Zambie, première victime de la crise de la dette

La Zambie, pays du sud de l’Afrique coincé entre la RDC, l’Angola, le Zimbabwe et le Mozambique, est en passe de devenir le premier pays africain à faire officiellement défaut sur sa dette extérieure. La banque centrale a en effet déclaré le 18 novembre que le pays n’est plus en mesure de rembourser ses créanciers alors que la pandémie provoque une crise économique et sociale extrêmement forte sur le continent. La Zambie pourrait dès lors devenir le premier domino à tomber d’une série de défauts de paiement en cascade à venir, en Afrique et dans nombre de pays à travers le monde.  

Pourquoi la dette zambienne est-elle devenue insoutenable ?

Une tension croissante sur la dette depuis plusieurs années

Selon les données de la Banque mondiale, le total de la dette extérieure du pays s’élevait fin 2019 à 27,3 milliards de dollars contre 15,2 milliards fin 2016. Sur ce total, la dette contractée auprès du secteur privé, s’établit à 14,7 milliards de dollars.

La dette zambienne a donc connu une hausse très rapide ces dernières années. Or en 2020, compte tenu de la crise sanitaire, le pays devrait subir, pour la première fois depuis 1998, une baisse de son PIB. La goutte de trop pour ses finances publiques.

En effet, la Zambie est un pays aux ressources limitées. Le pays est le deuxième plus grand producteur de cuivre d’Afrique, et comme les prix du cuivre ont chuté au cours des trois dernières années, il est devenu de plus en plus difficile d’assurer le remboursement de sa dette. Une situation qui s’est évidemment aggravée avec la crise liée au coronavirus. Son PIB devrait au final reculer de 4 % en 2020 après une hausse de 1,7 % l’année dernière et de 4 % en 2018.

La Banque africaine de développement (BAD) a évalué la dette publique zambienne à 80 % de son PIB en 2019, contre 35 % fin 2014. A titre de comparaison, la dette de la France devrait atteindre 119,8% du PIB en 2020.

Alors que la Zambie se débattait déjà avec le poids de sa dette extérieure depuis des mois (le FMI avait déjà classé le pays en risque « très élevé de surendettement » dès août 2019), le coronavirus a aggravé les pressions financières préexistantes dans le pays.

La dette publique extérieure zambienne a particulièrement augmenté vis-à-vis de la Chine, dont l’encours représente plus de 30% du total. Le pays s’est également énormément financé depuis 10 ans par le biais d’euro-obligations.

L’euro-obligation (ou eurobond en anglais) est un emprunt émis par un pays sur les marchés financiers, libellée dans une monnaie différente de celle du pays en question. Par exemple, la Zambie dont la monnaie est le Kwacha zambien, emprunte des euros ou des dollars sur les marchés financiers. C’est donc un moyen d’emprunt auprès de créanciers privés comme des grandes banques ou des fonds d’investissement.

Le pays a émis sa dernière euro-obligation en 2015, avant que sa dette ne commence réellement à devenir hors de contrôle. Depuis de nombreux projets d’infrastructure du pays ont été financés par des prêts chinois dans le cadre de la vaste initiative des « routes de la soie » de Pékin.

Et ce sont des taux d’intérêts insoutenables demandés par la Chine et des créanciers privés peu scrupuleux qui ont fait plonger le pays. Ainsi l’euro-obligation, dont le pays n’est pas parvenu à régler l’échéance en novembre, applique un taux d’intérêt de 8,5%. A titre de comparaison les pays de la zone euro empruntaient en moyenne en 2019 à un taux de 0,6% ; la France elle emprunte à un taux proche de 0, voir négatif.

Le remboursement de la dette totale du pays en 2020 s’élève à 4 milliards de dollars. Evidement cette somme n’a cessé de croître depuis 10 ans. Le seul paiement des intérêts a même dépassé le budget dédié à l’éducation en 2017 et n’a cessé de croître depuis. L’analyse du budget du pays nous montre qu’il dépense annuellement en remboursement de dette :

  • 4 fois plus que pour l’éducation
  • Près de 8 fois plus que pour la santé
  • 26 fois plus que pour la protection sociale

Comment la pandémie de coronavirus aggrave la situation

L’impact du coronavirus en Zambie

La pandémie de Covid-19 a eu des répercussions sanitaires, sociales et économiques majeures en Zambie. Au 30 novembre, le pays avait déclaré un total de 17 665 cas et 357 décès liés à la Covid-19.

La pandémie a eu un impact catastrophique sur les conditions de vie de la population. Avant la crise, 58 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté (c’est-à-dire avec un revenu inférieur à 1,90 dollar par jour). Ce pourcentage devrait augmenter à mesure que le poids de la crise sur l’emploi s’alourdira. Le secteur informel représente 68 % de l’emploi dans le pays. Depuis l’émergence de la pandémie, la plupart des entreprises ont subi de plein fouet la réduction du nombre d’interactions de personne à personne qui caractérisent le secteur informel.

L’impact est particulièrement marqué pour les petits exploitants agricoles des zones rurales. Dans ces régions, jusqu’à 77 % de la population vit dans la pauvreté.

Les femmes sont beaucoup plus touchées que les hommes par ce phénomène. En 2019, moins d’une Zambienne sur quatre en âge de travailler avait un emploi. Le secteur informel représente 76 % de l’emploi total des femmes. La Covid-19 a eu un double impact sur les femmes dans le pays, où les pertes d’emplois dans le secteur informel ne font qu’accroître le chômage féminin, tandis que le fardeau des soins incombe souvent aux femmes. Vu la répartition inégale des prestations de soins non rémunérées entre les hommes et les femmes dans les foyers, les opportunités professionnelles et personnelles des femmes risquent encore de s’amenuiser à la suite de la pandémie.

De plus avec le surendettement du pays, les perspectives de reprise sont inquiétantes.

Le coronavirus, goutte d’eau qui a fait déborder le vase d’une crise en gestation

« Nous avons pris la décision, délibérée, de ne plus payer aucun de nos créditeurs ».

Cette phrase a été prononcée par  Christopher Mvunga, le gouverneur de la banque centrale zambienne le 18 novembre. En l’espace d’un mois le pays avait déjà été classé comme « pays en défaut de paiement » par les agences de notation Fitch et Standard & Poor’s.

Pour éviter cette situation le gouvernement du pays avait d’ores-et-déjà alerté à plusieurs reprise sur la situation macroéconomique et fiscale « très difficile ». Il avait demandé dès la fin septembre à ses créanciers privés internationaux une suspension de six mois du paiement des intérêts de trois euro-obligations. Ce simple report juste sur le paiement des intérêts a tout de même été rejeté le 13 novembre par les créanciers privés.

Pour l’instant, le gouvernement zambien tente encore de négocier avec ses créanciers. Le ministre des finances, Bwalya Ngandu, a affirmé continuer les négociations pour un rééchelonnement du remboursement, « malgré leur décision de refuser de suspendre la dette ». Les seuls créanciers privés se retrouvent à avoir entre leurs mains le destin des capacités de résilience de tout un pays. Pourtant l’impact du Covid-19 a bien été ressenti dans le monde entier et il y a un consensus général sur le fait que des investissements massifs sont nécessaires dans les systèmes de santé et protection sociales.

Ce défaut de paiement n’est pas une surprise. Les créanciers ont prêté à la Zambie à des taux d’intérêt élevés, sachant que la dette deviendrait probablement trop importante. Au vu de la situation, il est même immoral que les détenteurs d’obligations exigent le remboursement intégral de leurs encours, simplement pour leur permettre de faire d’énormes profits sur la dette de la Zambie.

Quelle solution à la crise de la dette zambienne ?

La menace d’une future vague d’austérité

Le Fonds monétaire international (FMI) a déclaré le jour même de l’annonce du défaut de paiement qu’il était en discussion avec les autorités zambiennes sur la meilleure façon de soutenir le pays, mais que son aide « dépendrait des mesures prises par la Zambie pour s’assurer que sa dette est viable ». Cette annonce fait craindre de futures mesures d’austérité.

Car par le passé, le FMI a souvent conditionné son aide à de telles mesures. D’ailleurs, la grande majorité des prêts du FMI accordés pendant la pandémie ont conseillé, voire exigé, des baisses de dépenses publiques au risque d’aggraver la pauvreté et les inégalités mais surtout limite la réponse du pays à la crise sanitaire et sociale.

Soixante-seize des 91 prêts octroyés par le FMI entre mars et septembre aux pays en développement obligent les bénéficiaires à mettre en place ces mesures. Cela peut être des coupes importantes dans les dépenses santé publique ou les retraites, des gels et des réductions de salaires pour fonctionnaires comme les médecins et les enseignant.e.s.

Pour la Zambie, ce défaut est d’autant plus préoccupant qu’avant même son annonce, le pays n’était pas en mesure de mettre en place une réponse satisfaisante aux conséquences de la pandémie étant donné son niveau d’endettement. Au contraire, le gouvernement a adopté un plan d’une ampleur modeste, compte tenu de la faiblesse des marges de manœuvre budgétaires : la création d’un fonds de préparation sanitaire à l’épidémie de 2,8 millions d’euros et un plan de réponse de 33 millions d’euros. A titre de comparaison, les pays du G20 ont injecté plus de 8 000 milliards d’euros dans leurs économies pour faire face au coronavirus.

Des réponses trop timides de la communauté internationale

La communauté internationale n’a jusqu’à lors pas pris de décisions suffisamment courageuses pour soutenir la Zambie. Selon la Banque mondiale, la suspension de la dette actée par le G20 permet au pays de suspendre son remboursement de dette à hauteur de 139,2 millions de dollars. Ce montant équivaut à 0,6 % du PIB et à 1,2 % de l’encours total de sa dette extérieure. Un impact marginal car la plupart des emprunts publics ont été contractés auprès de créanciers multilatéraux et privés. Créanciers qui représentent 73,3 % de la dette publique extérieure, et pourtant, ne sont pas contraint de participe à cette initiative de suspension des remboursements.

La Zambie n’est pas la seule à être aux prises avec ses dettes. De nombreux autres pays en développement ont été identifiés par le FMI et la Banque mondiale comme présentant un risque élevé de « surendettement » pouvant conduire à un défaut de paiement. Avant même que le coronavirus ne soit apparu en Chine, 46 pays consacraient en moyenne quatre fois plus d’argent à rembourser leurs dettes qu’à financer les services de santé publique.

Le défaut de paiement zambien risque donc fort d’être annonciateur de défauts de paiement en cascade à travers le monde si des mesures plus ambitieuses ne sont pas vite prises. La question est de savoir désormais si la communauté internationale, et en premier lieu le G20 qui sera à partir de janvier 2021 sous présidence italienne, prendra conscience de la gravité de ces situations et y apportera les réponses qui s’imposent.

Quand la dette devient insoutenable

Qu’est-ce qu’un défaut de paiement ?

Tous les Etats à travers le monde s’endettent, que ce soit pour financer des projets particuliers (la construction d’un aéroport par exemple) ou tout simplement pour compléter ses dépenses courantes de fonctionnement. Le défaut de paiement intervient lorsque celui-ci fait face à des finances publiques de plus en plus dégradées, dès lors que son déficit se creuse de manière beaucoup trop brutale (c’est-à-dire que la différence entre les entrées d’argent et les dépenses qu’il fait devient trop grande), il se retrouve dans l’incapacité de rembourser les emprunts qu’il a souscrits. Le pays annonce dès lors qu’il ne remboursera plus, de façon partielle ou totale, ses dettes et les intérêts qui y sont liés. Evidemment, le pays peut chercher à rétablir cette situation en amont par exemple en augmentant ses impôts, en coupant dans ses dépenses publiques et ou en espérant un rebond de la croissance.

Cependant, le contexte de crise sanitaire et sociale que nous traversons actuellement limite la marge de manœuvre des pays les plus pauvres de la planète. Pour de plus en plus de pays, la part de la dette dans leur budget national devient de plus en plus importante : ainsi la Zambie a vu la part de son PIB dédiée au remboursement de sa dette passer de 10% à 17% entre 2017 et 2020. Un pays comme le Ghana dépense 11 fois plus pour rembourser sa dette que pour financer son système de santé publique.  Face à une dette qui devient insoutenable, l’Etat peut se retrouver dans l’incapacité de rembourser tout ou partie de ses créanciers : c’est un défaut souverain.

Ceux-ci ne sont pas si rares, on en dénombre plus d’une quarantaine depuis l’an 2000, et ce sur tous les continents. La crise de la zone euro et surtout les difficultés budgétaires rencontrées par la Grèce il y a quelques années ont montré que les pays à revenus élevés ne sont pas immunisés contre les défauts souverains.

Quelles conséquences du défaut de paiement ?

En temps normal les coûts d’un défaut de paiement pour un pays sont nombreux mais prévisibles :

  • Un impact sur la réputation du pays auprès des marchés financiers : l’Etat qui ne rembourse pas sa dette s’en retrouve de fait exclu.
  • Un impact sur la réputation du pays auprès de ses partenaires commerciaux : partenaires qui risquent de prendre des sanctions commerciales, notamment de la part des pays où résident les créanciers qui ne seront plus remboursés.

Il affecte également l’activité économique du pays dans son ensemble. Le défaut de paiement risque de générer un effondrement du crédit et une panique bancaire à laquelle le pays aura peu de marge de manœuvre pour y répondre car il est de fait exclu des marchés financiers. Selon certaines études, suite à un défaut de paiement le volume des échanges bilatéraux chute d’environ 8 % par an et le taux de croissance de 2,5 points de pourcentage lors de la première année.

Dans le contexte que nous traversons, les défauts de paiement sont un signal grave alors que les pays ont besoin aujourd’hui d’investissements accrus et de plus de ressources pour renforcer leur résilience face à la crise, financer leurs systèmes de santé mais aussi de protection sociale.