Six mois après l’explosion à Beyrouth, quelle est la situation dans la capitale du Liban ?

Le 4 août 2020, une explosion dans le port de Beyrouth a détruit la capitale libanaise. Elle sonne alors comme le coup de grâce d’un pays en proie à une crise économique majeure et qui fait face, comme le reste du monde, aux conséquences de la pandémie de COVID-19. L’équipe d’Oxfam au Liban, soutenue par toute la confédération, et 11 organisations locales partenaires, se sont mobilisées dès la première heure. Notre action commune se poursuit. Six mois se sont déjà écoulés depuis l’explosion à Beyrouth. Quelle est la situation dans la capitale du Liban ? Nous en dressons un premier bilan, qui met en lumière le chemin qu’il reste à parcourir.

Six mois après l’explosion à Beyrouth, encore bien trop de personnes sans-abris

L’explosion à Beyrouth, le 4 août 2020, a tué plus de 200 personnes, blessé 6000 autres et a détruit l’habitation de plus de 300 000 personnes.

Seulement 28% de la population a été en mesure de réparer, par ses propres moyens, sa maison ou son appartement. Dans les jours et les semaines qui ont suivi l’explosion, des dizaines de milliers de personnes se sont vues incapables de réaliser les travaux nécessaires, alors que l’explosion avait tout balayé sur son passage.

Et pour cause. Avec la crise économique et l’extraordinaire inflation, une porte d’entrée coûte aujourd’hui deux fois le salaire mensuel minimum libanais ; une simple fenêtre, un mois de salaire. Un mètre carré de verre de qualité moyenne (d’une épaisseur de 6 mm) coûtait ainsi 16 $ avant l’explosion. Après le 4 août, et avec l’augmentation des prix sur le marché, le prix d’un mètre carré de verre, avec cadre en aluminium, était de 500$, d’après le ministère de l’Économie libanais.

Alors, pour beaucoup, une bâche de plastique fait office de réparation. D’autres se voient contraint-e-s d’aller vivre ailleurs, chez la famille ou des ami-e-s.

La reconstruction reste encore absente de l’agenda gouvernemental. Il a fallu attendre deux mois après l’explosion pour voir les budgets alloués au secteur du bâtiment augmentés, et ils sont encore bien en deçà des besoins. Le gouvernement est toujours incapable de mobiliser les 5 milliards de dollars nécessaires à la réhabilitation de la capitale libanaise et se voit contraint d’attendre le soutien financier de la communauté internationale. Une aide bloquée par le refus de former un nouveau gouvernement, prérequis établi.

Soutenir la reconstruction

« J’ai cru que c’était la fin du monde. Le bruit, le niveau de destruction, ce n’est tout simplement pas imaginable », se rappelle Bahjat AlSheikh Mousa, libanais âgé de 70 ans, vivant dans le quartier de Karantina.

Bahjat a été blessé par l’explosion et son appartement endommagé. Comme beaucoup de libanais-es, il a dû effectuer les réparations à ses frais.

« Lorsque l’armée est venue pour évaluer les dommages, ils m’ont dit de faire les réparations et de garder les factures, au cas où le gouvernement rembourserait. J’ai fait quelques petites réparations et acheté une nouvelle porte. Je ne me sentais pas en sécurité avec mon appartement grand ouvert. Des jeunes sont venus aider à nettoyer et installer les portes et les fenêtres. Le gouvernement, jamais. »

L’immeuble dans lequel vit Bahjat a été réhabilité par l’organisation Samidoun, partenaire d’Oxfam. Un groupe d’ingénieurs est venu évaluer les dommages et a suivi les réparations, afin de s’assurer qu’elles respectent tous les standards de sécurité.

Oxfam, avec ses partenaires, ont ainsi soutenu la reconstruction de plus de 80 habitations depuis 6 mois.

Bahjat, dans sa cuisine. Son immeuble a été réhabilité grâce au soutien d'Oxfam et des organisations locales partenaires.
Bahjat AlSheikh Mousa, dans la cuisine de son appartement, entièrement réparé après l’explosion à Beyrouth. Crédit : Adrian Hartrick / Oxfam

Apporter une aide financière directe pour soutenir les personnes impactées par l’explosion à Beyrouth

Avant même l’explosion, le Liban était en proie à une crise économique majeure. Depuis octobre 2019, la monnaie libanaise a perdu 80% de sa valeur et depuis novembre 2020, le prix des denrées alimentaires a augmenté de 422%. Ces chiffres traduisent une réalité bien trop concrète pour nombre de libanais-es : nourrir une famille de 5 personnes pour un mois coûte désormais plus de la moitié du salaire minimum.

Les femmes sont aujourd’hui les plus vulnérables. En juin 2020, avant même la catastrophe, le taux de chômage des femmes au Liban avait augmenté de 63%, comparé à l’année précédente.

La moitié des entreprises et commerces situés dans la zone de l’explosion ont été endommagés, laissant directement 70 000 personnes sans emploi. Peu de commerces ont repris leurs activités, notamment dans la zone du port et ses alentours. Nous estimons que le coût moyen des dommages par entreprises est de 109 000 $.

Plus de 550 000 personnes sont aujourd’hui sans emploi au Liban, ce qui représente plus de 45% des personnes en capacité de travailler du pays. On estime que plus de 55% de la population libanaise est tombée dans la pauvreté, et lutte pour subvenir à ses besoins les plus essentiels. Un an auparavant, ce taux était estimé à 28%.

Un soutien financier direct est donc essentiel, vital, pour ces commerces et ces familles qui ont vu leurs dépenses augmenter, et leurs revenus disparaître avec la crise économique et l’impact de l’explosion.

Soutenir les commerces et les populations vulnérables

« Toute la chaîne économique est impactée. Après l’explosion, nous ne pouvions plus travailler. Cela affecte autant les propriétaires, les gérants, que les employé-e-s ou les fournisseurs » explique Adib Dorra, un des gérants du Café Roaster, dans le quartier de Mar Mkhael.

Le 4 août, jour de l’explosion, était le premier jour de réouverture pour Adib et ses 4 employé-e-s, après 3 mois de fermeture dus au confinement. « La vitrine a explosé. Les décorations, le système de ventilation, la plomberie, les murs et le sol ont été endommagés. Même nos équipements et le réservoir d’eau sur le toit ont été détruits » se rappelle-t-il.

Abid et ses associés n’étaient pas certains de pouvoir rouvrir : « Le prix des réparations et des équipements est aujourd’hui 5 fois plus élevé que ce que nous avions payé il y a un an et demi, lorsque nous avons lancé notre affaire ».

Mais voilà : fermer son entreprise signifierait mettre fin aux revenus de 5 familles. Abid a pu rouvrir, grâce au soutien d’Oxfam et de l’organisation libanaise MADA, qui lui ont permis de faire les réparations et de se rééquiper.

Plus de 900 personnes ont ainsi bénéficié d’un soutien financier direct d’Oxfam et de ses partenaires.

Adib Dorra, dans son commerce, en octobre 2020. Son entreprise a été dévastée par l'explosion à Beyrouth. Grâce au soutien d'Oxfam et de ses partenaires locaux, il a pu faire les travaux et racheter l'équipement nécessaire.
Abid Dorra, dans son café endommagé, en octobre 2020. Crédit : Adrian Hartrick/ Oxfam

Protéger et soutenir les femmes et les filles et les populations les plus vulnérables

Depuis le mois de mars 2020, et la déclaration officielle de la pandémie de COVID-19, les violences domestiques ont augmenté de 400%. L’explosion a renforcé cette croissance vertigineuse, en forçant nombre de familles à partager une même maison, un même appartement.

Les femmes, contraintes de vivre dans des espaces bondés, ont moins d’intimité et d’accès à des services d’aides et de conseils. Beaucoup n’ont pas accès au téléphone, à internet, pour chercher de l’aide. Les femmes qui avaient acquis une indépendance financière en travaillant se voient aujourd’hui contraintes de déménager, dans des quartiers et des habitations moins sécurisés. 51% des ménages se trouvant dans le rayon de l’explosion étaient tenus par des femmes.

Avant même l’explosion, les organisations de défense des droits des femmes avaient déjà de grandes difficultés à mettre en place des lieux sûrs d’accueil pour les personnes victimes de violences domestiques. L’explosion a rendu la tâche plus impossible encore.

Les personnes âgées sont elles aussi les plus vulnérables. Se rendre aux distributions dans la rue est parfois difficile, voire impossible. La peur du COVID-19 vient encore renforcer cet isolement.

La communauté LGBTQI+ a elle aussi perdu ses lieux de vies, sécurisés. Les quartiers de Geitaoui, Mar Mkhael et Karantina étaient de ceux-ci. L’explosion les a fortement impactés. Vivre avec sa famille, retourner dans ses quartiers d’origine, c’est trop souvent se voir exposer aux discriminations, au rejet, à la violence. Ces personnes ont un risque plus élevé de se retrouver à la rue, exposées aux abus ou contraintes de travailler dans le secteur informel, les privant de droits.

L’action de l’équipe d’Oxfam au Liban, avec ses 11 organisations locales partenaires, se poursuit. Elle est possible grâce au soutiens financiers obtenu à travers le monde, en France et ailleurs. Merci. La reconstruction sera longue et nous poursuivrons, ensemble, nos efforts pour soutenir toutes celles et ceux qui en ont besoin.