Lettre ouverte à Emmanuel Macron sur la conférence humanitaire sur le Yémen
La France organise une conférence humanitaire sur le Yémen à Paris le 27 juin. Dans une lettre à Emmanuel Macron, 27 ONG yéménites et internationales présentent leurs attentes.
Objet : Conférence humanitaire sur le Yémen
Monsieur le Président,
Nous saluons les efforts de la France pour résoudre le conflit armé et la crise humanitaire en cours au Yémen, et votre annonce, lors de la visite à Paris le 10 avril du prince héritier saoudien Mohamed ben Salmane, de la tenue d’une conférence humanitaire internationale sur le Yémen à Paris en juin.
22 millions de Yéménites dépendent de l’aide humanitaire pour survivre et il est grand temps que la communauté internationale s’attaque aux causes profondes de la crise. En tant que représentants de la société civile yéménite et d’organisations internationales humanitaires, de consolidation de la paix et de défense des droits humains, nous vous écrivons pour partager nos attentes sur les résultats que la conférence doit produire pour faire une réelle différence dans la vie des Yéménites.
Tout d’abord, nous vous exhortons à réaffirmer tout au long de la conférence que seule une solution politique inclusive peut répondre pleinement à la crise humanitaire au Yémen. Toute initiative visant à améliorer la situation humanitaire doit être compatible avec les efforts internationaux en cours. Pour cette raison, il est impératif que la conférence soit organisée en étroite liaison avec les Nations Unies et leur envoyé spécial Martin Griffiths, ainsi qu’avec les autres acteurs internationaux.
Deuxièmement, nous nous interrogeons sur la crédibilité d’un événement humanitaire sur le Yémen co-organisé par l’Arabie saoudite, qui est partie au conflit. Il est de la responsabilité de la France, en tant que pays hôte, de veiller à ce que la conférence respecte les principes humanitaires et que toutes les parties au conflit y participent et s’engagent de bonne foi, guidées par le seul objectif d’alléger les souffrances des Yéménites.
Troisièmement, nous vous demandons de garantir la représentation de la diversité de la société civile yéménite, notamment des femmes et des jeunes, et de veiller à ce que la conférence soit un espace sûr qui permette leur participation pleine et équitable. La voix des Yéménites se doit d’être au cœur de tout rassemblement international ayant pour objectif de répondre à leurs besoins.
Quatrièmement, il est absolument essentiel que la conférence insiste sur le droit des civils yéménites à la protection et fasse référence aux très graves violations du droit international humanitaire et des droits humains perpétrées par toutes les parties au conflit. Nous sommes particulièrement préoccupés par la perspective d’une attaque imminente contre le port de Hodeidah, qui aurait des conséquences désastreuses pour les civils dans l’ensemble du pays.
Nous vous demandons de condamner les violations et de veiller à ce que la conférence obtienne une cessation immédiate des attaques indiscriminées contre la population et les infrastructures civiles, un arrêt de l’utilisation d’armes explosives en zones peuplées, et la suppression de toutes les entraves à l’accès humanitaire. La conférence humanitaire doit soutenir la lutte contre l’impunité pour les auteurs de violations à l’encontre de civils, notamment en favorisant l’accès au Yémen des membres du Panel d’experts mandatés dans le cadre de la résolution 2140 du Conseil de sécurité, et du Groupe d’éminents experts désigné en 2017 par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme.
En tant que pays hôte, la France devrait montrer l’exemple et, conformément à ses engagements internationaux, suspendre les transferts de matériel militaire français susceptibles d’être utilisés contre des civils au Yémen.
Enfin, pour renforcer les efforts internationaux actuels, la conférence devrait exiger que les parties au conflit mettent en œuvre la déclaration du 15 mars 2018 du Président du Conseil de sécurité des Nations Unies, et obtenir des avancées concrètes sur les points suivants :
– La reconnaissance par l’ensemble des parties au conflit que les niveaux actuels des importations au Yémen (notamment le carburant et la nourriture) sont insuffisants pour répondre aux besoins fondamentaux de la population ; un engagement public à lever totalement et inconditionnellement l’embargo récurrent sur les ports yéménites et à supprimer toutes les entraves à l’accès humanitaire (y compris sur les mouvements des travailleurs humanitaires) et à la livraison des biens commerciaux essentiels ; des garanties pour la distribution équitable de l’aide dans l’ensemble du pays ;
– Des garanties sur le bon fonctionnement des ports du Yémen et leur protection contre de nouvelles attaques, notamment le port de Hodeidah, d’une importance vitale pour des millions de Yéménites ;
– Un engagement public de toutes les parties à participer de bonne foi au Mécanisme de vérification et d’inspection des Nations Unies (UNVIM), et à rendre compte de toute inspection supplémentaire, conformément à la résolution 2216 du Conseil de sécurité des Nations Unies ;
– Un engagement public à autoriser des évacuations médicales plus régulières, et à élaborer une feuille de route claire pour la réouverture complète de l’aéroport international de Sanaa aux vols commerciaux, sans conditions préalables ni conditions d’utilisation ;
– Un plan d’action pour la reprise immédiate du versement des salaires des employés du secteur public dans l’ensemble du Yémen, en particulier dans les secteur clés de la santé, de l’éducation et de l’assainissement, pour endiguer l’effondrement des services sociaux et de l’économie.
Les engagements annoncés lors de la conférence devront être rendus publics dans un communiqué fixant des délais précis et établissant des mécanismes internationaux de suivi comprenant des critères d’évaluation pour s’assurer de leur mise en œuvre en toute transparence.
Une conférence humanitaire sur le Yémen accueillie par la France qui ne fixerait pas de strictes conditions et ne déboucherait pas sur des résultats clairs risquerait de nuire à la crédibilité du leadership français sur la scène internationale. Plus encore, cela pourrait encourager les parties au conflit à l’escalade, à un moment où la retenue est plus nécessaire que jamais. Après plus de trois années d’une guerre brutale, les parties au conflit au Yémen doivent entendre haut et fort qu’elles ne seront pas autorisées à poursuivre leur escalade militaire au péril de vies humaines.
Soyez assurés, Monsieur le Président, de notre engagement à travailler avec vous dans le cadre d’une initiative qui réponde à ces objectifs cruciaux, afin de redonner espoir au peuple yéménite.
Sincères salutations.