Et si les collectivités territoriales étaient les mieux placées pour concilier transition écologique et justice sociale ?

Le combat pour la transition écologique et la justice sociale se mène à tous les niveaux, de l’échelle planétaire à celle de notre commune. Le GIEC le répète, la transition des systèmes urbains et ruraux, quels que soient les territoires, est favorisée par « une planification inclusive, intégrée et à long terme aux niveaux local, municipal, infranational et national » (1). Notre « mille-feuille territorial » français est complexe, mais il nous donne des outils pour agir à tous les échelons de notre territoire. Les collectivités territoriales, de la commune à la région, ont donc un rôle clé pour nous permettre de concilier transition écologique et justice sociale.

Les collectivités territoriales, qu’est-ce que c’est ?

Les collectivités territoriales, aussi appelées collectivités locales, sont des entités administratives qui exercent certaines compétences sur un territoire précis, et qui sont distinctes de l’État.

Un ancrage territorial et des pouvoirs au niveau local

Les 67,2 millions de Français-es sont ainsi réparti-e-s dans 18 régions, 101 départements et 34 955 communes, regroupées en intercommunalités, les Établissement public de coopération intercommunale ou EPCI. Avec la décentralisation, chacune de ces collectivités a des compétences propres qui lui ont été transférées par l’Etat. Elles ont leurs institutions et leurs élu-e-s, elles n’appliquent pas simplement les décisions de l’Etat mais font pleinement partie de notre démocratie en faisant exister une démocratie locale.

Les collectivités locales, actrices majeures de la mise en œuvre politiques publiques

Alors que le débat politique se concentre surtout sur les institutions de l’Etat, à savoir le Parlement et le gouvernement, il ne faut pas oublier que les collectivités locales constituent une part essentielle de l’action et de la dépense publique. En 2022, les avances aux collectivités territoriales étaient le 3ème poste de dépense de l’Etat avec 115 milliards d’Euros, après le remboursement de la dette et les remboursements et dégrèvements d’impôts d’État, avant même l’enseignement scolaire (2). On compte par ailleurs 1 960 300 emplois dans la fonction publique territoriale contre 2 524 500 emplois dans la fonction publique d’Etat, qui inclut notamment l’éducation, l’enseignement et la recherche, et 1 210 800 dans la fonction publique hospitalière. La fonction publique territoriale représente donc environ 1/3 des fonctionnaires.

Les collectivités territoriales sont ainsi un levier majeur de l’action publique, et sont incontournables pour répondre aux défis du changement climatique et de la croissance des inégalités.

Les inégalités sociales et les impacts du climat se jouent aussi à l’échelle locale

Construction de projets à fort impact pour le climat ou la biodiversité, politique de la ville, occupation des sols, bâtiments, transports, politique de la petite enfance… Tous ces éléments sont des facteurs essentiels de la crise environnementale et des inégalités sociales, et tous sont au moins en partie déterminés par l’action des collectivités locales.

Les villes plus exposées aux risques climatiques et plus émettrices de GES (gaz à effet de serre)

Les villes en particulier sont un levier essentiel de la transition écologique : 67 villes françaises sont responsables de 67% des émissions de GES en France, les 10 plus grandes métropoles françaises regroupent 20 % de la population nationale et représentent 16% des émissions nationales de gaz à effet de serre (3).

Les villes sont des espaces de concentration de la population, elles sont donc particulièrement exposées aux risques climatiques. Elles sont également plus exposées à certains phénomènes : l’effet de l’îlot de chaleur urbain aggrave par exemple l’effet des canicules en ville (4), et l’imperméabilité des sols rend particulièrement difficile la gestion des inondations. Les citadins sont par ailleurs particulièrement exposés à la pollution puisqu’en 2020, 54 agglomérations, dont les plus peuplées, ont souffert de niveau de pollution de l’air nocifs pour la santé humaine. Les villes sont donc des espaces clés du changement climatique, qui cumulent concentration des conséquences environnementales mais aussi moyens d’action.

Des disparités entre les territoires, inégalement touchés par les inégalités sociales et environnementales

70 % des 10 % des communes les plus pauvres sont exposées à la pollution de leurs sols, contre 42 % des 10 % des communes les plus riches (5). Il est clair que pauvreté rime avec une exposition plus forte aux risques environnementaux. On doit donc avoir une compréhension locale de ces inégalités pour pouvoir agir de manière efficace et construire une transition juste.

Les inégalités sociales se concentrent particulièrement à l’intérieur des villes, où les indices d’inégalités sont plus élevés que la moyenne française (6). Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont des lieux de concentration de la pauvreté, avec un taux de pauvreté de 43.6%, alors qu’il est de 14,9% en France en 2019. Ces quartiers sont les plus exposés aux risques environnementaux : les habitants déclarent souffrir à un degré plus élevé du manque d’espaces verts, ce qui a un effet sur l’effet d’ilot de chaleur, ainsi que du risque lié à la pollution (7).

Les émissions de GES tout comme les inégalités sociales sont différenciées selon les territoires et les échelles, et les collectivités permettent d’avoir une réponse adaptée à ces différences. Les inégalités sociales sont le plus souvent liées à des inégalités territoriales et environnementales. Il est essentiel de comprendre que les trois sont liées et qu’il faut donc agir simultanément sur ces inégalités, à une échelle adaptée. Etant donnée leur poids et leur capacité d’action, il est essentiel d’avoir des politiques territoriales ambitieuses et à la hauteur des enjeux. Nous ne pourrons pas faire la transition sans les collectivités territoriales.

Quel est le réel pouvoir des collectivités territoriales pour faire face aux enjeux sociaux et climatiques ?

La transition ne se fera pas sans l’engagement des collectivités

Alors que la France vise la neutralité carbone en 2050, il faut noter que 50 % des émissions de gaz à effet de serre sont directement issues des décisions prises par les collectivités territoriales 8), et que le ministère de l’Ecologie estime « qu’environ 80% des orientations de la stratégie nationale bas-carbone nécessitent une action au niveau local pour être pleinement mises en œuvre » (9). La France ne pourra pas atteindre ses objectifs climatiques sans l’implication des collectivités locales.

Transition des transports, énergies renouvelables, rénovation thermique des bâtiments, occupation des sols … Tous ces leviers de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique dépendent au moins en partie des collectivités locales.

Les compétences des communes et des EPCI

Les communes et EPCI, en concertation avec les départements et régions, sont compétentes pour :

  • Entretenir, construire les bâtiments publics, distribuer les permis de construire, favoriser les rénovations énergétiques.
    • Le secteur du bâtiment est responsable de 19% des émissions de GES en France en 2019.
    • Le secteur du bâtiment est responsable de 44 % de la consommation énergétique.
    • 20% des Français-es déclarent avoir souffert du froid pendant l’hiver 2021-2022 (10).
  • La mise en place et la gestion des mobilités et transports locaux.
    • Les transports sont responsables de 31% des émissions de GES en France en 2019.
    • 3 millions de Français-es sont en situation de précarité mobilité d’après la FNH (11).
  • L’urbanisme, l’aménagement et l’occupation des sols.
    • L’occupation des sols en zone rurale (agriculture, foresterie et autres usages) est responsable de 23% des émissions mondiales de GES.
    • L’occupation des sols est essentielle à l’adaptation à la chaleur et à la gestion des risques d’inondation.

Les départements et la lutte contre la pauvreté

Par ailleurs, les départements sont les acteurs principaux de l’action sociale, qui, avec une fiscalité redistributive et des services publics efficaces (santé, éducation ou protection sociale notamment), est un des principaux leviers de réduction des inégalités et de redistribution des richesses. Dans les départements, l’aide sociale représente environ 2/3 des dépenses de fonctionnement. Les postes de dépense de l’action sociale en France en 2018 sont de 12 Mds € pour la lutte contre l’exclusion et la pauvreté, notamment à travers le RSA, de 8,3 Mds€ pour l’Aide Sociale à l’Enfance, de 7,6 Mds€ pour l’Aide Sociale aux Personnes Agées et de 8,4 Mds€ pour l’aide sociale aux personnes handicapées, soit en tout 36.3 Mds€ qui sont gérés par les départements pour lutter contre la pauvreté. La lutte contre les inégalités et pour la justice sociale ne peut donc pas faire l’impasse sur les départements.

Les régions, responsables d’une planification durable, juste, et concertée entre les territoires

La loi NOTRe de 2015 a donné plus de place aux régions et aux métropoles dans l’aménagement du territoire. Les régions sont devenues chefs de file Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), qui peuvent être des outils de planification écologique concertée avec les autres collectivités et adaptée aux territoires. Ces SRADDET sont notamment contraignant pour tous les plans d’urbanisme locaux et déterminent les orientations d’aménagement, d’usage des sols et de mobilités. Toutes les collectivités peuvent et doivent donc s’impliquer pour construire une transition juste à leur échelle et adaptée à leur territoire.

La commande publique, levier puissant de la transition de notre économie

Il ne faut pas oublier dans les multiples leviers dont dispose les collectivités locales l’importance de la commande publique : en 2020, le montant des marchés publics contractés par les collectivités locales s’élevait à 41, 6 Mds € soit 37% du total du montant de la commande publique. Or, la commande publique est un enjeu économique majeur puisqu’il représente en propre 8% du PIB de la France et qu’il contribue à imposer des normes et à transformer les entreprises par les critères utilisés pour les mettre en compétition. Cependant, 87.4% des contrats passés par les CT n’incluaient aucune clause environnementale et 88.4% aucune clause sociale (12). Il y a donc à la fois un levier majeur et une marge d’amélioration importante.

Engagement des collectivités territoriales : où en est-on ?

Le budget au cœur de la transition et de l’égalité

Les budgets de toutes les collectivités sont un levier essentiel des engagements pour le climat. L’Institute for Climate Economics a ainsi mis en place une méthodologie pour évaluer l’impact climatique des collectivités (13). Il est ainsi possible pour les citoyen-ne-s et organisations de la société civile de s’emparer de cet outil pour demander des comptes aux collectivités et les pousser à avoir des budgets exigeants en termes d’impact climatique et environnemental.

Depuis 2014, les collectivités ont une obligation légale de mettre en œuvre des politiques pour l’égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée. Les collectivités de plus de 20 000 habitants ont également pour obligation de présenter un rapport sur la situation en matière d’égalité femmes-hommes en amont des débats budgétaires et des plan d’actions en matière d’égalité professionnelle. De plus, les collectivités disposent de compétences spécifiques qui ont un fort impact sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, comme par exemple la politique de la petite enfance, le développement économique ou l’action sociale.

Des engagements encourageants

Les mairies et métropoles commencent à s’organiser et à prendre des engagements en faveur du climat. La Convention des Maires pour le Climat et l’Energie en Europe compte à ce jour 185 signataires en France, dont 83 ont soumis des plans d’action (14). Le Pacte pour la Transition, lancé par un regroupement de collectifs citoyens au moment des élections municipales a amené 796 listes de candidat-e-s à s’engager sur des propositions en faveur d’une transition juste. 290 de ces listes sont aujourd’hui majoritaires. Parmi les 25 plus grandes villes de France, les élu-e-s majoritaires de Paris, Lyon (ville et métropole), Montpellier, Strasbourg, Lille, Rennes, Grenoble, Nîmes, Saint Denis et Villeurbanne se sont engagé-e-s sur des mesures du Pacte (15).

14 maires de France se sont engagés à inclure dans leurs emprunts auprès de banques « des critères concernant la fin du soutien au développement des énergies fossiles et aux paradis fiscaux, et en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes » (16) dans une tribune publiée le 5 novembre 2022.

La budgétisation sensible au genre, un outil féministe mobilisable à toutes les échelles

En matière d’inégalités femmes-hommes plusieurs collectivités, notamment les villes de Lyon, Strasbourg, Rennes où Brest se sont lancées dans la budgétisation sensible au genre. La budgétisation genrée est une méthode d’évaluation des finances publiques sous l’angle de la réduction des inégalités femmes-hommes. Les collectivités ayant adopté cette démarche analysent leur budget (certains secteurs tels que la culture ou le sport, ou l’ensemble de leur budget comme souhaite le faire Lyon) en répondant à une question : ces dépenses contribuent-elle oui ou non à la réduction des inégalités ? La budgétisation genrée, défendue notamment par le Haut Conseil à l’Egalité et le Centre Hubertine Auclert, commence à gagner du terrain en France.

Les collectivités main dans la main avec les associations et les citoyens solidaires pour accueillir les exilés

En ce qui concerne les questions migratoires et l’accueil des exilé-e-s, les collectivités ont aussi un rôle à jouer. Comme l’ANVITA (Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants) l’expose très justement dans sa charte, la crise de l’accueil des migrant-e-s est avant tout une crise des valeurs mises à mal par les   politiques nationales et européennes empêchant, qu’importe le prix, les   arrivées en Europe de personnes ayant fui leur pays. Pourtant, celles-ci sont pourtant inéluctables en raison des conflits, de la pauvreté et du changement climatique. Elles sont inhérentes au droit à la mobilité, et cette politique de fermeture et de repli sur soi alimente aujourd’hui la défiance, multiplie les risques politiques, déstabilise les opinions publiques et fragilise la place de la France en Europe et dans le monde. Lorsque l’Etat, dans le cadre de ses compétences, organise l’accueil sur un territoire en lien avec la collectivité et la société civile, l’expérience prouve que l’inclusion est possible et enrichissante. En revanche, lorsque l’Etat est défaillant, les communes et les territoires restent bien seuls avec   les   associations   et   les   citoyen.ne.s,   en   première   ligne   pour   faire    face   à   l’urgence humanitaire. Il appartient alors à ces collectivités, sur leurs territoires, à la fois d’agir à l’image de l’histoire et de la culture d’hospitalité en France et d’interpeller l’Etat pour qu’il assume ses responsabilités. Les collectivités de l’ANVITA échangent des pratiques et construisent ensemble des politiques d’accueil pour les exilé-e-s.

Pour une mobilisation des collectivités territoriales sur les questions de justice sociale et de climat

Ces différentes initiatives montrent qu’il est possible pour les collectivités de prendre des engagements concrets pour une transition écologique juste socialement. Mobilisez-vous avec nous dans vos territoires en rejoignant les groupes locaux Oxfam, et en interpellant vos élus et pour leur demander de prendre des engagements concrets pour la justice sociale et climatique dans leur collectivité.