Politiques de réduction des inégalités : le modèle social français en danger

Oxfam et Development Finance International publient une nouvelle analyse sur l’engagement des Etats à réduire les inégalités. Elles ont passé au crible 158 pays et les classent sur la base d’un indice qui évalue les politiques publiques dans trois domaines considérés comme essentiels pour réduire les inégalités : le niveau de dépenses sociales pour l’accès aux services publics, la progressivité de l’impôt, et les droits du travail. Si la France figure au global dans les bons élèves du classement, son modèle social est en danger, en raison des choix politiques opérées ces dernières années, et en particulier sur le plan fiscal avec la réforme de 2017.

Oxfam révèle les bons et les mauvais élèves de la lutte contre les inégalités. Le rapport « Combattre les inégalités en période de Covid-19 » montre ainsi une nette divergence entre les États tels que la Corée du Sud, le Botwana, le Costa Rica ou la Thailande, qui prennent des mesures positives pour combler le fossé entre les riches et les pauvres, et ceux qui aggravent la situation, comme l’Inde, le Kenya ou les Etats-Unis.

Je découvre le rapport

Même les pays riches peuvent mieux faire

L’autre constat majeur du rapport c’est que même les pays de l’OCDE, les « bons élèves » du classement, peuvent mieux faire. On observe dans ces pays, une tendance à l’affaiblissement du soutien politique à des mesures progressives, qui se traduit par l’érosion des dépenses publiques, de la fiscalité et des droits du travail. Beaucoup de pays figurant dans les premiers rangs de l’indice ERI, tels que l’Allemagne, le Danemark, la France et le Royaume-Uni, ont fait marche arrière en matière de réduction des inégalités, notamment en ce qui concerne les mesures d’imposition progressive.

Deux graphiques montrent bien cette tendance.

  • Tous les pays ont réduit leur taux d’imposition sur les sociétés depuis 2000 (en dehors du Chili qui appliquait initialement un taux déjà très bas), avec les baisses les plus marquées en Allemagne, en Grèce, au Canada, en Belgique, aux États-Unis et en Italie.
  • Au cours des 20 dernières années, de nombreux pays de l’OCDE ont réduit la progressivité de leur fiscalité sur les revenus, dans une spirale de nivellement par le bas. Entre 2000 et 2010, 27 pays ont réduit leur taux maximum supérieurs d’impôt sur le revenu des particuliers, alors que seulement 6 l’ont augmenté.

Le modèle social français en danger

La France est sur la même tendance que les pays de l’OCDE, où l’on observe un affaiblissement des politiques permettant de réduire les inégalités.

La France est certes 7ème au classement global mais au 47ème rang sur l’indicateur fiscal et 16ème sur l’indicateur relatif au droit du travail. Ce qui permet à la France de garder un bon classement global c’est son niveau de dépenses sociales qui la classe 3ème.

Ce bon classement sur le pilier des dépenses sociales est dû au niveau d’investissement historique de la France dans les services publics : au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français a créé une série de réformes sociales permettant de servir de filet de sécurité aux populations vulnérables : droit à la santé, chômage, retraite par répartition etc. financés par un impôt redistributif.

Depuis plusieurs années, le modèle social français est sous pression, victimes de coupes budgétaires à cause d’un coût jugé prohibitif à causes de réformes fiscales diminuant la contribution des plus aisés à l’effort commun.

Ces coupes budgétaires ont un coût caché : la crise du coronavirus a montré comment un système de protection social autrefois envié était aujourd’hui en difficulté pour parer à l’urgence sanitaire et économique. Selon les associations caritatives, la crise sanitaire a fait basculer dans la pauvreté un million de Français.e.s qui s’ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté. L’un des signes les plus spectaculaires de cette crise est l’explosion de l’aide alimentaire.

La France pourrait ainsi compromettre sa place de leader et dégringoler au classement relatif aux dépenses publiques.

Les inégalités face au système de santé

Bien que la France soit connue pour la performance de son système de santé et des politiques d’accès universel aux soins, le secteur de la santé français connaissait une crise profonde avant l’irruption de la crise de la Covid-19. Depuis plus d’un an, de nombreux professionnels de santé tirent la sonnette d’alarme sur l’état du système de santé. Manque de moyens et de matériels, fermetures excessives de lits, surmenage et faible rémunération des soignants, en particulier les infirmier-e-s et aides-soignants, tous dénonçaient une austérité frappant les hôpitaux au détriment de la qualité des soins et de la sécurité des patients. Une étude récente de la DRESS montrait que depuis 2013, la France avait fermé 17 500 lits d’hôpitaux.

Autre illustration, la France figure parmi les derniers du classement de l’OCDE, 28ème sur 32, en termes de rémunération des infirmier-e-s, profession dont le salaire moyen est inférieur au salaire médian en France.

Malgré des politiques d’accès universel à la santé et la mise en place de dispositif tels que la couverture maladie universelle (CMU) et l’aide complémentaire santé (ACS), la France connaît également de fortes inégalités face à la santé. Une étude récente de l’OCDE sur les inégalités sociales et la santé démontrait que 40% des personnes les moins éduquées en France, correspondant aux classe sociales les moins favorisées, estimaient avoir une mauvaise santé, moitié moins pour les populations avec un niveau supérieur d’études.

> Lire notre décryptage complet sur les politiques de la santé en France

Des choix fiscaux qui aggravent les inégalités en France

La France figure au 47ème rang sur l’indicateur fiscal, loin derrière l’Australie, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande ou encore la Norvège. Cela s’explique par deux facteurs. Le premier c’est une tendance longue qui consiste depuis 20 ans à recourir de manière croissante à des impôts régressifs, comme la contribution sociale généralisée (CSG) ou la TVA qui sont collectés à un taux unique quels que soient les revenus des contribuables. Dans le même temps, les impôts progressifs comme l’impôt sur les sociétés sont considérablement réduits.

La TVA est la première recette fiscale de l’Etat, en augmentation de 25% depuis 2000. Suivent la CSG puis l’impôt sur le revenu, tous deux prélevés sur les revenus des ménages. Au cours des 20 dernières années, les recettes de la CSG – une taxe pesant proportionnellement plus sur les plus précaires – ont augmenté de 370%, tandis que celles sur l’impôt sur le revenu – un impôt progressif – ont augmenté de 35%. L’impôt sur les sociétés représente le 4e poste de recettes, en baisse de 23% sur vingt ans.

 

Et le deuxième facteur, ce sont les choix fiscaux opérés par Emmanuel Macron au début de son quinquennat avec la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et la création d’un impôt forfaitaire sur le capital (la flat tax). Depuis 2 ans, plusieurs études confirment l’alerte qu’Oxfam avait sonnée dans un rapport en 2017 : la réforme fiscale du gouvernement actuel a aggravé les inégalités en France.

La dernière étude de l’INSEE datant de septembre 2020 montre ainsi que le niveau de vie des 10% des français les plus riches a augmenté au début du quinquennat avec la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et la création d’un impôt forfaitaire sur le capital (la flat tax) : les 10 % les plus riches obtiennent 79 % du gain total de niveau de vie induit par ces deux mesures fiscales. Tandis que le niveau de vie des 10% des français les plus pauvres a baissé depuis le début du quinquennat avec la baisse des aides au logement. Si le gouvernement ne revient pas sur ces décisions, cela risque de faire chuter la France au classement ERI dans les prochaines années.

Congé paternité : la France a encore des progrès à faire

Enfin en matière de droit du travail, la France arrive à la 16ème place, derrière la Finlande, l’Allemagne, la Belgique ou la Slovénie.

Toutefois, la France pourrait facilement remonter si elle prolongeait le congé paternité, actuellement limité à 11 jours calendaires, ce qui la fait figurer parmi les mauvais élèves européens.

Le 23 septembre 2020, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé un allongement de la durée du congé paternité en France, à 28 jours mais avec seulement 7 jours obligatoires.

Si ce premier pas est le bienvenu, il reste encore insuffisant. La France reste très loin du peloton de tête au sein de l’Union Européenne :

  • L’Espagne a un congé paternité de 12 semaines et devrait passer à 16 semaines – la même durée que la mère biologique – en 2021.
  • La Finlande a un congé paternité de 9 semaines. En Finlande, le nouveau gouvernement a annoncé son intention d’allonger à sept mois les congés parentaux à partir de 2021. Un congé égal aux deux parents et indemnisé. Jusque-là, les femmes disposaient de 4 mois, et les hommes 2 mois (un congé déjà largement supérieur à la France).
  • Le Portugal n’est qu’à 25 jours mais avec 20 jours obligatoires.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la France, par la voix d’Emmanuel Macron, s’était opposée en 2018 à un projet de directive européenne pour réformer de manière ambitieuse le congé parental.

Oxfam appelle donc à un allongement significatif du congé paternité, obligatoire et rémunéré, pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Un rapport de 2018 de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) recommande un congé paternité de 6 semaines, obligatoires et entièrement rémunéré. Une telle mesure est présentée comme une mesure forte.

Une proposition de loi portée par le député Guillaume Chiche défend un allongement du congé paternité à 12 semaines. L’examen de ce texte a démarré à l’Assemblée le 30 septembre en Commission et se poursuit dans l’hémicycle le 8 octobre, avant d’être examinée au Sénat.

> Lire l’article d’Oxfam #MonPostpartum ou la nécessité d’allonger le congé paternité