Violences de genre et conflits : les femmes paient le prix fort

Si les violences basées sur le genre existent dans le monde entier à des degrés divers, nombres d’études et d’organisations internationales ont montré qu’elles augmentaient significativement en situation de conflit, ainsi que lors des déplacements des personnes dus à ces conflits.

Que sont les Violences basées sur le genre, ou VBG ?

La violence basée sur le genre (VBG en français, ou GBV pour gender based violence) est un concept qui a émergé dans les années 1970. C’est un problème de santé publique mondial, mais aussi une violation des droits humains. Définie au sens large par les Nations unies, la VBG désigne tout acte violent perpétré sur la base de différences de genre socialement attribuées. Ce terme générique englobe une série d’actes violents, incluant d’autres violences physiques, psychologiques, économiques et sexuelles, des actes d’exploitation ou de coercition, ainsi que des pratiques traditionnelles néfastes.

Une notion récente pour un constat ancestral

Les VBG augmentent durant les conflits 

En réalité, les crises et conflits ne font qu’exacerber une réalité de discrimination préexistante à l’égard des femmes et des filles. Aussi, le risque qu’elles y soient confrontées et que leurs droits fondamentaux soient violés s’intensifie : c’est un rappel du « continuum de la violence » dans lequel s’inscrivent les VBG tel que proposé par Liz Kelly en 1988 (c’est-à-dire des violences qui prennent des formes diverses et impactent le parcours de vie des femmes dans la durée). En 1993, les Nations unies ont adopté la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes qui constitue le premier cadre international définissant explicitement les formes de violence à l’égard de ces dernières, mais de réels progrès ne seront accomplis qu’à partir des années 2000. Hier comme aujourd’hui, les conflits peuvent entraîner des niveaux plus élevés de violence sexiste à l’encontre des femmes et des filles, notamment :

  • des exécutions arbitraires
  • des actes de torture
  • des violences sexuelles
  • des mariages forcés, du trafic et traite d’êtres humains

Les femmes et les filles sont principalement et de plus en plus visées par le recours à la violence sexuelle, notamment comme tactique de guerre. Si les femmes et les filles sont en général plus souvent victimes de violences sexuelles, il faut préciser que les hommes et les garçons le sont également, notamment dans des contextes de détention.

Les femmes sont particulièrement affectées par l’absence de services essentiels

Comme le rappelle le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l’absence de prestation de services essentiels à la population pendant les conflits et les situations de troubles et d’instabilité peut avoir un impact disproportionné sur des groupes spécifiques de la population, notamment les femmes et les filles – là encore, en s’appuyant souvent sur des situations de discrimination préexistantes. Seulement, dans les contextes de crise, l’accès aux services essentiels tels que les soins de santé, y compris les services de santé sexuelle et reproductive peut être perturbé. Les femmes et les filles se trouvent donc plus exposées aux risques de grossesse non désirée, de mortalité et de morbidité maternelles, de complications graves et de contracter des infections sexuellement transmissibles, notamment à la suite de violences sexuelles liées au conflit. Par exemple, de nombreuses femmes ayant survécu au génocide du Rwanda en 1994 sont mortes plus tard, après avoir contracté le virus du SIDA suite à un ou plusieurs viols :

« Elles n’ont pas péri pendant le génocide, mais aujourd’hui, elles meurent du sida, alors au fond, c’était une condamnation à mort en suspens. »

Mme Binaifer Nowrojee
, défenseuse des droits humains, s’exprimant durant la Conférence du 31 mai 2006 sur les femmes vivant avec le VIH / SIDA à cause de violences sexuelles subies durant le génocide au Rwanda.

 

Ce constat est applicable aux situations de guerres, conflits, mais aussi plus récemment de crise sanitaire : le rapport Oxfam « L’autre pandémie » permet de prendre conscience de l’aggravation des VBG entre 2019 et 2020, au plus haut de la pandémie de COVID-19 qui a touché le monde entier. En 2019 en France par exemple, selon les chiffres Nous Toutes, 152 femmes sont mortes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ; et les violences conjugales ont augmenté de 10% pour l’année 2020 selon le Ministère de l’intérieur (environ 87% des victimes de violences conjugales sont des femmes).

Les femmes sont aussi contraintes de chercher d’autres moyens de subsistance, car la survie de la famille dépend fortement d’elles ; bien qu’elles se sont très souvent vues refuser un accès à l’école ou à une éducation supérieure pour se marier, s’acquitter de travaux domestiques ou élever des enfants. En 2019, la Banque mondiale estimait que les violences basées sur le genre à l’égard des femmes et des filles est un phénomène qui touche 1 femme sur 3 au cours de sa vie.

Les VBG comme armes de guerre

Comprendre les VBG comme tactiques de guerre est complexe ; bien que le viol des femmes soit une pratique extrêmement ancienne dans beaucoup de sociétés dans le monde, plusieurs raisons peuvent être invoquées dans ce qui est observé aujourd’hui :

  • Les femmes sont, dans la société, souvent la « fierté » d’une communauté (piliers familiaux et symboliques). Dans l’imaginaire collectif, elles ont très souvent un rôle assigné à leur genre, tout comme l’homme est supposé « guerrier » en position de défendre sa famille et ses biens. De ce fait, porter atteinte à leur intégrité physique et morale peut être un moyen de détruire la communauté de l’intérieur, puisque les VBG sont encore perçues comme des « souillures » dans un grand nombre de cultures. Déshonorée et parfois estropiée (viols en réunion, coups et blessures), elles ne peuvent souvent pas réintégrer leur foyer ni se soigner, ce qui est un moyen de « briser les esprits » sur le long terme.
  • Réduire à néant une ethnie, un peuple : en plus des raisons invoquées ci-dessus, les femmes peuvent régulièrement tomber enceinte suite à ces viols. Le mari est humilié, l’enfant est rejeté, et la femme également comme porteuse à vie de ce stigma.
  • De moins en moins défendue, la justification selon laquelle les hommes armés expriment leur « besoin » sexuel qu’ils ne pourraient assouvir dans les rangs d’une armée ou d’un groupe armé rempli d’hommes finira par s’éteindre. Dans n’importe quelle circonstance et à aucun moment un acte sexuel ne doit se dérouler sans le consentement de l’autre, et encore moins sous la coercition. C’est une violation des droits humains, et un crime.

Dans le cas du conflit en Ethiopie par exemple, Amnesty International a réalisé un étude détaillée de l’usage du viol comme arme de guerre en interrogeant 63 victimes. Les services de santé du Tigré (région d’Ethiopie où les conflits armés font rage) ont enregistré 1 288 cas de violences liées au genre entre février et avril 2021. L’hôpital d’Adigrat a recensé 376 cas de viol entre le début du conflit et le 9 juin 2021. Encore une fois, nombreuses sont les victimes qui ne se sont pas rendues dans un hôpital ou centre de santé, ce qui signifie que ce nombre ne représentent qu’une petite fraction des viols qui ont été réellement commis.

Il est important de rappeler que si les pays du sud sont souvent pointés du doigt, c’est un procédé qui a aussi été utilisé par les pays occidentaux, comme lors de la Seconde Guerre Mondiale. Ce fut également le cas lors des conflits au Rwanda, en République Démocratique du Congo, en Syrie, en Birmanie contre les Rohingyas ou plus récemment en Ukraine.

Un fléau qui touche particulièrement les personnes déplacées

Dans certains cas, de nombreuses femmes et filles sont obligées de fuir leur foyer pour échapper à des zones de crise. Ces femmes, qui sont déjà la cible de VBG en tant de crise, sont souvent fragilisées par ses conséquences, et peuvent être d’autant plus visées par ces crimes qu’elles sont souvent seules avec leurs enfants et/ou des aînés dans les camps ou sur les routes dans des pays en proie à de graves crises. Les femmes déplacées lors d’un conflit peuvent être affectées de manière disproportionnée par la perte de leurs moyens de subsistance pendant le déplacement. La perte de leur logement, de leurs terres et de leur métier (commerce, agriculture…) peut également beaucoup plus affecter les femmes, en raison par exemple de l’absence de titres de propriété. L’accès inéquitable à l’assistance, à l’éducation et à la formation constitue un autre problème majeur en matière de droits humains. Toujours selon le HCR, les femmes déplacées à l’intérieur de leur pays ou dans un pays frontalier n’ont souvent pas accès à des services et à des réponses adéquates en matière de santé reproductive, et peuvent être victimes de violences et d’abus, d’exploitation sexuelle et de travail imposé de recrutement forcé et d’enlèvement. Surtout, les filles et les femmes déplacées sont également souvent exclues des processus décisionnels.

Enfin, il est important de souligner qu’ aujourd’hui, 80% des personnes déplacées en raison des changements climatiques sont des femmes, elles sont donc d’autant plus à même d’être exposées lors de leurs déplacements. A une époque où les conséquences du dérèglement climatique prennent de plus en plus d’ampleur et forcent les personnes à quitter leur région comme au Pakistan par exemple, la protection des femmes dans ce genre de contexte est d’autant plus cruciale. C’est ce qu’expose l’une des recherches co-menée par Oxfam sur la peur des VBG par les femmes dans les camps, et de l’importance de trouver des solutions pour y remédier comme l’éclairage des latrines la nuit par exemple.

Comment éviter les violences basées sur le genre en situation de conflit ?

Des mesures normatives insuffisantes

Pour venir en aide aux femmes et aux filles victimes de VBG en terrain de conflit, les Nations Unies ont développé plusieurs solutions et mesures visant à protéger leurs droits, mais ce cadre normatif ne suffit pas. Leur application est souvent peu viable, car c’est un crime silencieux qui laisse peu de traces sur des victimes souvent forcées à beaucoup se déplacer, sans compter que seule une infime minorité des VBG sont dénoncées à des autorités publiques. Pour ces mêmes raisons, ces exactions demeurent très souvent impunies. Cependant, des centres existent aujourd’hui pour soigner les corps des femmes victimes de ces abus, mais aussi les esprits. La prise en compte des dommages des femmes et des filles victimes en termes de santé mentale est récente, et l’une des personnes à la prendre en compte au même titre que les blessures physiques et l’aide juridique fut le Prix Nobel Dr. Denis Mukwege à Panzi, en République Démocratique du Congo. Lors d’une interview donnée à ONU Femmes en 2020, il dit « le jugement et la condamnation des dignitaires et des militaires ayant ordonné et perpétré des exactions est un préalable et condition sine qua non à l’instauration d’une paix durable. » Des soins physiques, un soutien psychologique, une aide juridique et financière peuvent aider ces femmes à retrouver leur valeur, qui va bien au-delà de leur statut de victime. Si elles peuvent se reconstruire dignement, alors le pays peut lui aussi commencer son chemin vers l’apaisement.

Un accompagnement de toutes les victimes, même après les conflits

Officiellement, dans la résolution 2467 adoptée en 2019, le Conseil de sécurité des Nations Unies tente d’appeler à l’adoption d’une approche centrée sur les survivantes, pour prévenir et répondre aux violences sexuelles dans les situations de conflit et post-conflit (car les VBG ne s’arrêtent pas après un accord de paix, ou un cessez-le-feu). La résolution demande que les victimes et les survivantes reçoivent les soins nécessaires, qu’elles ne soient pas marginalisées ni stigmatisées et qu’elles reçoivent une assistance pour leur réintégration sociale et économique et celle de leurs enfants. Elle appelle à des efforts pour lutter contre l’impunité et à une participation pleine et entière des survivants à tous les stades des processus de justice transitionnelle, y compris dans les rôles décisionnels. La résolution appelle en outre à la création d’un fonds pour les survivants.

Prendre en compte la parole des femmes à chaque étape

Oxfam n’a pas attendu cette résolution pour penser l’aide aux femmes dans leur singularité. En illustration, nous avons le plus grand camp de réfugiés du monde, celui de Cox’s Bazar  en 2018, au Bangladesh. Nous avons recueilli les témoignages de femmes y vivant, qui nous ont fait part de leur peur/impossibilité d’utiliser les sanitaires. Plus d’1/3 des femmes interrogées par les équipes d’Oxfam sur place ont déclaré ne pas se sentir en sécurité ou à l’aise lorsqu’elles vont chercher de l’eau ou utiliser les toilettes et les cabines de douche car des centaines d’incidents liés à de la violence basée sur le genre sont reportés chaque semaine. Ainsi se multiplient les risques de maladies, d’infections et d’angoisse majeure. Après avoir écouté ces femmes lors de focus group et travaillé avec des associations locales, des solutions (la non-mixité des latrines par exemple) ont pu être trouvées.