Quand les pays riches font semblant de redécouvrir le scandale des paradis fiscaux

Après des mois d'investigations, un groupe international de journalistes d'investigation a rassemblé des milliers de fichiers révélant l'identité des utilisateurs de paradis fiscaux. Ces données seront analysées et progressivement révélées au grand public par quelques journaux, dont Le Monde.

De nombreuses campagnes ont été menées par les ONG, dont Oxfam France dans le cadre de la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires, pour montrer les conséquences désastreuses des activités des paradis fiscaux depuis des années. Ce n'est un secret pour personne : les paradis fiscaux et judiciaires sont des puissantes machines à réduire et contourner l'impôt, légalement ou pas, et à lessiver l'argent sale issu de la corruption, du crime organisé et de trafics en tous genres.

Suite à la crise financière, le G20, l'OCDE ou encore le G8 affichaient leur volonté d'en finir avec ces zones de non-droit. L'actualité montre que l'économie offshore ne s'est probablement jamais aussi bien portée. La Commission européenne estime que l'évasion fiscale coûterait chaque année près de 1000 milliards d'euros à l'Union européenne, soit près de 2000 euros pour chaque citoyen européen. En France, le Sénat estime que le coût pour le trésor public de l'évasion fiscale pourrait atteindre 50 milliards.

Trop souvent oubliés des débats, les pays en développement sont les premières victimes des paradis fiscaux et judiciaires qui accueillent à bras ouverts les capitaux illicites qui s'échappent des pays du Sud. On estime que les fuites de capitaux illicites coûtent au moins 859 milliards de dollars par an aux pays en développement. Dans 80% des cas ce sont des manipulations de prix des groupes multinationaux, les 20% restant recouvrant la corruption et le crime organisé. Plus inquiétant encore, alors que les fuites de capitaux illicites sont en augmentation et amoindrissent les recettes fiscales des pays du Sud, l'aide publique au développement régresse. Ironiquement, cette même semaine ont été rendus publics les chiffres de l'aide publique au développement : entre 2011 et 2012, l'aide au développement a reculé de 4%, soit 5 milliards de dollars en moins.

Et maintenant ?

Il est temps de réformer en profondeur un système fiscal international injuste et inadapté aux réalités de la globalisation. L'OCDE, jusqu'ici circonspecte face aux propositions de la société civile, reconnaît aujourd'hui cet état de fait. Cette réforme prendra du temps. Pour être pleinement démocratique et adaptée au monde global, elle devra inclure les pays en développement, trop souvent exclus de la table des négociations et veiller à assurer une meilleure justice fiscale.

Pour autant, des mesures concrètes, portées par Oxfam depuis des années, peuvent être adoptées dans les tous prochains mois au niveau français, européen et international (G8, G20) : La transparence tout d'abord : les entreprises doivent publier une liste d'informations (chiffres d'affaires, nombre d'employés, actifs, profits…) pays par pays afin que les administrations fiscales et le grand public puissent enfin savoir ce qu'elles font vraiment dans les paradis fiscaux. La proposition incluse dans la réforme bancaire française qui oblige les banques à publier leur chiffre d'affaire, les impôts payés, les résultats avant impôt et le nombre de salariés qu'elles emploient dans chaque pays où elles ont des filiales constitue en ce sens un véritable progrès. Transparence des bénéficiaires effectifs également : nous devons savoir qui se cache derrière les entreprises, trusts et autres constructions juridiques. L'union européenne, qui révise sa directive de lutte contre le blanchiment en ce moment, peut l'imposer.

Deuxièmement, l'échange automatique d'informations entre administrations fiscales doit être systématisé et les moyens de ces administrations doivent être renforcés. Une solution tant pour les administrations fiscales des pays du Nord que ceux du Sud pour lutter plus efficacement et plus rapidement contre l'évasion fiscale. Enfin, et surtout, il faut établir une liste de critères crédibles pour définir ce qu'est un paradis fiscal et établir une liste exhaustive, préalable nécessaire à l'instauration de sanctions. La liste française de 2012, n'incluait que 8 territoires… Les îles de la couronne britannique, au cœur du scandale actuel n'y figuraient pas… Pour le Tax Justice Network, réseau de recherche auquel appartient Oxfam, le nombre de territoires financiers opaques serait au nombre de 71.