La Commission européenne dénonce enfin le lien entre évasion fiscale et pauvreté

C’est une petite révolution. Pour la première fois, la Commission européenne a pointé officiellement du doigt le lien entre paradis fiscaux, entreprises et pauvreté. Mieux, dans une communication du 21 avril 2010, elle fait sienne l’une des principales recommandations de la confédération internationale Oxfam en la matière : la présentation transparente des comptes des multinationales, pays par pays. Maylis Labusquière, chargée de plaidoyer à Oxfam France, explique la portée d’un tel changement et la nécessité de renforcer la pression sur nos dirigeants pour que ces prises de position aboutissent à des décisions concrètes.

Dans quel cadre la communication de la Commission européenne, qui inclut des recommandations concernant les paradis fiscaux, est-elle intervenue ? _ La Commission européenne a présenté, mercredi 21 avril 010, son plan d’action pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Elle préconise, en douze points, un ensemble de mesures destinées à rattraper le retard qu’ont pris les Etats européens par rapport à leurs engagements de réduction de la pauvreté pris en 2000. Parmi les différentes recommandations, la Commission européenne souligne explicitement pour la première fois la nécessité d’augmenter les ressources fiscales et budgétaires des pays du Sud et surtout la responsabilité de la communauté internationale dans l’évasion et la fraude fiscale au détriment des Etats pauvres, privés de ressources primordiales pour leur développement. Chaque année, ce sont près de 00 milliards d’euros|Estimation issue du "Global Financial Integrity Program", programme dirigé par Raymond Baker et faisant partie du Center for International Policy, "Flux illicites en provenance des pays en développement 2002-2006" (2008 de capitaux en provenance des pays du Sud qui échappent à la taxation, abrités dans des paradis fiscaux. Ce montant représente à lui seul dix fois celui de l’aide publique au développement dans le monde ! En quoi cette prise de position de la Commission européenne est-elle novatrice ? _ Cette communication de la Commission européenne constitue une petite révolution, d’abord parce qu’elle affirme que le renforcement de l’administration fiscale des pays du Sud est une priorité dans la lutte contre la pauvreté, un point jusque-là négligé par l’aide internationale. Ensuite et surtout, parce qu’elle désigne les multinationales – et donc implicitement certaines entreprises européennes – comme les premières responsables des pertes fiscales des pays du Sud. Le manque à gagner pour les pays du Sud causé par l’évasion fiscale, légale et illégale, est gigantesque : ces Etats perdent 125 milliards d’euros de recettes du seul fait de l’évasion fiscale des multinationales (estimation de Christian Aid). Cet argent est purement et simplement soustrait aux Etats et à leurs populations. Le fait que la Commission européenne fasse publiquement ce diagnostic est déjà une avancée en soi, mais la révolution c’est surtout que, pour la première fois, elle fait le lien entre paradis fiscaux, entreprises et pauvreté. Elle soutient ainsi l’une des cinq recommandations essentielles qu’Oxfam France défend, notamment dans le apport de la campagne Hold-up sur la responsabilité sociale, environnementale et fiscale des multinationales|"Des sociétés à irresponsabilité illimitée – Pour une responsabilité environnementale, sociale et fiscale des entreprises (RESF)", rapport du CCFD-Terre solidaire et d'Oxfam France (mars 2009 : la présentation transparente des comptes des multinationales pays par pays. Quel est l’intérêt d’une telle demande à l’égard des entreprises multinationales ? _ Actuellement, les multinationales présentent des résultats par région et non par pays. Dans certains Etats, elles déclarent des profits très bas, alors qu’elles y mènent une activité considérable, avec de nombreux employés. Dans d’autres, inversement, elles déclarent des profits très élevés, alors que leurs activités y sont minimes, pour ne pas dire inexistantes comme c’est le cas dans les paradis fiscaux… Tels qu’ils sont présentés, par région, ces comptes sont opaques et impossibles à décrypter pour les administrations fiscales, et plus encore celles des pays pauvres. Imposer à ces multinationales de présenter des comptes pays par pays, ce que préconise désormais la Commission européenne, permettrait de comparer l’activité réelle de ces entreprises dans un pays aux profits qu’elles y déclarent. Cette simple mesure de transparence contribuerait à dissuader les multinationales de recourir aux paradis fiscaux et donc à renforcer les ressources fiscales des pays pauvres. Quelle est peut être la portée de ces recommandations de la Commission européenne ? _ Poser ce diagnostic est une première étape. Et il était temps, d’ailleurs ! La Commission européenne doit maintenant poursuivre cette démarche avant-gardiste. Il est extrêmement important qu’elle invite les 27 Etats européens à se pencher sur le sujet. Mais elle n’est pas décisionnaire. Tout l’enjeu, désormais, est que les Etats membres, au premier rang desquels la France et la Grande-Bretagne qui ont déjà travaillé sur ces questions, s’approprient les recommandations de la Commission, prennent des décisions concrètes et jouent un rôle moteur au niveau européen. Or, aujourd’hui, aucun calendrier n’est fixé, ni au sein des Etats membres, ni au niveau des institutions européennes. La communication de la Commission européenne doit encore être adoptée par les ministres des Affaires étrangères et du développement des 27 Etats membres de l’Union européenne, réunis le 14 juin, avant le sommet des chefs d’Etats européens quatre jours plus tard. Mais même si elle est adoptée, elle n’impliquera pas de décisions. Les organisations de la confédération internationale Oxfam, dont Oxfam France, conjuguent donc leurs efforts pour maintenir la pression sur les dirigeants de chaque Etat et au niveau européen. Mais la fiscalité, prérogative régalienne des Etats, reste un sujet très sensible, d’autant plus que l’Union européenne compte parmi ses membres des paradis fiscaux notoires comme le Luxembourg qui s’échinent à bloquer toute décision en la matière. Les résultats auprès de la Commission européenne sont certes très encourageants, mais il est capital de continuer à se mobiliser pour faire en sorte que des décisions soient enfin prises dans le domaine de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux, dans l’intérêt des Etats pauvres mais aussi des Etats européens confrontés à des déficits records.

Stop Paradis fiscaux : c’est le moment d’agir !

La lutte contre les paradis fiscaux ne doit pas rester une affaire de spécialistes ni une question laissée aux seules initiatives des États. La participation de tous les acteurs de la société civile est indipensable et doit être la plus large possible. Notre démarche de mobilisation citoyenne s’appuie sur l’idée que chacun, à son niveau, [citoyen->http://www.stopparadisfiscaux.fr/node/4781], [militant syndical->http://www.stopparadisfiscaux.fr/node/4780], [élu de collectivité locale->http://www.stopparadisfiscaux.fr/content/je-suis-%C3%A9lu-de-collectivit%C3%A9-locale] ou [dirigeant d’entreprise->http://www.stopparadisfiscaux.fr/node/4777], peut prendre une part. – [Demandez des comptes à votre banquier->Paradis-fiscaux-demandez-des,497][Signez et diffusez l’appel "Stop Paradis fiscaux"->http://www.stopparadisfiscaux.fr/]

En savoir plus

– Lire la note "[Contre l'évasion fiscale des multinationales : une comptabilité transparente, pays par pays->IMG/pdf/reporting-pays-par-pays-position-PFPFJ.pdf] (Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires, 2010) – Consulter les informations du programme d'Oxfam France sur les [Paradis fiscaux et judiciaires->-Paradis-fiscaux-] et les [Recettes fiscales des pays du Sud->-Fiscalite-], dans la rubrique Nos actions