Crise humanitaire au Yémen : une conjonction de facteurs

Le Yémen, le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, est confronté à une crise humanitaire massive qui ne cesse de s’aggraver. Frappes aériennes et affrontements meurtriers ont forcé plus de 3 millions de personnes à fuir leur foyer depuis mars 2015. Ces personnes déplacées souffrent de la faim, d’un manque d’accès à l’eau potable et à des services de santé.

Notre collègue Benjamin Wiacek, responsable de la communication d’Oxfam autour de la crise au Yémen, lors de son passage à Paris le 13 juin 2017, nous a livré un aperçu de l’urgence de la situation.

La situation au Yémen

Depuis 5 ans, la situation au Yémen ne cesse d’évoluer pour devenir de plus en plus critique. Lisez notre article complet, publié en mars 2020, sur la situation au Yémen 5 ans après le début de la guerre à l’heure où la menace du coronavirus vient s’ajouter à la famine et au choléra qui touchent déjà le pays.

Est-ce que tu peux nous parler de la situation actuelle au Yémen et du risque de famine, notamment ?

Depuis mars 2015, la population yéménite est prise au piège dans un conflit armé qui combine des frappes aériennes et des combats meurtriers au sol. A ceci se sont ajoutées plusieurs catastrophes naturelles : deux cyclones et une période d’inondation.

Le pays, déjà pauvre avant la recrudescence du conflit armé, n’a pas pu faire face à ces chocs. A l’heure actuelle, la situation est telle que 14,5 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable.

Le pays est par ailleurs au bord de la famine : 17 millions de personnes n’ont pas les moyens de manger à leur faim, c’est-à-dire 60% de la population. Parmi elles, 7 millions de personnes sont déjà au bord de la famine. Si l’ONU et les médias internationaux et français rappellent l’urgence de la crise dite des « 4 famines », le cas du Yémen bien peu évoqué.

Récemment, plusieurs associations présentes sur place, dont Oxfam, ont alerté sur la situation sanitaire et le risque d’une épidémie de choléra, peux-tu nous en dire plus ?

En effet, depuis le 27 avril, une seconde épidémie de choléra touche le pays et s’aggrave jour après jour. On dénombre actuellement plus de 140 000 cas et il se pourrait que300 000 personnes soient touchées. Il y a déjà eu près de 1 000 morts. Plus de la moitie des hôpitaux et centres de santé ne fonctionnent plus correctement (ils ont soit été détruits, soit n’ont plus le matériel, les médicaments ou le personnel suffisants), les autres sont débordés. Dans ces conditions, cette épidémie de choléra ne peut que s’aggraver.

Et que fait Oxfam ?

En ce qui concerne la crise de choléra, nous sommes déjà intervenus auprès d’environ 110 000 personnes. Nous nous concentrons sur la prévention et les mesures nécessaires pour stopper la propagation de l’épidémie. C’est d’autant plus important que la population est déjà fragile et qu’un organisme fatigué a plus de mal à faire face à des maladies. Concrètement, on donne accès à de l’eau potable, on réalise des campagnes de chloration des réservoirs d’eau existants, et on distribue des sachets réhydratants pour traiter les diarrhées, ainsi que des kits d’hygiène. On donne également des conseils simples mais efficaces pour limiter la propagation de maladies : par exemple, se laver les mains avant de cuisiner.

Quelles autres actions sont menées par Oxfam sur le terrain ?

Depuis juillet 2015, Oxfam a lancé des actions d’aide d’urgence et nous sommes venus en aide à plus d’un million de personnes.

En ce qui concerne l’accès rapide à la nourriture, nous faisons des distributions d’argent pour aider les familles à acheter de la nourriture sur le marché ou du bétail afin de leur donner une possible source de revenus. Cette solution est préférée par les familles car la nourriture est encore disponible, mais entre l’augmentation des prix depuis les deux dernières années et le manque voire l’absence de tout revenu, elles n’ont plus les moyens suffisants.

De plus, nous menons des projets « travail contre argent » : il s’agit d’employer des Yéménites pour construire un projet utile à la communauté, comme un réservoir d’eau, et ils sont payés en échange. Avec cet argent, ils peuvent subvenir à leurs besoins les plus urgents et cela soutient également l’économie locale.

Nous avons aussi fourni de l’eau potable et des services d’assainissement à plus de 920 000 personnes, que ce soit en apportant de l’eau par camions citernes, ou en réhabilitant ou construisant des réseaux d’eau potable dans des villages, ainsi que la construction de latrines ou des campagnes de nettoyage. Ce dernier point est particulièrement important : il permet d’éviter aux personnes de parfois faire jusqu’à 10 km à pied vers des points d’eau souvent insalubres, avec tous les risques inhérents à une longue marche. Dans bien des cas, ce sont les enfants qui vont chercher l’eau. Apporter l’eau courante dans un village a de nombreux impacts positifs, au-delà même de permettre aux populations d’avoir accès à cette ressource vitale.

Tu dis que le pays était déjà pauvre avant le conflit ?

En effet, avant mars 2015, près de 11 millions de la population avait déjà des difficultés à se nourrir, non pas parce que la nourriture manquait mais parce que ces personnes étaient trop pauvres pour acheter de quoi se nourrir. Il y a 6 millions de personnes supplémentaires dues à l’enlisement du conflit armé, donc le problème de l’accès à la nourriture s’est encore aggravé. L’accès à l’eau potable était également très limité et 50 pourcent de la population n’y avait pas accès. De même, si actuellement 3 millions de femmes et d’enfants souffrent de malnutrition aigüe, ils étaient déjà 1 million avant mars 2015.

D’ailleurs, Oxfam est présente au Yémen depuis plus de trente ans, et, en collaborant avec les autorités gouvernementales, ainsi que des organisations de la société civile, nous travaillons à améliorer les services de distribution d’eau et d’assainissement et les moyens de subsistance de milliers de personnes en situation de pauvreté.

Ce pays est tristement emblématique : ce sont toujours les populations les plus vulnérables qui payent le prix des choix politiques et économiques. Le niveau de pauvreté du Yémen est aussi un des facteurs qui explique aujourd’hui la gravité de la situation et l’impact dramatique du conflit sur les populations. C’est pour cela que le travail de fond sur les causes de la pauvreté est essentiel. Et qu’il est complémentaire de l’action d’urgence.

Le mot de la fin : qu’elle est ta vision de l’avenir pour le Yémen ?

Les besoins humanitaires sont de plus en plus nombreux mais les financements promis par la communauté internationale n’arrivent pas. Avec d’autres ONG, Oxfam a besoin que ses donateurs et donatrices se mobilisent pour soutenir notre action humanitaire et également la reconstruction de ce pays dévasté.

Aujourd’hui, nous parons au plus urgent, dans un pays où la population se déplace pour fuir les violences armées. Il faut savoir que les Yéménites n’ont aujourd’hui plus la possibilité de fuir : l’aéroport de Sanaa est fermé, les autres aéroports et les ports sont très difficiles d’accès et les frontières terrestres sont contrôlées par les pays voisins. Nous menons un travail de fonds pour construire la paix, en communiquant avec une partie des pays qui prennent part au conflit, en vue d’arriver à des pourparlers.

Et déjà, nous pensons à construire l’après-conflit, en travaillant aussi avec la société civile, pour réduire les inégalités et promouvoir les droits des femmes. Ce travail est très important, car il doit permettre au pays de se développer et à ce que toute la population en profite ! Malgré la situation actuelle, nous nous efforçons de continuer à penser à l’après-conflit et poursuivons notre travail dans ce sens.


Laila* a 9 ans. Tous les jours, elle devait marcher pendant deux heures aller-retour pour se rendre à la rivière et trouver de l’eau – rare et impropre à la consommation