femmes ont réellement accès à ces consultations ? Éloignement géographique, frein financier, manque de personnel de santé, non-autonomie décisionnelle, les barrières à l’accès aux services de santé sont nombreuses. Les expériences de prise en charge des personnes vivant avec le VIH nous montrent aujourd’hui à quel point il est essentiel de renforcer les différentes composantes des systèmes de santé. Par exemple, si le prix encore élevé des traitements pour les personnes séropositives focalise l’attention, à juste titre, le coût de la prise en charge va bien au-delà. Consultations médicales, examens diagnostics, traitements complémentaires, hospitalisations, déplacements… autant de dépenses que les patients doivent souvent assumer seuls. Pourtant, dans la lutte contre le sida, les politiques de gratuité sont concentrées sur les traitements, mettant de côté ces autres coûts qui déterminent largement la capacité des malades à se soigner efficacement. C’est pourquoi il est nécessaire d’aborder la question de l’élargissement de l’accès à la prise en charge globale. Or, cette dernière ne peut se faire sans une intégration des initiatives de gratuité des traitements dans des politiques globales de couverture maladie.

Le renforcement des systèmes de santé

C’est ce que souhaite faire Macky Sall, nouveau président du Sénégal, pour que son pays parvienne à l’objectif de couverture maladie universelle. Le Sénégal a été le premier pays africain à rendre gratuits les traitements antirétroviraux (ARV), dès 2003, tout comme les bilans sanguins des personnes séropositives, les tests de dépistage et les traitements pour plusieurs infections opportunistes. L’État sénégalais couvrirait ainsi 84 % des coûts à la charge des patients. Les patients doivent continuer, malgré tout, de payer les consultations, les frais d’hospitalisation, les examens biologiques et de nombreux médicaments. Pour le Sénégal comme pour de nombreux autres pays, coordonner les mécanismes de gratuité existants au sein d’une seule et même structure de gestion, renforcer les systèmes d’information et d’approvisionnement en médicaments et améliorer la politique de ressources humaines en santé sont de véritables enjeux. Faisant le constat que les contraintes auxquelles sont confrontés les programmes verticaux sont moins liées au contenu technique qu’aux faiblesses des systèmes de santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a plaidé ces dernières années pour des programmes de santé renforcés, s’appuyant sur six points : les ressources humaines, les structures de soins, la pharmacie, les systèmes d’information sanitaire, les organes de coordination et le financement de la santé. Des mécanismes de renforcement des systèmes de santé, basés sur un financement équitable, sont en effet nécessaires pour faciliter l’accès aux soins, aux consultations et à la prévention et pour lutter plus efficacement contre le sida. Comme le souligne Jean-Paul Moatti, économiste de la santé : «Qu’on le veuille ou non, la lutte contre le sida, et notamment l’accès massif aux ARV, reste inspirée d’une aide humanitaire d’urgence se prolongeant dans le temps. » Il est plus que temps de passer à une lutte de long terme, intégrée et globale contre une pandémie qui concerne l’ensemble des systèmes de santé. Article écrit à quatre mains par Charlotte Soulary, chargée de plaidoyer santé pour Oxfam France, et Louis Pizarro, directeur général de Solthis, paru dans le dossier spécial consacré à la lutte contre le Sida du numéro de décembre 2012 d’Altermondes.

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