Pourquoi le déplafonnement des salaires des PDG du secteur public serait une grave erreur

A l’heure où le mot sobriété est sur toutes les lèvres et que l’inflation continue d’impacter fortement le pouvoir d’achat des Français, le gouvernement souhaiterait déplafonner la rémunération du ou de la future PDG d’EDF limitée actuellement par décret à 450 000 euros par an pour les entreprises publiques. Si elle entrait en vigueur, cette augmentation de salaire ne serait en rien justifiée et enverrait un très mauvais signal en termes de réduction des inégalités.

Pourquoi la question de la rémunération des dirigeants n’est pas le véritable sujet

Déplafonnement de la rémunération du PDG d’EDF : une justification du gouvernement qui peine à convaincre

Pour justifier un éventuel déplafonnement de la rémunération du ou de la futur.e PDG d’EDF, le gouvernement prétend ne pas trouver de profils à cause d’une trop faible rémunération pas alignée “au prix du marché”. Cette idée de marché est très discutable quand on sait que les rémunérations se décident en Conseil d’administration des entreprises et qu’un grand nombre de PDG y siègent. Notre rapport « CAC40, des profits sans partage » avait montré dès 2018 la consanguinité qui règne entre les entreprises du CAC40 par l’intermédiaire de ces CA qui fixent donc les rémunérations et constituent un véritable entre soi favorisant les augmentations de salaires par un effet d’entraînement et de comparaison entre dirigeants. Des comités de rémunérations “indépendants” sont bien en place dans certaines grandes entreprises mais ils n’ont qu’un rôle consultatif ce qui renforce ce sentiment d’opacité des décisions en matière de rémunération. 

Les dirigeants du CAC40 ont vu leur rémunération augmenter de 60% entre 2009 et 2018. Cette excessive augmentation ne peut être due à une augmentation de 60% de leur compétence, surtout quand l’augmentation des salaires des salarié.e.s n’est que de 20% sur la même période. Sur la seule année 2021, on est même passé à une augmentation de la rémunération des PDG de 100% alors même que le salaire de base des ouvriers et employés a lui augmenté de seulement 2%. La rémunération de ces dirigeant.e.s ne va donc qu’en augmentant, décorrélée de toute performance de l’entreprise. Ainsi le “marché” en question est plus de l’ordre d’une entente tacite entre dirigeants qu’il serait légitime de remettre en question.

Egalité au sein des grandes entreprises : un mauvais signal envoyé

Cette idée de déplafonnement du salaire du ou de la futur.e PDG d’EDF permet de revenir sur la question des écarts de salaires délirants observés depuis de nombreuses années. En 2018, un PDG du CAC40 gagnait en moyenne 110 fois plus que le salaire moyen . 66 millions par an. Il y a quelques mois, la rémunération de Carlos Tavares, PDG de Stellantis, avait fait grand bruit. Même un certain Bruno Le Maire avait jugé excessive, se disant favorable à plus de transparence sur les écarts salariaux. EDF étant dans un processus de re-nationalisation, le gouvernement serait bien inspiré de rester sur cette ligne en renonçant à déplafonner la rémunération du ou de la futur.e PDG, envoyant ainsi un signal fort aux multinationales qui pratiquent des écarts de rémunérations délirants. Imposer, par exemple, un écart de salaire maximum de 1 à 20 entre la rémunération des PDG et le salaire médian de l’entreprise permettrait de dégager des fonds pour augmenter les salaires, ou réinvestir dans l’entreprise.

Une augmentation des rémunérations des dirigeant.e.s est de l’argent en moins pour les salariés, inacceptable en période de perte de pouvoir d’achat due à l’inflation. Un plafonnement des rémunérations des PDG participe à une meilleure répartition des richesses pour défendre une société plus juste. 

Replaçons la question écologique au cœur des priorités des entreprises du secteur public

Dans un contexte de crise énergétique et de planification écologique, la mission qui incombe au ou à la PDG d’EDF doit être d’intérêt public et doit donc être loin des logiques de rémunération des entreprises du CAC40. Jean-Bernard Levy, actuel PDG d’EDF, est resté à la même rémunération durant huit ans sans que ça ne lui pose à priori problème.

Rappelons également que plusieurs dirigeants d’entreprises publiques ont d’ores et déjà fait le choix de percevoir une rémunération loin de celles perçues par les PDG du CAC40. Ainsi, on peut citer par exemple les dirigeant.e.s de la SNCF, Aéroports de Paris ou encore France Télévision. Le salaire ne peut donc pas être la seule motivation pour un dirigeant lorsqu’il intègre une entreprise publique.

Pour des entreprises plus justes, nos recommandations

Oxfam appelle le Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, à ne pas toucher au plafonnement des rémunérations des PDG d’entreprise publique. Au contraire, nous appelons à ce que les recommandations suivantes soient mises en place dans tous les secteurs :

  • Maintenir le plafond maximum de 450 000 euros par an pour les entreprises publiques
  • Limiter les écarts de salaire au sein des entreprises, en appliquant au maximum un facteur 20 entre la rémunération la plus haute et la rémunération médiane de l’entreprise.
  • Instaurer la transparence sur les écarts de salaires dans les entreprises (rémunération médiane, distribution des salaires par décile, écarts de rémunérations entre les hommes et les femmes)
  • Privilégier un profil présentant de fortes garanties en matière de défense de l’intérêt général, et d’engagement pour aligner rapidement EDF avec l’accord de Paris
  • Interdire les retraites-chapeau et « parachutes dorés »
  • Assurer un salaire décent à l’ensemble des employés de la chaîne d’approvisionnement
  • Combler le fossé salarial entre les femmes et les hommes

Pour aller plus loin

> Tribune d’Eva Sadoun et Jean Moreau, co-présidents du Mouvement Impact France : « La question de la sobriété salariale devrait être étendue à l’ensemble des entreprises »

> Tribune de Dominique Pottier et Boris Vallaud, députés du Parti Socialiste : « Déplafonner le salaire des dirigeants des entreprises publiques, quelle indécence ! »

> Tribune de Jean-Paul Tran Thiet, avocat, et Bernard Dufour, ancien cadre et entrepreneur du secteur financier : « Non au déplafonnement des rémunérations des dirigeants du service public »