Plan de relance : pour une relance économique juste, durable et solidaire

Le gouvernement a présenté son plan de relance le 3 septembre et malheureusement les conditions ne sont pas réunies pour faire repartir notre économie dans un sens plus juste, durable et solidaire. Il est impératif de ne pas refaire les mêmes erreurs qu’en 2008 où la relance sans conditions ni boussole a fragilisé nos entreprises et conduit notre économie dans le mur. La crise du coronavirus a mis en lumière les failles de notre modèle économique qui crée d’immenses inégalités et aggrave les changements climatiques. Ce modèle n’est pas une fatalité, c’est le résultat de choix politiques. Oxfam appelle les parlementaires à faire voter les 7 mesures clés pour un plan de relance juste, durable et solidaire et sera mobilisée tout l’automne pendant les débats au Parlement.

Plan de relance de 100 milliards d’euros : que contient-il ?

Le Plan de relance a été présenté le 3 septembre 2020. Son montant total est évalué à 100 milliards d’euros et il est divisé en 3 axes :

  • Compétitivité : 34 milliards d’euros
  • Transition écologique : 30 milliards d’euros
  • Cohésion : 36 milliards

Il sera intégré dans le projet de loi de finances pour 2021 (PLF 2021) qui sera présenté le 28 septembre. Le paquet « Plan de relance – PLF » sera examiné par les parlementaires, à partir du 5 octobre, et suivra une navette parlementaire (1ère et 2ème lecture à l’Assemblée nationale puis au Sénat) tout l’automne.

Pas de contreparties demandées aux entreprises

Le gouvernement prétend faire du Plan de relance un outil majeur pour rendre notre économie plus durable mais à ce stade il ne pose à ce stade aucune conditionnalité aux entreprises en échange des aides qui leur seront versées et aux baisses d’impôts qui leur seront accordées.

Le gouvernement reproduit les mêmes erreurs qu’après la crise de 2008 où nous avons relancé sans imposer aucune contrepartie sociales et écologiques. Résultat, au cours des 10 dernières années, les grandes entreprises ont perdu de vue la vision de long terme et ont fait des choix stratégiques qui ont aggravé les inégalités en leur sein et creusé le déficit climatique. C’est ce que nous avons récemment mis en lumière dans notre rapport . Entre 2009 et 2018, les entreprises du CAC 40 ont augmenté de 70 % la rémunération de leurs actionnaires et de 60 % la rémunération des PDG, plutôt que d’investir dans des investissements et dans des revalorisations de salaires.

Nous avons le choix de relancer la croissance aveuglément ou d’orienter notre modèle économique pour qu’il soit plus juste, plus durable, plus résilient. Pour cela, il est nécessaire de mettre des conditions sociales et environnementales aux aides versées dans le cadre du plan de relance.

> Communiqué de presse : La transition écologique reléguée au second plan

Une baisse aveugle des impôts de production

Le gouvernement a annoncé que près de 20 milliards d’euros du plan de relance seraient dédiés à une baisse sans précédent des impôts sur la production, soit environ 20% du montant total du plan de relance. Cela va représenter une perte de 10 milliards d’euros par an pour l’Etat et les collectivités.

Non seulement cette baisse ne sera pas ponctuelle mais surtout elle n’est pour le moment pas ciblée vers la transition écologique et sociale. Autrement dit, elle va profiter autant à des Biocoop qu’à des TOTAL les mêmes marges de manœuvre seront ainsi données à une entreprise solidaire et à un gros pollueur, sans se poser la question de quelle réindustrialisation nous souhaitons. Pire, selon la DGFiP, les secteurs qui devraient le plus bénéficier de la baisse des impôts de production sont le secteur extractif et la finance, sans aucune garantie qu’ils s’engagent dans une transition écologique.

Le gouvernement fait fausse route : baisser les impôts ne fait pas automatiquement augmenter l’investissement. Notre récent rapport sur le CAC 40 montre bien que les baisses d’impôts accordées au CAC 40 entre 2009 et 2018 n’ont pas relancé l’investissement :elles ont été essentiellement absorbées dans la hausse des dividendes.

> Lire notre décryptage : Plan de relance : 6 raisons de ne pas baisser aveuglément les impôts de production

Plan de relance : les 7 mesures prioritaires d’Oxfam

Le Parlement aura un rôle majeur à jouer pour conditionner la relance et ne pas laisser la facture aux plus vulnérables. Oxfam France se mobilise pour faire voter les 7 mesures clés pour une économie plus juste, plus durable et plus solidaire.

  • Mesure 1 : Exiger des conditionnalités écologiques et sociales aux aides publiques versées aux entreprises
  • Mesure 2 : Mettre fin aux subventions néfastes pour le climat
  • Mesure 3 : Refuser la baisse aveugle des impôts de production
  • Mesure 4 : Rétablir un système fiscal progressif sur les individus
  • Mesure 5 : Mettre en place un budget vert et juste pour analyser l’impact des politiques publiques sur les inégalités et le climat
  • Mesure 6 : Une aide au développement ambitieuse quantitativement
  • Mesure 7 : la Taxe sur les Transactions Financières (TTF)

Pour une relance durable : être ambitieux sur la transition écologique

 Le plan de relance peut être un tournant en matière de financement de la transition écologique et de lutte contre les inégalités. Pour cela, le gouvernement français doit conditionner l’ensemble des aides publiques à des objectifs sociaux et climatiques et mettre fin aux subventions néfastes pour le climat.

Mesure 1 : Exiger des conditionnalités écologiques et sociales aux aides publiques versées aux entreprises

  • Des conditions écologiques

Il faut exiger des entreprises aidées la publication d’une stratégie d’alignement avec l’Accord de Paris. L’ensemble des aides aux entreprises doivent être conditionnées à la publication d’un plan de transformation des entreprises qui comprendrait la publication annuelle de l’empreinte carbone directe et indirecte (scopes 1, 2 et 3), une trajectoire d’alignement avec les objectifs de l’accord de Paris et un plan d’investissement permettant de respecter cette trajectoire.

  • Des conditions sociales

Pas un seul euro d’aide publique ne doit être utilisé pour rémunérer des actionnaires ou payer des bonus aux PDG des grandes entreprises. Les entreprises bénéficiant du soutien de l’Etat doivent utiliser l’argent public pour la protection de l’emploi et des activités essentielles. Le plan de relance doit prévoir d’interdire aux entreprises aidées de verser des dividendes et des bonus aux PDG pour le prochain exercice budgétaire (2021). Dans le cas d’une aide pluriannuelle (au-delà de l’exercice 2021), il faut encadrer par loi le versement de dividendes au-delà de l’exercice 2021 jusqu’à la fin de l’aide.

Mesure 2 : Mettre fin aux subventions néfastes pour le climat

30% du Plan de relance serait orienté vers la transition écologique. Mais, investir dans le « vert » n’a de sens que si l’on n’investit pas dans le « brun ». Or la France continue de soutenir à hauteur de 18 milliards d’euros par an les énergies fossiles via des niches fiscales et les garanties à l’export en faveur de projets gaziers et pétroliers.

Qu’est-ce que les garanties export ? C’est une forme de subvention aux énergies fossiles où l’Etat se porte garant de prêts auprès des banques pour les entreprises françaises, par le biais de la banque publique d’investissement Bpifrance, pour la réalisation de projets pétroliers ou gaziers.

Oxfam demande la mise en place de conditions sociales et environnementales à l’octroi des garanties exports du Trésor, via Bpifrance Assurance Export. Ces conditions doivent permettre de garantir le respect des droits humains et d’exclure les soutiens aux entreprises dont les activités à l’international sont incompatibles avec l’Accord de Paris. En particulier, le gouvernement doit s’engager à exclure tout soutien au secteur des énergies fossiles incluant gaz et pétrole d’ici à 2022.

Pour une relance juste : ne pas faire payer la note aux plus vulnérables

40% du plan de relance sera financé par des aides européennes. Il est essentiel que les plus vulnérables, en première ligne face à la crise, ne se retrouve pas à payer le reste de l’addition. En particulier, les baisses structurelles d’impôts de production vont créer un manque à gagner de 10 milliards d’euros chaque année pour l’Etat et les collectivités. En refusant d’augmenter les impôts sur les plus riches, le gouvernement pourrait faire payer la facture de cette mesure aux plus vulnérables en augmentant les impôts les plus injustes (TVA, CSG, CRDS) ou en coupant dans les services publics.

Mesure 3 : Refuser la baisse aveugle des impôts de production

La France aurait des impôts sur la production parmi les plus élevés d’Europe. Mais parfois comparaison n’est pas raison. Le montant des impôts sur la production est largement compensé par de fortes subventions à la production. La France possède un des niveaux de subvention les plus élevés d’Europe : près de 3% du PIB, deux fois plus qu’au sein de la zone euro, trois fois plus qu’en Allemagne.

A la place de cette mesure contre-productive du gouvernement, Oxfam appelle à mettre en place un bonus-malus social et écologique comme le demandent les 400 000 entrepreneurs du mouvement « Nous Sommes Demain ». Cette solution consisterait à moduler l’imposition en fonction des performances sociales et environnementales des entreprises : des baisses d’impôts pour les entreprises ayant des performances sociales, environnementales, climatiques exemplaires, une hausse d’impôts pour celles dont les pratiques correspondent à du dumping social, environnemental ou climatique.

Si une baisse des impôts sur la production doit être votée, elle doit a minima être conditionnée à l’investissement dans la transition écologique : parmi les plus gros contributeurs des impôts de productions, on trouve les secteurs polluants comme le secteur hydrocarbure, la manufacture ou la finance. Cette baisse devrait aussi cibler plus particulièrement les entreprises qui en ont vraiment besoin : de manière générale, les grandes entreprises disposent de fonds pour financer leur transition écologique.

Mesure 4 : Rétablir un système fiscal progressif sur les individus

La crise a exacerbé les inégalités : alors que de nombreuses familles doivent supporter le poids de la crise sur leurs finances, le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes de France a progressé de 3% sur un an, battant ainsi un nouveau record malgré la crise.

En France, les réformes fiscales votées au début du quinquennat ont au contraire fortement réduit la progressivité de notre système fiscal, notamment le remplacement de l’ISF par l’IFI et la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) ou « flat tax ». Une nouvelle étude rappelle que les 10 % les plus riches obtiennent 79 % du gain total de niveau de vie induit par ces mesures, aggravant ainsi les inégalités.

Il est plus que jamais nécessaire de repenser notre système fiscal pour qu’il corrige ces inégalités. Au Royaume-Uni, le gouvernement a annoncé son intention d’augmenter les impôts sur les grandes entreprises, les dividendes et la fortune afin de faire contribuer les plus aisés. Et aux Etats-Unis, plus de 80 millionnaires ont récemment demandé à taxer davantage les plus riches pour faire face à la crise.

Oxfam appelle donc les parlementaires à faire adopter deux amendement dans le plan de relance :

  • Rétablir un impôt sur les grandes fortunes
  • Supprimer le prélèvement forfaitaire unique

Mesure 5 : Mettre en place un budget vert et juste pour analyser l’impact des politiques publiques sur les inégalités et le climat

La transition écologique ne doit pas se faire sur le dos des plus pauvres. L’exemple de la taxe carbone, telle qu’elle avait été mise en place, montre le besoin d’évaluer l’impact des mesures budgétaires sur les inégalités et le climat. Plusieurs études ont révélé que les 10 % les plus pauvres en France payaient, proportionnellement à leurs revenus, 2,7 fois plus de taxe carbone que les 10% les plus riches alors que ces derniers polluent 3 fois plus que les ménages les plus pauvres.

Il serait incompréhensible de relancer l’économie sans mettre au cœur de l’action politique la lutte contre les inégalités et contre le changement climatique. Cette évaluation doit être réalisée annuellement et confiée à un organisme public indépendant du gouvernement, comme cela existe par exemple aux Pays-Bas.

Oxfam portera deux amendements dans les débats parlementaires pour atteindre cet objectif :

  • Introduire un jaune budgétaire sur l’impact par centile des projets de loi de finances (impact sur le pouvoir d’achat des ménages, des 1% les plus pauvres aux 1% les plus riches).
  • Publier un rapport sur l’impact des principales niches fiscales sur les entreprises et les particuliers sur les inégalités et le climat.

Pour une relance solidaire : lutter contre le virus ici et là-bas

Au-delà d’une réponse et relance purement nationale, l’aspect unique de cette crise et sa gravité nous placent face à nos responsabilités sur la scène internationale. La période que nous traversons appelle une aide au développement irréprochable.

Mesure 6 : Une aide au développement ambitieuse quantitativement

Faire face à la situation actuelle nécessite la mobilisation de crédits supplémentaires à ceux votés avant l’apparition du virus mais aussi à ceux prévus par la trajectoire du gouvernement. La loi de finances devra répondre à cette nécessité tout comme la future loi de programmation relative au développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales (LOPDSIM) débattues par l’Assemblée dès la fin d’année.

Compte tenu des circonstances, il est plus que jamais urgent que la France honore enfin son engagement, vieux de 50 ans, de consacrer 0,7 % de son Revenu National Brut (RNB) à l’aide publique au développement (APD). Le renforcement de notre APD devra être visible dès la loi de finances pour 2021 et la cible des 0,7 % en 2022 intégrée au sein de la LOPDSIM afin de pérenniser cet engagement. Enfin l’aide additionnelle pour répondre à la crise de la COVID devra nécessairement prendre la forme de dons pour ne pas nourrir la charge de la dette pesant sur les pays du Sud.

 

Mesure 7 : la Taxe sur les Transactions Financières (TTF)

La taxe sur les transactions financières doit enfin retrouver son ambition initiale en finançant une partie de la réponse internationale à la crise de la COVID.

Entre 2017 et 2019, en France, 2,1 milliards d’euros issus de la TTF ont été dédiés à de la solidarité internationale en finançant entre autre le Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Le partenariat mondial pour l’éducation, ou encore Le fonds vert de l’ONU.

Mais il faut aller encore plus loin, pour dégager plus de recettes, et assurer qu’elles soient intégralement utilisées pour la solidarité internationale. Pour cela Oxfam porte deux demandes :

  • Augmenter le taux de la TTF de 0,3 % à 0,5 %.
  • Augmenter à 100% le plafond de l’affectation de la TTF à l’Aide Publique au Développement (APD). Cela permettrait de dégager annuellement, dès 2021, 2,4 milliards d’euros supplémentaires pour la solidarité internationale et climatique.

Alors que l’Allemagne et d’autres partenaires européens s’apprêtent à s’aligner sur la pratique française, pionnière, en matière de TTF, nous devons continuer de montrer l’exemple et la voie à suivre pour nos partenaires vers plus de justice sociale et fiscale.