Quel visage du G8 à Lough Erne ?

Il y a quelques années, le G8 était moribond, beaucoup voyant le G20 prendre le relais. Il devait s'élargir et trouver sa raison d'être pour ne pas disparaitre. Mais le G8 a tenu bon : son élargissement n'est plus à l'ordre du jour et le rôle des chefs d'Etats dans la négociation s'est même accru.

G8 avant l'été, G20 après, le rythme et les fonctions respectives des deux sommets être semble avoir été trouvés. L'agenda de la présidence britannique est même ambitieux : évasion fiscale, commerce transatlantique, Syrie, aide au développement, accaparement des terre et sécurité alimentaire, terrorisme… les sujets traités seront nombreux, braquant pour quelques jours les projecteurs sur ce sommet, peut-être trop rapidement enterré. Il n'empêche, face à la nouvelle donne mondiale, la façon de travailler du G8 doit changer.

Deux exemples révèlent deux manières de faire opposées. D'un côté, un G8 "canal historique" qui défend ses seuls intérêts, y compris sous prétexte de lutte contre la pauvreté mondiale :

C'est le cas sur la sécurité alimentaire, où le G8 semble s'affranchir des travaux effectués dans le cadre, plus représentatif, des Nations unies, notamment au sein du Comité sur la sécurité alimentaire, à Rome, et favorise ses grandes multinationales. Et ce faisant, il renforce un peu plus les accaparements de terres et permet, dans les pays pauvres, à de grands investisseurs étrangers d'acquérir toutes les 10 heures une superficie équivalant à celle de Paris. C'est le cas avec l'initiative de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique lancée en 2012, lors du G8 aux Etats Unis.

Une stratégie qui pousse à substituer l'investissement agricole privé à l'investissement public. On trouve dans la liste des entreprises impliquées les plus grandes firmes de production et de commercialisation d'OGM, les plus grands traders qui profitent de la volatilité des prix alimentaires, ainsi que des entreprises impliquées dans des cas notoires d'accaparements de terres agricoles en Afrique. Pour pouvoir faire partie de cette Nouvelle Alliance, les Etats africains doivent s'engager à modifier leurs politiques nationales pour créer un environnement "plus favorable" à l'investissement privé. Les codes fonciers et les codes d'investissement sont les premiers à être modifiés, fragilisant les droits des populations locales sur leurs ressources naturelles. Rappelons que depuis 10 ans, des terres d'une superficie égale à près de quatre fois la taille de la France métropolitaine ont été accaparées dans le monde, soit une surface agricole suffisante pour subvenir aux besoins alimentaires d'un milliard de personnes.

La position française sur cette Nouvelle Alliance est ambigüe. Le ministre Pascal Canfin l'a encore rappelé tout récemment : "la vision défendue par certains acteurs de cette Alliance, en particulier les grandes entreprises de l'agro-alimentaire n'est pas la nôtre". Pourtant, la France a aujourd'hui un rôle central dans la Nouvelle Alliance, en tant que coordinateur du programme pour le Burkina Faso et en se plaçant dans le trio de tête des contributeurs publics avec une enveloppe globale de 310 millions de dollars. Les entreprises françaises sont également aux premières loges. En Côte d'Ivoire par exemple, le géant français des céréales Louis Dreyfus Commodities a signé un contrat avec l'Etat pour produire du riz destiné à l'exportation sur une surface de 100 000 à 200 000 hectares.

Au sommet de Lough Erne, ces deux prochains jours, le G8 doit faire marche arrière et promouvoir la sécurisation de l'ensemble des droits fonciers existants dans les pays du Sud en appuyant la mise en œuvre des règles du Comité sur la sécurité alimentaire et les imposer comme préalables à tout investissement dans le cadre de la Nouvelle Alliance.

Autre exemple, autre approche : un G8 qui va devoir balayer devant sa porte avant de faire la leçon au reste du monde.

C'est le cas de la lutte contre l'évasion fiscale. Notons ici que les chefs d'Etats du G8 réunis dans la même salle c'est en fait 15 paradis fiscaux autour de la table, dont 10 pour le seul Royaume Uni. Plus de 40% des richesses offshore, soit 7 800 milliards de dollars, sont détenus dans des paradis fiscaux liés au G8. Pendant les deux jours du sommet du G8 en Irlande du Nord, 2,2 milliards de dollars sortiront des pays en développement pour aller dans des paradis fiscaux. Et encore, on ne parle ici que des fonds des particuliers. C'est sans compter l'évasion fiscale des sociétés. Rien que la manipulation des bénéfices des entreprises via les paradis fiscaux, par exemple, représente une fuite annuelle de 160 milliards de dollars pour les pays en développement.

Selon les estimations de l'ONU, si les pays les moins développés du monde percevaient au moins 20% de leur produit intérieur brut (PIB) au moyen de l'impôt, ils pourraient atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Les accords déjà conclus entre certains pays du G8 et leurs territoires offshore (par exemple, la loi américaine sur la conformité fiscale des comptes étrangers, dite FATCA, et un accord européen similaire négocié par l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie), les travaux de l'OCDE et de l'Union européenne préparent le terrain de mesures fortes.

Les pays du G8 doivent s'accorder sur le principe de l'échange automatique d'informations. Ils doivent également créer un registre public des bénéficiaires des sociétés et des ressortissants des pays du G8 pour en finir avec les sociétés écrans. L'adoption le 12 juin dernier par le Parlement européen des directives "Transparence" et "Comptables" de l'UE impose plus de transparence aux entreprises du secteur extractif, les entreprises pétrolières, gazières, minières et forestières, très largement établies dans les pays du G8, devront désormais publier les paiements qu'elles versent aux Etats dans lesquels elles extraient des ressources. Un pas décisif dans la lutte contre la corruption que le G8 doit porter collectivement et élargir à d'autres secteurs. Le G8 n'a d'autre choix sur cette question des paradis fiscaux que de s'appuyer sur les travaux en cours au niveau international (Union européenne, OCDE, Nations unies…), et de présenter des mesures sans lesquelles la lutte mondiale contre les paradis fiscaux serait totalement vaine.

Un G8 qui appuie, renforce et aide à débloquer des dynamiques internationales qui le concernent au premier chef est un G8 enfin à sa place, isnt' it ? Réponse demain.