Précarité menstruelle : les règles des femmes en situation de conflit

Le tabou autour des règles a longtemps caché que l’accès aux protections périodiques constituait une source majeure d’inégalités. En France, ce phénomène touche près de 2 millions de femmes, avant tout les personnes les plus précaires, à savoir les sans domicile fixe, étudiant·e·s ou personnes vivant dans la pauvreté. Mais en temps de conflit ou de crise n’importe où dans le monde, la précarité menstruelle à grande échelle peut causer des dommages irréversibles.

Qu’est-ce que la précarité menstruelle ?

La précarité menstruelle est le manque d’accès, par manque de moyens matériels et financiers, à des protections hygiéniques en nombre suffisant pour avoir une hygiène décente. En France en 2020, elle touchait près de 2 millions de femmes dont l’accès aux protections hygiéniques est difficile ou impossible pour des raisons avant tout financières. Dans le monde, on estime qu’elles sont 500 millions à en souffrir.

La précarité menstruelle : une prise de conscience récente et progressive

Les menstruations, un sujet encore tabou pour de nombreuses

Répondre de manière appropriée aux besoins des femmes en matière d’hygiène menstruelle dans les situations d’urgence est une composante essentielle des programmes de promotion de l’eau, de l’assainissement et de promotion de l’hygiène (programmes WASH en anglais). Cela peut aussi permettre d’aborder l’égalité des sexes en tenant compte des besoins distincts des femmes et des hommes.  A travers une conception et mise en place de programmes WASH inclusifs, il est possible d’accorder aux femmes une place centrale dans le dialogue nécessaire pour aborder cette question et de répondre aux préoccupations spécifiques de ces dernières en matière de dignité et de vie privée. Malheureusement, une attention encore insuffisante est accordée à l’hygiène menstruelle dans de nombreux programmes d’éducation des filles.

L’hygiène personnelle est l’une des priorités de la plupart des femmes, et pourtant ces dernières ont souvent des difficultés à exprimer leurs besoins. Elles peuvent se sentir trop gênées pour discuter d’hygiène avec les travailleurs humanitaires, et la menstruation est considérée comme un sujet tabou dans certaines cultures et/ou religions. De ce fait, le manque de dialogue à ce sujet est parfois contreproductif, puisque selon certaines cultures les menstruations sont considérées comme un stigma, une impureté. Alors, les femmes n’osent pas se rendre aux latrines à la vue de tous, notamment des hommes, et il faut repenser l’intégralité du projet de construction. Ce genre de problème nous rappelle aussi la difficulté de l’enjeu des toilettes à travers le monde, qui pour bien des raisons sanitaires sont essentielles, surtout en période de crise.

Donner la parole aux femmes pour trouver avec elles des solutions adaptées

Souvent dans les camps de réfugié·e·s, les femmes se retrouvent affamées ou assoiffées afin d’éviter d’utiliser les toilettes trop fréquemment, souffrent de douleurs abdominales et d’infections en évitant de faire leurs besoins, ou préfèrent faire ceux-ci près de leurs tentes, augmentant ainsi le risque de maladies, plus encore en période de mousson. En effet, de mauvaises installations augmentent le risque d’abus sexuels et de harcèlement, et les femmes craignent de s’y rendre. Au sein d’un camp destiné aux Rohingyas à Cox’s Bazar au Bengladesh en 2018, Oxfam a tenté de répondre à ces enjeux en faisant appel à deux jeunes architectes, Imogen McAndrew et Freya Emerson, pour développer une approche innovante. Elles travaillent en lien direct avec des femmes et des jeunes filles Rohingyas réfugiées afin de créer de nouvelles installations plus adaptées. Elles ont passé une semaine avec ces femmes et jeunes réfugiées, au sein d’ateliers et de groupes de discussion (« focus group ») et ont développé des modèles et des premiers croquis reprenant leurs idées. Pensées ensemble, les nouvelles latrines ont permis aux femmes de s’y rendre avec plus de confiance.

L’hygiène en période de règles, un enjeu majeur de santé pour les femmes

La précarité menstruelle a de multiples conséquences : risque de développer le syndrome du choc toxique (pouvant causer la mort) si l’on garde trop longtemps la même protection, mise en danger si l’on en vient à voler des produits, obligation de choisir entre se nourrir ou acheter des produits périodiques, etc. La précarité menstruelle est une réalité pour une majorité écrasante des femmes en temps de conflit ou de crise. Chaque mois, elles doivent faire face à plusieurs jours de mobilité parfois réduite, de honte, d’inconfort physique, de perturbation des activités quotidiennes essentielles, ainsi qu’à des risques sanitaires élevés. De plus, comme le rapporte ActionAid : beaucoup sont obligées d’utiliser des méthodes improvisées pour gérer leurs règles, notamment des morceaux de vêtements déchirés, des chiffons, des tapis sales ou de s’asseoir sur de vieilles boîtes de conserve. Ces méthodes alternatives sont souvent inefficaces, inconfortables et peu hygiéniques. Elles peuvent entraîner des infections dangereuses ainsi que des taches de sang, ce qui peut provoquer des sentiments de gêne et d’isolement. C’est pourquoi peu importe la crise ou le conflit auquel un pays fait face, les protections hygiéniques font partie des premiers objets distribués par les humanitaires.

Lutter contre la précarité menstruelle en situation de conflit

Les recommandations d’Oxfam pour accompagner aux mieux les femmes dans leur cycle menstruel

Pour Oxfam, c’est en toutes circonstances que la question des menstruations et la façon de les gérer au quotidien doit être abordée avec sensibilité. En temps de conflits ou de crises, il est préférable que l’approche des femmes et des filles soit faite par des agents de santé publique féminins, en tenant en tenant compte des facteurs suivants :

  • Les pratiques d’hygiène et les matériaux préférés pour les protections diffèrent d’un pays à l’autre, entre les zones urbaines et rurales, et entre les tranches d’âge au sein d’une même communauté.
  • Les questions sur le choix du matériau devraient inclure la couleur – les couleurs sombres sont généralement préférées, mais aussi parce que certaines couleurs ont des significations spécifiques dans certaines cultures et doivent être évitées.
  • Les fournisseurs locaux doivent être privilégié quand c’est possible avant de faire venir des matériaux de l’extérieur du pays, à la fois pour soutenir le marché local et parce que les femmes et les filles sont susceptibles de connaître les matériaux proposés.
  • Toutes les femmes en âge de procréer doivent être ciblées, mais l’équilibre hormonal des adolescentes et des femmes peut être affecté par le stress et la malnutrition, il faut donc éviter tout présupposé et les distribuer largement. En effet, une distribution massive de protections qui pourraient avoir d’autres usages que la simple protection menstruelle a posteriori est préférable à un ciblage étroit.

Les distributions doivent être faites avec délicatesse, et être accompagnées d’informations de base (écrites, picturales, verbales) sur les articles fournis, même si des discussions ont été menées avec les femmes en amont.

Un chemin encore long pour généraliser la prise en compte des menstruations

Un long chemin est encore à faire pour permettre à toutes les femmes et les filles victimes de conflits de pouvoir bénéficier de ces protections indispensables au quotidien. C’est par la sensibilisation, et le travail d’écoute avec ces dernières que des solutions peuvent être trouvées.