Les changements climatiques sont-ils responsables de la famine qui frappe la Corne de l’Afrique ?

La famine qui frappe la Corne de l’Afrique est-elle liée aux changements climatiques ? La question se pose chaque fois que des nouvelles « d’événements climatiques extrêmes » (ouragans, inondations, sécheresses) investissent nos écrans de télévision. Impossible de répondre par un simple « oui » ou « non ». Néanmoins, nous vous livrons ici un résumé de ce qui nous pensons savoir, à ce jour, sur le sujet.

La sécheresse actuelle a été causée par la très faible pluviométrie observée durant plusieurs saisons successives. Au cours de l’année dernière, l’Est de la Corne de l’Afrique a enregistré deux saisons des pluies consécutives sans la moindre précipitation. Selon des enquêtes menées auprès des communautés locales, il s’agit là de la manifestation d’un changement qui s’est opéré sur le long terme. D’après les communautés des Borana en Ethiopie, la sécheresse, que l’on observait autrefois tous les six à huit ans, survient à présent à intervalles d’un ou deux ans. Les données météorologiques corroborent ce constat sur le plan des températures : entre 1960 et 2006, les températures moyennes annuelles ont augmenté de 1°C au Kenya et de 1,3°C en Ethiopie. Autre fait marquant, la fréquence des jours chauds est également en hausse dans les deux pays. Pour ce qui est de la pluviométrie, les tendances sont moins claires : selon le quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), aucune tendance significative du point de vue statistique n’a été identifiée. Cependant, d’après des recherches plus récentes, la pluviométrie des « longues saisons de pluies » (de mars à juin) aurait chuté entre 1980 et 2009. Les archives dont on dispose ne « prouvent » pas que la sécheresse actuelle est directement imputable aux changements climatiques. S’il est vrai que l’on compte aujourd’hui quelques cas dans lesquels les scientifiques ont réussi à estimer dans quelle mesure les changements climatiques dus à l’homme ont accru la probabilité d’un événement météorologique extrême, il convient toutefois de noter que de telles prouesses nécessitent des données météorologiques à long terme fiables, données qui n’existent que pour l’Europe et l’Amérique du Nord.

Que dire de l’avenir ?

A l’échelle planétaire, la modélisation des changements climatiques permet de prévoir une hausse de la fréquence et de la sévérité des événements climatiques extrêmes tels que les sécheresses et les inondations. Si aucune mesure n’est prise d’urgence pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le monde, les températures de cette région augmenteront probablement de 3 ou 4°C d’ici à 2080-2099, par rapport à 1980-1999. Mais là encore, les prévisions en matière de pluviométrie demeurent floues. Comme le montre la dernière évaluation du GIEC, la majeure partie des activités de modélisation porte à croire que l’on enregistrera plus de précipitations dans la région de l’Afrique de l’Est dans l’ensemble, avec notamment une augmentation des « événements violents » tels que les averses soudaines et la hausse du risque d’inondation qui en résulte. Cependant, certaines études récentes semblent indiquer le contraire : une pluviométrie en baisse, surtout pendant les longues saisons des pluies. Ensemble, la hausse des températures et l’imprévisibilité croissante des précipitations constituent une menace pour la production vivrière. A en croire des estimations publiées récemment par la Royal Society, il est fort probable que d’ici la fin du siècle, la durée des saisons de végétation pour les produits agricoles les plus importants en Afrique de l’Est diminue de 20 %, avec une baisse de près de 50 % de la production de haricot.

Conclusion ?

Il est impossible d’attribuer directement la sécheresse actuelle aux changements climatiques. Toutefois, comme l’a souligné John Beddington, principal conseiller scientifique du gouvernement britannique, lors de son propos au cours d’un débat tenu la semaine dernière dans les locaux d’Oxfam, « dans le monde entier, la probabilité que des événements de ce genre se produisent est aujourd’hui plus grande en raison des changements climatiques« . De plus, à moins que des mesures ne soient prises, la souffrance actuelle n’est qu’un sinistre avant-goût de l’avenir : en Afrique de l’Est, les températures vont grimper et les régimes pluviométriques vont changer, ce qui va davantage aggraver une situation déjà bien déplorable.

Que faire ?

D’abord, garder à l’esprit que si la sécheresse est due au manque de pluie, la famine, elle, est causée par l’homme. Comme l’a souligné Amartya Sen, lauréat du prix Nobel d’économie, la famine ne se produit pas dans des démocraties qui fonctionnent correctement. La différence entre les perturbations mineures causées par des restrictions d’arrosage et la misère qui accable la corne de l’Afrique réside essentiellement en l’échec des politiques et des dirigeant-e-s. Ce n’est pas un hasard si les communautés les plus durement frappées par la sécheresse sont celles qui ont été victimes non seulement de conflits mais aussi de décennies de négligence et de mépris institutionnalisés de la part de leurs gouvernements qui considèrent le pastoralisme comme une relique indésirable du passé. Ensuite, la famine témoigne de l’extrême vulnérabilité des personnes démunies face aux événements climatiques tels que l’absence de précipitations. Les gouvernements et la communauté internationale doivent sauver des vies maintenant, mais également prendre des actions concrètes afin de réduire cette vulnérabilité chronique, en renforçant les capacités locales pour la gestion du cycle de sécheresse ; en améliorant la circulation des données, de l’information et des idées relatives à l’adaptation des populations aux changements climatiques ; et en augmentant de façon considérable les investissements à long terme sur le développement des petites exploitations agricoles et du pastoralisme, deux secteurs dont la capacité à assurer un quotidien acceptable à des millions de citoyens et citoyennes des pays d’Afrique de l’Est n’est plus à démontrer, à condition de bénéficier de l’appui (et non de l’indifférence) des gouvernements. Au-delà de l’aide que l’on pourrait apporter à l’Afrique de l’Est et à d’autres régions vulnérables pour s’adapter aux changements climatiques imminents, il incombe également, et tout naturellement, aux pays riches et émergents de réduire les émissions de gaz à effet de serre qui en sont à l’origine. Faute de quoi tout effort d’adaptation ne pourrait offrir qu’un soulagement provisoire. Article de Duncan Green, directeur des recherches d’Oxfam Grande-Bretagne, initialement publié sur les blogs CULTIVONS et Conflits et Urgences d’Oxfam.

Aller plus loin

La confédération Oxfam a lancé un ambitieux appel à don pour la Corne de l’Afrique et les populations qui luttent pour leur survie en ce moment-même. – En savoir plus sur la crise en Afrique de l’EstLes actions d’Oxfam sur le terrain face à la crise en Afrique de l’Est Oxfam a lancé la campagne CULTIVONS pour combler les failles de notre système alimentaire défaillant, pour que les causes structurelles des crises comme celle-ci soient traitées.  Rejoignez le mouvement !