Loi PACTE : un rendez-vous manqué pour la réduction des inégalités au sein des entreprises malgré une très forte mobilisation citoyenne !

Les entreprises du CAC 40 reversent en moyenne plus des 2/3 de leurs bénéfices sous forme de dividendes à leurs actionnaires, elles versent un salaire moyen à leur PDG équivalent à 280 SMIC et comptent plus de 1400 filiales dans les paradis fiscaux.

Pourtant les inégalités qui sont à l’œuvre dans les grandes entreprises ne sont pas une fatalité. Il est possible de les combattre par des choix politiques et économique plus justes.

La loi PACTE – Pour la croissance et la Transformation des Entreprises – qui vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale était pour Oxfam une opportunité importante à saisir pour lutter contre les inégalités.

Après 10 mois de mobilisation d’Oxfam pour apporter des améliorations à cette loi, on fait le bilan. Retour en 4 actes sur notre mobilisation pour une économie plus juste.

Acte 1 – Inégalités au sein du CAC40 : l’étude inédite d’Oxfam

Nous sommes en mai 2018. Oxfam et le BASIC publiaient une étude inédite sur le partage de la richesse au sein des entreprises du CAC40 depuis 2009. Dividendes record, écart des salaires et évasion fiscale, le rapport « CAC40 : des profits sans partage » met en lumière une tendance lourde dans les choix économiques de ces grandes entreprises qui contribuent à alimenter la spirale des inégalités, privilégiant une élite économique et laissant de côté des femmes et hommes qui contribuent pourtant par leur travail à la création des richesses.
Publiée en amont de l’ouverture des discussions parlementaires sur la loi PACTE, cette étude a suscité beaucoup d’intérêt et a permis de faire vivre dans le débat public nos 3 demandes prioritaires :

Acte 2 – Une forte mobilisation citoyenne et politique pour améliorer la loi PACTE

Plusieurs centaines de cartes postales ont été envoyées aux député.e.s pour leur demander de soutenir nos demandes. Et nos bénévoles ne sont fortement mobilisés pour rencontrer leurs élus, à l’Assemblée nationale et dans les circonscriptions, et leur présenter nos propositions d’amendements.

Pour donner plus d’ampleur à notre mobilisation et augmenter nos chances de sensibiliser les député.e.s sur nos 3 demandes, nous avons lancé une plateforme de mobilisation en ligne, qui a permis au total d’interpeller par mail et Twitter plus des deux tiers des député.e.s avec plus de 9 400 interpellations. Cliquez ici pour revoir l’émission C politique (France 5) qui a filmé les coulisses de notre mobilisation dans les locaux d’Oxfam France.

Après que Bruno Le Maire, le Ministre de l’Economie et des Finances, se soit prononcé en faveur de la transparence sur les niveaux de salaires au sein d’une même entreprise, nous avons décidé de lancer un appel aux député.e.s pour leur demander de s’ils étaient favorables à une transparence des écarts par quartile, c’est-à-dire une mesure visant à demander aux entreprises de plus de 1 000 salariés de publier dans leur rapport annuel les écarts de rémunération par seuil de 25% pour chaque pays dans lesquels elles sont présentes. Nouveau succès puisque 86 député.e.s ont répondu favorablement et 6 groupes politiques de l’Assemblée nationale ont déposé des amendements pour faire adopter cette mesure.

Acte 3 – Les renoncements du gouvernement et de la majorité présidentielle

En présentant son projet de loi, le gouvernement annonçait que PACTE permettrait d’instaurer des entreprises plus justes, combattant ouvertement les inégalités qui se créent en leur sein.

Malheureusement, le projet de loi qui a été adopté samedi 16 mars au petit matin, ne tient pas cette promesse de mettre un terme aux excès dans les entreprises et de mieux partager les richesses avec les salariés.

C’est d’abord un rendez-vous manqué sur la gouvernance des entreprises, pourtant annoncée comme une mesure phare du projet de loi. Le gouvernement s’est opposé à la création d’un seuil de 3 administrateurs salariés pour les conseils d’administration de plus de 12 membres, ce qui était pourtant une recommandation du rapport Notat-Sénard. La mesure adoptée reste symbolique puisqu’elle ne concernera que 8 entreprises du CAC 40 et ne fera progresser la présence des salariés dans les conseils d’administrations de ces entreprises qu’à 11% contre 10% aujourd’hui. On est loin de la moyenne européenne qui est de 33% ou de nos voisins allemands où ce chiffre monte à 50%.

Ensuite, sur la question des versements record de dividendes, malgré la volonté affichée par le gouvernement de remettre le social au cœur de l’entreprise en partageant plus équitablement les bénéfices avec les salariés, aucune mesure d’encadrement des rémunérations des actionnaires n’a été adoptée. Pourtant les dividendes des entreprises du CAC40 ont augmenté en moyenne trois fois plus vite que les salaires depuis 2009. Pour mieux partager les bénéfices avec les salariés, il aurait fallu agir en priorité sur l’encadrement des dividendes et ne pas se contenter d’une augmentation de l’intéressement ou la participation qui comporte de nombreux écueils pour les salariés et le financement de la protection sociale.

Enfin, sur la transparence des écarts de salaires, les mesures adoptées par le gouvernement soient largement en deçà des engagements de campagne d’Emmanuel Macron et des ambitions affichées par Bruno Le Maire. Les amendements en faveur d’une transparence des écarts de salaires par quartile et par pays ont été balayés d’un revers de main par le gouvernement et la majorité, alors qu’ils étaient soutenus par 6 groupes politiques différents.
Pour quel motif ? La compétitivité ! Un argument qui ne tient pas la route, puisque des mesures de transparence sur les écarts de salaires sont déjà en place aux Etats-Unis et au Royaume-Uni où le gouvernement conservateur de Theresa May a introduit une mesure de transparence sur les écarts de salaires par quartile avec un avis positif des syndicats du patronat et une étude d’impact publique qui conclut qu’elle n’a aucun impact financier pour les entreprises.

C’est donc une mesure de transparence sur le seul salaire médian et le salaire moyen, qui a été adoptée par le gouvernement. Une coquille vide doublée d’un problème technique, rendant la mesure inutilisable :
• Elle ne permet pas de déterminer si ce sont les hauts salaires ou les bas salaires qui augmentent le plus au sein d’une entreprise ;
• Le mode de calcul est différent pour la rémunération médiane (avec les dirigeants) et la rémunération moyenne (sans les dirigeants) et ne permet pas de les comparer pour connaitre l’évolution des écarts de salaires ;
• Les données seront agrégées au niveau international et pénaliseront les entreprises qui opèrent dans des pays à faible niveau de rémunération. Par exemple pour Total, la mesure du gouvernement reviendrait à agréger la rémunération du cadre supérieur en France et celle de l’ouvrier sur une plateforme en Ouganda ou au Congo-Brazzaville.

Acte 4 – Oxfam reste mobilisée pour une économie plus juste !

L’adoption de cette loi clôture un temps fort de participation active de la société civile aux côtés d’Oxfam. Nous saluons la mobilisation qui a eu lieu dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale par les député.e.s qui ont soutenu et relayé cette demande citoyenne ces 6 derniers mois. Oxfam les remercie pour leur soutien et leur ténacité.
Nous continuons de nous engager ensemble contre les inégalités sociales et économiques.

Le G7 – la réunion des 7 pays les plus riches de la planète – qui a lieu cette année en France est placé sous le signe de la lutte contre les inégalités.

Chiche ! Oxfam portera parmi ses revendications la question des inégalités dans les grandes entreprises : un partage plus équitable des bénéfices, la lutte contre l’évasion fiscale des multinationales et une vraie transparence des écarts de salaires qui fait l’objet d’une très forte attente citoyenne. Les pays riches doivent l’entendre !