Loi Sapin 2 : une timide avancée vers la transparence fiscale

Oxfam, avec ses partenaires, s’est mobilisée ces derniers mois pour faire progresser la lutte contre l’évasion fiscale et les inégalités dont cette dernière est à l’origine. Pour cela, dans le cadre de la loi Sapin 2, nous avons défendu le reporting pays par pays public. Si nous avons obtenu des avancées, le chemin vers la transparence fiscale est encore long.

Retour sur la mobilisation

Une nuit de décembre 2015, alors que l’Assemblée nationale votait son budget des finances rectificatif, une manœuvre du gouvernement pour bloquer une mesure de lutte contre l’évasion fiscale avait eu un fort retentissement médiatique[1]. Cette même mesure, le reporting pays par pays public a été de nouveau au cœur des débats et fin septembre 2016, lors du vote en deuxième lecture de la loi « Sapin 2 » sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, l’histoire semble s’être répétée. Les débats à l’Assemblée se sont prolongés, le temps de faire rentrer dans l’hémicycle des députés de la majorité, et le Gouvernement est encore une fois parvenu à bloquer des amendements sur le reporting pays par pays public.

Mais cette fois-ci, la mobilisation de la société civile a permis d’aller plus loin : les députés ont adopté un reporting public certes, mais incomplet, car il n’inclut pas l’ensemble des pays où les multinationales sont présentes.

Après un an de mobilisation, où en sommes-nous aujourd’hui dans la lutte contre l’évasion fiscale ?

Le reporting pays par pays public, qu’est-ce que c’est ?

Une mesure clé de lutte contre l’évasion fiscale, dont le principal objectif est d’obliger les entreprises à rendre publiques des informations sur leurs activités et les impôts qu’elles payent dans chaque territoire où elles sont implantées. Avec le reporting, identifier si les entreprises paient leur juste part d’impôt, correspondant à leur activité économique réelle dans chaque pays[1] est possible. Ce reporting aurait été un signal fort vers la fin de l’opacité qui est actuellement la norme pour les multinationales.

Une mesure insuffisante face aux scandales d’évasion fiscale

Plus de transparence est essentielle pour apporter une réponse forte aux scandales d’évasion fiscale qui se succèdent sans cesse : les Panama Papers, l’évasion fiscale massive des banques françaises, les Bahamas leaks, l’ouverture d’une enquête de la Commission européenne à l’encontre d’Engie et le cas Apple dans les derniers mois seulement.

Malgré ce contexte, le reporting adopté par les députés oblige les entreprises à rendre publiques les informations sur leurs activités et les impôts qu’elles payent uniquement dans les pays où elles ont un nombre minimum de filiales, qui sera défini ultérieurement par décret. Ce reporting exclura de fait un nombre important de pays et laissera encore de trop nombreuses zones d’ombre, que les entreprises pourront utiliser pour échapper à l’impôt. Par exemple, si le seuil était fixé ne serait-ce qu’à deux filiales par pays, cela exclurait du reporting de Total 37 pays sur les 98 où le groupe est implanté[2].

L’évasion fiscale est néfaste pour la cohésion sociale des pays riches et pauvres, mais elle compromet aussi le développement des pays les plus vulnérables en les privant des recettes fiscales nécessaires au financement de leurs services publics. On estime ainsi que l’évasion fiscale grève le budget des pays les plus pauvres de 170 milliards de dollars chaque année.

Adam Patterson/Oxfam

Seule une transparence complète sur les activités des multinationales dans tous les pays où elles sont implantées permettra aux citoyens et aux Etats de savoir si les multinationales paient bien leur juste part d’impôts. C’est pourquoi, les organisations de la société civile se battent depuis plus de dix ans pour un reporting pays par pays public.

Des occasions manquées

La France a eu plusieurs occasions au cours du mandat de François Hollande pour marquer une réelle avancée dans le sens de la justice fiscale. Après la manœuvre de décembre 2015 et l’adoption en septembre 2016, d’une avancée très partielle dans la loi « Sapin 2 » qui vide en grande partie la mesure de sa substance, la mobilisation continue.

Une avancée symbolique

En effet, en six mois, le Gouvernement est passé d’une nette opposition au reporting pays par pays public à une timide avancée vers plus de transparence. Si cette mesure reste symbolique et insuffisante, il s’agit tout de même d’un important résultat, qui se doit principalement au plaidoyer sans relâche des organisations de la société civile et à la pression des citoyen-ne-s. Après des interpellations des députés, en commission des lois avant et en plénière ensuite, une mobilisation massive sur les réseaux sociaux[3] et devant l’Assemblée nationale, la France devient le premier pays en Europe à adopter une telle mesure.

Alors qu’une proposition de reporting public sera discutée au niveau européen au premier semestre de l’année prochaine, la France a encore la possibilité de franchir le pas vers plus de transparence fiscale en soutenant dans ce cadre un reporting public plus ambitieux, qui couvre tous les pays où les multinationales sont présentes, sans conditions.