L’OCDE ne prête l’oreille qu’aux riches

L'Organisation de coopération et de dévelopement économique (OCDE) se saisit enfin de la question des liens entre évasion fiscale et (freins au) développement. En interrogeant essentiellement les pays riches et les multinationales…

Anne-Sophie Simpere, notre chargée de plaidoyer justice fiscale, a décrypté la situation pour Le Plus du Nouvel Observateur.

5 ans pour agir… entre pays riches

En 2009, alors que la crise révélait l’ampleur de l’opacité financière et l’inadéquation des règles fiscales internationales, le G20 s’était engagé à agir pour instaurer plus de transparence et permettre aux États de remettre la main sur les milliards perdus chaque année à cause des manipulations des entreprises multinationales pour échapper à l’impôt.

Il aura fallu cinq ans pour qu’un plan d’action au niveau international soit mis en place, confié à l’OCDE.

Problème : l’OCDE est un club de pays développés, pour ne pas dire riches, excluant de fait 80% des États du monde.

Or, entre évasion fiscale et exonérations accordées aux multinationales, les pays du Sud perdent chaque année 242 milliards de dollars soit le double du montant estimé nécessaire pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) sur la pauvreté, l'éducation et la santé.

Si l’OCDE a organisé des consultations régionales pour les pays non membres, on ne sait pas comment leur avis sera pris en compte.

En outre, les États les plus pauvres n’ont ni les ressources ni le temps de suivre ce processus pourtant crucial. Par exemple, lors de la consultation pour la région Asie, une majorité des participants étaient des États OCDE/G20, et des paradis fiscaux…

Le monde des affaires en première ligne

Si les pays les plus pauvres peinent à suivre le processus, le monde des affaires s’y joint de manière extrêmement active.

Par exemple, 87% des contributions sur le reporting pays par pays – qui permettrait de détecter les transferts de profits d’un pays vers un paradis fiscal – venaient des entreprises ou des cabinets comptables élaborant les plans d’optimisation fiscale pour ces dernières.

La quasi-totalité du secteur des affaires s’oppose à ce reporting, et l’OCDE a déjà commencé à reculer : suite à la consultation, l’organisation a annoncé que plusieurs mesures de cette régulation seraient abandonnées et que ces données n’auraient pas à être rendues publiques.

La société comptable internationale KPMG (Suisse) a qualifié cette décision de "bonne nouvelle".

Les grands groupes risquent de dominer

Autre sujet d’inquiétude : la proximité entre les législateurs, qui doivent établir les règles pour limiter l’évasion fiscale, et les conseillers des sociétés comptables, dont la mission est de les affaiblir.

La personne en charge des questions de politiques fiscales sur les groupes internationaux en ligne et hi-tech pour l’OCDE jusqu’en 2011, conseille maintenant les sociétés numériques dans le cabinet d’affaire Baker & McKenzie.

Dans le sens inverse, l'OCDE a récemment annoncé que le nouveau responsable de son service "Prix de transfert" était jusqu'à il y a peu l'un des partenaires de KPMG, à Londres.

Avec de tels liens, l’approche et les volontés des grands groupes d’audit ont de grandes chances d’être dominantes dans les législations adoptées.

Les pays en développement méritent mieux

Dans ces conditions, on peut craindre que les mesures adoptées soient de faible portée, et centrées sur les préoccupations des pays les plus riches.

Ainsi, le plan actuel dévolue un chapitre à l’économie numérique, mais reste muet sur les secteurs des industries extractives ou de l’agrobusiness, bien plus pertinents pour de nombreux pays en développement.

Il fait aussi l’impasse sur la question des incitations fiscales, avantages fiscaux octroyées à des multinationales sous prétexte d’attirer les investissements, et qui privent les États les plus pauvres de millions d’euros de revenus.

Le Niger, par exemple, perd 10 à 15 millions d’euros par an à cause des exonérations de TVA dont bénéficient le groupe français Areva, alors que le programme d’accès aux soins gratuits pour les populations vulnérables du pays peine à être financé.

Il faut changer de cap

Il n’y aura pas de progrès sérieux dans la lutte contre l’évasion fiscale au niveau mondial si les pays du Sud ne sont pas intégrés au processus et si les règles ne profitent pas à tous.

Il n’y aura pas de progrès sérieux si l’OCDE persiste à chercher des solutions complexes et techniques pour mieux appliquer les règles existantes, sans véritablement tenir compte de la mondialisation des entreprises.

Que ce soit par des études sur un modèle de taxation unitaire ou par la mise en place d’une autorité fiscale internationale donnant à chaque pays une voix sur un pied d’égalité, il faut changer de cap.


Cet article a été produit avec le soutien financier de la Commission européenne. Son contenu relève de la seule responsabilité d'Oxfam France et ne reflète pas nécessairement les positions de la Commission européenne et de ses services.