Réforme des retraites : 5 fausses idées décryptées

Alors que les débats et mobilisations autour des retraites battent leur plein, l’ambition d’une réforme « juste et de progrès » – comme présentée par le gouvernement – semble désormais bien inatteignable.

Dans son dernier rapport sur les inégalités mondiales, Oxfam a calculé qu’une taxe d’à peine 2% sur les fortunes des milliardaires français suffirait à financer le déficit des retraites que le gouvernement présente comme « hors-de-contrôle ». Ce chiffre est loin d’être anodin : alors que les milliardaires se sont enrichis grâce aux crises successives – la fortune des milliardaires français atteint désormais 542 milliards d’euros -, ce sont pourtant sur les plus précaires que les politiques menées pèsent. La réforme des retraites n’y échappe pas : telle que présentée, elle pénalisera les plus précaires et notamment les femmes.

Pourquoi n’y a-t-il pas d’urgence à mener cette réforme ? Pourquoi une taxe sur la fortune des milliardaires est-elle une piste ambitieuse et pertinente pour financer les retraites ? Décryptage de 5 idées fausses.

 

Idée reçue n°1

« Le déficit des retraites se creuse, il faut bien mener cette réforme ! »

Selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit ne sera que temporaire (25 ans maximum) et maîtrisé (0,5 point de PIB en moyenne), après deux années d’excédents (900 millions d’euros en 2021 et 3,2 milliards d’euros attendus en 2022).

Ce déficit temporaire et maitrisé n’est pas dû à un surplus de dépenses mais à moins de recettes. Lors d’une audition devant les parlementaires le 19 janvier 2023, Pierre-Louis Bras, le président du COR, déclarait : « Les dépenses de retraites sont relativement maîtrisées, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme. ».

Combler le déficit des retraites – de 12 milliards d’euros – en repoussant l’âge légal de départ à la retraite et en augmentant la durée de cotisations est un choix politique. De nombreuses autres possibilités de financements, qui ne reposeraient cette fois-ci pas sur les plus précaires, sont possibles !

Pourtant, les mesures fiscales prises sous les quinquennats d’Emmanuel Macron ont largement profité aux plus riches et aux grandes entreprises. On estime par exemple que la seule baisse des impôts de production représente un manque à gagner d’environ 15 milliards d’euros par an depuis 2020 et que les baisses d’impôts accordées aux plus riches (suppression de l’ISF, de la flax tax, diminution de l’impôt sur le revenu) ont privé l’Etat de 16 milliards d’euros annuels. Enfin, rappelons que près de 100 milliards d’euros échapperaient chaque année à l’Etat à cause de l’évasion fiscale.

Idée reçue n°2

« Les retraites sont financées par nos salaires, elles ne peuvent pas l’être via une taxe sur les fortunes des milliardaires »

Nos retraites sont financées aux deux-tiers par des cotisations. Le reste est financé par l’impôt. Financer le déficit, qui reste temporaire et maitrisé n’est donc pas seulement possible, c’est souhaitable. Le gouvernement a justifié a plusieurs reprises la nécessité de réduire les dépenses de retraites pour pouvoir poursuivre sa politique de baisse d’impôt pour les plus riches et les grandes entreprises. C’est notamment le cas dans le Programme de stabilité (juillet 2022) remis à la Commission européenne. Un choix politique qui est injuste et injustifié.

Idée reçue n°3

« La fortune des milliardaires n’est pas vraiment réelle, ce ne sont que des actions dans des sociétés »

Cet argument est très souvent repris dans les médias. Pourtant, de nombreux milliardaires ont profité du rebond spectaculaire de la bourse en 2021 pour vendre leurs actions et encaisser des milliards de dollars. Bernard Arnault par exemple a, en une seule journée de décembre, vendu plus de 10 millions d’euros d’actions. Quant à Elon Musk, c’est tout simplement le réseau social Twitter qu’il a pu racheter pour la modique somme de 44 milliards d’euros.

Par ailleurs, les ventes de yatchs et jets ont battu des records durant l’année 2021. Une nouvelle preuve que l’argent des ultra-riches est loin d’être fictif et permet d’acheter des biens, des sociétés, etc…

Idée reçue n°4

« On vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps »

Un travailleur est aujourd’hui 3 fois plus productif que dans les années 60. La question n’est pas donc de travailler plus longtemps car on vit plus longtemps mais de savoir comment bien répartir ce gain de productivité, et comment penser une société plus égalitaire où chacun·e peut avoir accès à l’emploi.

Aujourd’hui en France, d’après la DREES, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni revenu d’activité ni pension de retraite. Alors que les difficultés à (re)trouver un emploi pour cette tranche d’âge sont déjà connues, repousser encore l’âge de départ à la retraite augmenterait encore davantage le nombre de personnes nécessitant une pension d’invalidité ou des minima sociaux et donc, le nombre de personnes avec un niveau de vie très faible.

Enfin, si l’espérance de vie augmente ces dernières années, l’espérance de vie en bonne santé, qui évalue le nombre d’années qu’une personne peut compter vivre sans souffrir d’incapacité dans les gestes de la vie quotidienne, stagne. En France, l’espérance de vie en bonne santé atteint ainsi 65,9 ans chez les femmes et 64,4 ans chez les hommes.

Idée reçue n°5

« La France est déjà l’un des pays européens où l’on part le plus tôt à la retraite »

Si plusieurs pays européens ont repoussé l’âge légal de départ à la retraite, la France est l’un des pays avec le taux de pauvreté des seniors le plus faible et l’espérance de vie en bonne santé l’une des plus longues. Si c’est aujourd’hui le cas, ce n’est pas un hasard : c’est parce que notre système de retraites amortit la pauvreté. Le réformer en retardant l’âge de départ à la retraite, c’est avoir pour projet d’augmenter la pauvreté et de diminuer l’espérance de vie en bonne santé.

Aller plus loin

La réforme des retraites, une réforme injuste, inutile et impopulaire

Lire notre article sur la réforme des retraites