Pour en finir avec la malédiction des ressources naturelles

Nombre de pays riches en minéraux et en hydrocarbures sont confrontés à un paradoxe : alors que l'exploitation de leurs ressources naturelles génère des revenus considérables, les populations locales restent pauvres. Cette "malédiction des ressources" est bien connue mais les solutions existent.

Pourquoi parle-t-on de "malédiction des ressources naturelles" ?

Dans de nombreux pays riches en pétrole, gaz, diamants, or et autres matières premières très prisées, l'exploitation de ces ressources a paradoxalement accru la pauvreté et les inégalités, affaibli les services publics et la démocratie, encouragé la corruption et freiné la croissance économique. Ce phénomène est connu sous le nom de "malédiction des ressources" ou "paradoxe de l'abondance". Au Nigeria, par exemple, le pétrole a généré des revenus considérables sans que cela profite à la population. Entre 1970 et 1999, les revenus pétroliers ont été évalués à 231 milliards dollars, mais sur la même période, le revenu par habitant des Nigérians est passé de 264 à 250 dollars. En Angola, dont le taux de croissance tiré par les revenus du pétrole est pourtant l'un des plus élevés du continent africain, près de 70% de la population vit toujours en-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour. Quelque 4 milliards de dollars issus du pétrole se seraient évaporés des caisses de l'Etat entre 1997 et 2002, soit l'équivalent des dépenses dans les services sociaux de ce pays, selon l'organisation Human Rights Watch. Non seulement cette manne ne profite pas aux populations, mais l'exploitation des ressources naturelles leur nuit parfois directement. L'investissement minier au Ghana a ainsi causé le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Privées de terres, chassées de leur lieu d'habitation ancestral ou victimes de pollutions causées par l'exploitation des ressources, les populations pauvres sont confrontées à des épidémies et des famines alors qu'elles devraient être les premières à bénéficier des retombées des richesses naturelles de leur pays. Paradoxalement, l'exploitation des minéraux et des hydrocarbures peut également représenter un fardeau et avoir un impact négatif sur l'économie d'un pays, en générant un afflux massif de capitaux étrangers et une appréciation excessive de la monnaie locale, au détriment des secteurs agricoles et industriels dans lesquels la majorité de la population travaille.

Quelles en sont les causes ?

Ce n'est pas tant l'abondance des ressources naturelles que les conditions dans lesquelles le pétrole, le gaz et les minéraux sont exploités qui sont en cause. Le modèle extractif actuel repose sur deux caractéristiques : l'intervention de multinationales, qui disposent des capitaux et des technologies qui font défaut à de nombreux pays producteurs et sont nécessaires à l'exploitation des ressources, d'un côté ; les revenus considérables générés par cette exploitation par rapport à des secteurs productifs comme l'agriculture, alors que les gouvernements des pays producteurs n'ont pas forcément les capacités ou la volonté – quand ils ne participent pas directement à des détournements – de gérer ces flux de manière transparente et dans l'intérêt du plus grand nombre, de l'autre. Multinationales et Etats ont ainsi conclu, sous le regard approbateur des institutions internationales, des contrats aux conditions abusives dans leur propre intérêt et non dans celui des populations. Le gouvernement zambien n'a par exemple perçu que 6,1 millions de dollars, soit 0,61% du milliard de dollars généré par l'extraction du cuivre par une compagnie étrangère en 2006-2007, alors que l'entreprise dégageait sur la même période un bénéfice net de 301 millions de dollars. Les sommes considérables en jeu conjuguées à un manque de transparence favorisent également la corruption et le népotisme, une fois encore au détriment de politiques de développement de long terme.

Comment transformer cette "malédiction" en avantage ?

La "malédiction des ressources naturelles" étant principalement due aux conditions de leur exploitation, il est possible de faire en sorte que les revenus générés par le secteur extractif deviennent une aubaine pour les pays producteurs. Cela suppose un ensemble de mesures sur toute la chaîne d'approvisionnement de l'industrie extractive : renforcer les capacités juridiques et fiscales des pays pauvres dotés de ressources naturelles ; renégocier les contrats abusifs ou dommageables pour les populations ; renforcer les capacités de la société civile ; et mettre en place ou consolider les systèmes de gestion financière de ces Etats afin qu'ils utilisent efficacement ces revenus dans les domaines sociaux, l'éducation et la santé. Parmi tous ces éléments, la transparence constitue un point fondamental sur lequel les décideurs politiques, les investisseurs et les citoyens des pays occidentaux importateurs peuvent intervenir. Des avancées historiques ont été récemment obtenues dans ce domaine. Le Sénat américain vient ainsi de voter une oi obligeant les sociétés liées aux industries extractives cotées à Wall Stree, soit 90% des compagnies pétrolières internationales, à déclarer les versements qu'elles effectuent au gouvernement de chaque pays dans lequel elles opèrent, projet par projet. Cette mesure historique devrait permettre à chaque citoyen des pays producteurs de connaître les montants issus de l'industrie extractive perçus par leur Etat et de vérifier si ces recettes sont bien utilisées pour financer les services essentiels. Il faut désormais que l'Union européenne applique à son tour cette exigence de transparence à l'ensemble des bourses européennes. De même, le Conseil des normes comptables internationales (IASB), qui est en train de réviser la norme comptable internationale qui s'applique au secteur extractif (IFRS6), doit intégrer lui aussi cette même exigence de publication pays par pays concernant les paiements aux gouvernements, mais aussi concernant la raison sociale, les volumes de production, les revenus, les réserves et les coûts. Ces mesures, couplées à un renforcement des capacités fiscales et budgétaires des pays pauvres, peuvent avoir un impact considérable sur le développement des ces pays. Selon les estimations d'Intermón Oxfam, l'Angola, en investissant 16% des recettes fiscales provenant de l'industrie extractive, pourrait multiplier ses dépenses dans le secteur de la santé de 8 à 10 fois d'ici à 2015.

Y a-t-il des exemples de réussites de développement grâce à l'exploitation des ressources naturelles ?

Plusieurs pays sont parvenus à générer des revenus très importants de l'extraction de leurs ressources naturelles et à affecter ces recettes à des dépenses publiques visant un développement à long terme. C'est notamment le cas de la Norvège. L'Indonésie a également mis en œuvre une politique de diversification, de développement du secteur non-pétrolier et de lutte contre la pauvreté, en investissant dans le secteur agricole et les zones rurales pauvres. Entre 1962 et 1984, la valeur ajoutée par ouvrier agricole a ainsi augmenté de plus de 65% en Indonésie, tandis qu'elle a chuté d'environ 15% au Nigeria, qui exportait pourtant un volume de pétrole identique. Plus récemment, la Bolivie a vu ses revenus dérivés du pétrole et du gaz passer de 448 millions de dollars en 2004 à 1,531 milliard de dollars en 2006 après une série de réglementations redistribuant les bénéfices de l'exploitation des hydrocarbures. La Bolivie doit encore relever de nombreux défis, notamment pour utiliser ces recettes efficacement et de façon transparente, mais la société civile bolivienne a au moins prouvé qu'il était possible de changer une situation qui perdurait depuis des décennies et d'envisager une répartition plus juste et équitable des richesses naturelles. Par Oxfam France

En savoir plus

ire la note d'Oxfam intitulée "Lever la malédiction des ressources : comment les pauvres peuvent et devraient profiter des revenus des industries extractivesire l'interview de Ian Gary, d'Oxfam America, sur la loi "historique" votée en juillet 2010 par le Sénat américain en matière de régulation financière et de transparence dans les industries minière, gazière et pétrolièr[Lire le communiqué commun d'Oxfam France et de ses partenaires sur la nouvelle législation américaine en matière de régulation financière->Nouvelle-legislation-aux-Etats,787] (19 juillet 2010) – [Lire la note d'Oxfam France sur la loi Dodd-Frank et les opportunités politiques au niveau européen->IMG/pdf/note_Oxfam_loi_Dodd_Frank_et_UE.pdf][Consulter le programme d'Oxfam France sur les Ressources fiscales des pays du Sud->-Fiscalite-]

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[Signer l'appel Stop paradis fiscaux->http://www.stopparadisfiscaux.fr/], notamment contre l'évasion fiscale des multinationales qui prive les pays pauvres de milliards de dollars de ressources.