Pourquoi faut-il taxer les plus riches ?

La pandémie de Covid-19 risque de provoquer une augmentation sans précédent des inégalités depuis un siècle. Comme le révèle le rapport « Le virus des inégalités », les 1000 personnes les plus riches du monde ont retrouvé leur niveau de richesse d’avant la pandémie en seulement 9 mois alors qu’il pourrait falloir plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour se relever des impacts économiques de la pandémie. Et la France est loin d’être épargnée par cette hausse des inégalités. Les milliardaires français se sont enrichis pendant la crise en gagnant près de 175 milliards depuis mars 2020, alors que dans le même temps tous les signaux de la pauvreté explosent en France. Cette indécence n’est pas une fatalité et rappelle plus que jamais l’urgence de financer un modèle social plus juste à partir d’une fiscalité plus juste en taxant davantage les plus riches. La crise du Covid-19 doit marquer un tournant. Plusieurs pays sont en train de franchir le cap, la France doit en faire de même !

Des riches de plus en plus riches

La planète compte toujours plus de milliardaires et la pandémie ne les empêchent pas de continuer à prospérer. Fin 2020, on compte 2 360 milliardaires à travers le monde, c’est 207 de plus que lors du recensement fin 2019. Leur fortune atteint un nouveau record avec 11 950 milliards de dollars. Depuis 2008, le nombre de milliardaires à travers le monde a plus que doublé et leur fortune a été multipliée par 2,7. En 2019, Oxfam estimait que 90% des milliardaires étaient des hommes.

Pour les milliardaires français, la crise est déjà terminée

Depuis le pic de la crise, les milliardaires français-e-s ont bénéficié d’une reprise exceptionnelle puisqu’ils ont gagné près de 175 milliards d’euros entre mars et décembre 2020, dépassant ainsi leur niveau de richesse d’avant la crise. C’est la 3ème plus forte progression, après les Etats-Unis et la Chine. 175 milliards d’euros, c’est l’équivalent de deux fois le budget de l’hôpital public.

Un homme incarne cette prospérité exceptionnelle des milliardaires : Bernard Arnault, PDG de LVMH.

  • Il fait partie des quatre milliardaires de la planète qui ont connu les plus fortes augmentations de leurs fortunes entre mars et décembre 2020 après Elon Musk, Jeff Bezos et Zhong Shanshan (+76,6 milliards de dollars).
  • Sur l’ensemble de l’année 2020, malgré la crise, sa fortune a augmenté de 44 milliards d’euros, soit un bond de 41%.

4 fois plus de milliardaires français qu’après la crise 2008

La France compte actuellement 42 milliardaires, c’est 4 fois plus qu’après la crise financière de 2008. Leur richesse cumulée s’élève à 502 milliards de dollars, c’est 8 fois plus qu’après la crise financière. Sur les 42 milliardaires, plus de la moitié ont hérité de leur fortune, et seules 5 sont des femmes : on est bien loin de la méritocratie et de l’égalité des chances.

Tous les signaux de la pauvreté explosent

Pendant que la fortune des milliardaires atteint des sommets, pour la première fois de l’Histoire, les inégalités pourraient simultanément augmenter dans la quasi-totalité des pays du monde en raison de la pandémie de Covid-19 et de ses impacts. La France n’y échappe pas : depuis le début de la crise, des centaines de milliers de personnes tombent dans la pauvreté. L’un des signes les plus graves est l’explosion de l’aide alimentaire : on comptait 8 millions de bénéficiaires à l’automne 2020, alors qu’ils étaient 5,5 millions avant la crise.

Dans un rapport publié en avril 2021, l’INSEE montre comment les plus pauvres ont vu leur situation se dégrader lors du premier confinement : parmi les 10 % des ménages les plus modestes, 35 % ont perçu une dégradation de leur situation financière.

La pandémie de Covid-19 intervient dans une société déjà fracturée par les inégalités et dans une tendance longue de mise sous pression du modèle social, victime de coupes budgétaires et de réformes fiscales diminuant la contribution des plus aisés à l’effort commun. Conséquences : en France les inégalités et la pauvreté sont reparties à la hausse depuis 2018 avec la plus forte progression depuis 2010.

En France, la réforme fiscale de 2017 a creusé les inégalités

 La suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et la création d’un impôt forfaitaire sur le capital (la flat tax) a bénéficié aux 10 % les plus riches qui ont obtenu à eux seuls 79 % du gain total de niveau de vie induit par ces deux mesures fiscales. Le niveau de vie des 10% des Français.e.s les plus pauvres a quant à lui baissé depuis le début du quinquennat, avec notamment la baisse des aides au logement. Oxfam avait sonné l’alerte dès septembre 2017 dans son rapport « Réforme fiscale : les pauvres en paient l’impôt cassé ».

La suppression de l’ISF

La suppression de l’ISF coûte 3,2 milliards d’euros chaque année à l’Etat, c’est plus de 8 fois le montant de la baisse des APL. Avant sa suppression, l’ISF était payé par les 340 000 ménages les plus fortunés (soit environ les 1 % les plus riches) et a rapporté 4,8 milliards d’euros à l’Etat en 2016. Au-delà de son rendement financier, l’ISF est un des impôts symbole dans la lutte contre les inégalités en imposant uniquement les ultra-riches, ceux qui possèdent plus de 1,3 millions d’euros de patrimoine.

Il existe un réel mythe sur les exilés de l’ISF : au cours des dix dernières années, l’exil fiscal des contribuables à l’ISF a été inférieur à 0,2% selon un rapport du ministère des finances : hormis quelques cas médiatiques, l’immense majorité des contribuables à l’ISF n’a donc pas été tentée par l’exil fiscal. Le coût de ces départs était estimé par le quotidien les Echos à 20 millions d’euros par an, soit 160 fois moins que le coût de la suppression de l’ISF.

La mise en place de la « flat tax »

La mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) – qui impose le capital non plus en fonction des revenus mais à un taux fixe de 30 % – supprime le principe de progressivité de l’imposition du capital. Comme tout impôt à taux unique, le PFU (aussi appelé flat tax) est donc fortement inégalitaire. Le patrimoine mobilier étant largement détenu par les ménages les plus aisés, les plus riches sortent les grands gagnants de cette réforme fiscale : ce sont les 10 % les plus riches qui bénéficient de près des deux tiers de la baisse d’impôts. La mise en place du PFU coûte environ 1,5 milliard d’euros par an selon une estimation du gouvernement.

La France championne les prélèvements obligatoires ?

Les opposants à l’augmentation de la taxation des plus riches avancent souvent ce chiffre : 60% du PIB de la France est taxé par l’Etat. Mais cet indicateur ne dit pas ce qu’il vise. Si cet indicateur est aussi haut en France c’est précisément parce que nous fait le choix – pour l’instant – d’avoir des retraites publiques fortes et une assurance chômage qui protège les plus vulnérables quand d’autres pays comme les USA ont fait le choix inverse. Comparaison n’est pas raison. Cela ne doit pas empêcher d’avoir un vrai débat sur les prélèvements obligatoires. Depuis 25 ans, les prélèvements obligatoires des ménages augmentent pour compenser la baisse des prélèvements obligatoires des entreprises. Et selon les recherches menées par Thomas Piketty, les 0,1% les plus riches de la population payent proportionnellement moins d’impôt que 70% de la population active française.

Taxer les plus riches : un tournant inévitable

La crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 et l’augmentation des inégalités mettent en lumière l’urgence et la nécessité d’une fiscalité plus juste. Depuis plusieurs mois, des voix s’élèvent et appellent à taxer davantage les grandes fortunes, y compris des milliardaires comme Bill Gates, Abigail Disney ou des collectifs de millionnaires comme Millionnaires for Humanity. Le FMI vient de se prononcer en faveur d’une taxe sur les entreprises qui ont profité de la crise et sur les plus riches, et plusieurs pays sont en train de franchir le cap, à l’image des Etats-Unis où le Président Biden est en train d’initier une vraie révolution fiscale pour une plus grande justice sociale. C’est aussi une mesure populaire : un récent sondage montre que près de deux tiers des Française-s sont favorables à mettre en place une taxe exceptionnelle sur les multimillionnaires pour répondre à la crise du Covid.

Rétablir un impôt sur les grandes fortunes

Alors que les inégalités s’accroissent en France et dans le monde, il est urgent et nécessaire de mieux collecter l’impôt, et de façon plus juste.

  • Il faut taxer ceux qui se sont enrichis pendant la crise, par exemple en mettant en place une contribution exceptionnelle des plus particuliers les plus aisés. Un impôt exceptionnel sur la fortune des milliardaires a été voté en Argentine et en Bolivie afin de financer les politiques de réponses à la crise. Une mesure similaire pourrait être bientôt discutée en Espagne et au Royaume-Uni. Et l’administration de Joe Biden aux Etats-Unis a annoncé vouloir revoir la fiscalité du capital.
  • Pour s’attaquer aux inégalités à la racine, il faut rétablir à long terme une fiscalité plus juste en taxant davantage les hauts revenus, en rétablissant un impôt sur les grandes fortunes et en taxant les transmissions d’héritage des multimillionnaires.

Lutter contre l’évasion fiscale

Chaque nouveau scandale d’évasion fiscale est une nouvelle preuve édifiante de la manière dont les milliardaires et les grandes entreprises usent des failles de notre modèle économique pour échapper à l’impôt. Le dernier en date, OpenLux, met en cause le Luxembourg, paradis fiscal au cœur de l’Europe, et la complicité des Etats européens qui refusent de l’inscrire sur la liste noire des paradis fiscaux. L’évasion fiscale prive la France et tous les pays dans le monde, à commencer par les pays en développement, de ressources considérables pour financer les services publics de base et lutter contre la pauvreté.

Oxfam porte 3 mesures prioritaires pour mettre un terme à ce fléau :

  • Etablir une liste noire mondiale des paradis fiscaux dans chaque pays avec des sanctions. Cette liste doit être fondée sur des critères objectifs et crédibles, et les pays qui y figurent doivent être sanctionnés.
  • Mettre en place au niveau international un taux d’imposition mondial sur les sociétés : cet impôt ne doit pas être trop faible et doit être appliqué pays par pays sans exception. Cela permettrait de taxer les entreprises là où elles ont une activité économique réelle, sans qu’elles puissent délocaliser artificiellement leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.
  • Mettre fin à l’opacité fiscale des entreprises pour faire la transparence sur leur propriétaire et les impôts payés dans chaque pays.

> Le 13 avril 2021, Oxfam France et Le Mouvement lancent une pétition adressée à Emmanuel Macron pour lui demander de mettre en place une fiscalité plus juste, qui taxe davantage les grandes fortunes. Signez la pétition Oxfam France.

Webinaire « Pourquoi faut-il taxer les plus riches ? »
Disponible en replay

Pour construire un monde plus durable et plus égalitaire, la question d’une fiscalité plus juste doit être au coeur des réponses apportées à la crise. Nous avons échangé sur le sujet lors d’un webinaire organisé en février dernier.

 

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