Transparence des industries extractives : on creuse encore

Trois ans après notre décryptage des premiers rapports sur la transparence des entreprises extractives françaises, Oxfam France publie une nouvelle analyse sur les pratiques d’un secteur plutôt connu pour son opacité, et met à jour son analyse en y incluant la question de la publication des contrats [1]. Ce nouveau rapport s’intitule « Transparence des entreprises extractives : on creuse encore ».

 

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La bataille n’est pas terminée

Depuis 2015 – et suite à une mobilisation importante des acteurs de la société civile dont Oxfam et la coalition Publiez Ce Que Vous Payez – les entreprises françaises du secteur extractif doivent soumettre des rapports sur leurs paiements aux gouvernements en vertu d’une directive européenne amendée en 2013 [2]. Cette étape avait marqué une victoire importante dans la lutte contre la malédiction des ressources naturelles en permettant aux citoyens de chaque pays d’extraction de pouvoir analyser les recettes de ces projets.

Cette directive – ainsi que sa transposition dans la loi française – comportent pourtant de nombreuses lacunes. Des pistes d’amélioration avaient été proposées aux entreprises dans la précédente version du rapport. Elles avaient été suivies de recommandations faites par la coalition Publiez Ce Que Vous Payez, Oxfam ainsi que d’autres organisations [3] à la Commission Européenne dans le cadre de son processus de révision de cette directive. Mais celui-ci n’a toujours pas été achevé.

D’un autre côté, la publication des contrats – permettant d’éclairer les conditions, et notamment fiscales, d’extraction des ressources naturelles – est aujourd’hui en passe de devenir la norme mondiale. Elle est désormais recommandée par le Fonds Monétaire International, la Société Financière Internationale de la Banque Mondiale et l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives depuis la révision de sa norme en 2019. Ce n’est toutefois pas une obligation légale dans tous les pays. Pourtant, certaines entreprises du secteur – comme la major pétrolière TOTAL en 2018 – ont pris des positions en faveur de leur publication [4]

 

Une nouvelle étude d’Oxfam

Dans cette étude intitulée « Transparence des industries extractives : on creuse encore », Oxfam a passé au crible 13 sociétés entrant dans le périmètre de la loi sur les paiements aux gouvernements [5]. Pour l’année 2018, leurs paiements représentaient plus de 20 milliards de dollars, dans 83 pays sur tous les continents.

Si les rapports sur les paiements aux gouvernements doivent toujours être améliorés, les soutiens à la publication des contrats se multiplient. Outre TOTAL, ce sont désormais Eramet et Orano qui ont pris des positions en faveur de la publication des contrats, et s’engagent à travailler avec les gouvernements de leurs pays d’opérations en ce sens. Ce sont autant de signes positifs, donnant la possibilité aux citoyens des pays riches en ressources naturelles d’enfin connaître leurs conditions d’extraction.

 

Paiements aux gouvernements : non, rien n’a changé

En revanche, l’état des lieux des rapports sur les paiements aux gouvernements démontre la nécessité pour la Commission Européenne de terminer sa révision : les règles actuelles sont bien insuffisantes pour que la société civile puisse s’emparer de ces nouvelles données.

Aucunes de ces données ne sont produites dans un format ouvert. Les bénéficiaires des paiements ne sont pas toujours bien identifiés, et les paiements ne sont pas systématiquement présentés par projets – alors même que ces deux principes fondent l’intérêt même de ces rapports. Certaines filiales – dans le cas de projets menés en consortium, sont tout simplement parfois exclues [6] : c’est le cas notamment de ceux relatifs à la mine de Cominak exploitée par Orano au Niger, alors même que sa fermeture prévue pour 2021 est un enjeu national majeur. Une certaine créativité semble exister autour des catégories prévues par la législation – limitant ainsi l’analyse et la comparabilité de ces rapports.

Enfin, un déficit chronique d’information entoure ces rapports – dont la portée au-delà d’un simple exercice sur le papier devra s’accompagner d’explications contextuelles bien plus importantes.

 

Quelles mesures demandons-nous ?

Il revient aux législateurs européens et français d’enfin terminer le travail : sept ans après son adoption, la directive doit être amendée et sa transposition en France corrigée. Ces révisions devront viser à s’assurer que les données sont pleinement et facilement accessibles, contextualisées, et suffisamment détaillées pour en permettre l’analyse.

L’exercice de transparence des industries extractives et le combat de la société civile ne peut se résumer à un exercice de mise en conformité réglementaire, sans volonté de poser les bases d’un dialogue effectif.

Et les entreprises peuvent d’ores et déjà suivre l’exemple de TOTAL, Eramet et Orano et se positionner en faveur de la publication des contrats et devancer le nécessaire travail de la Commission européenne en adoptant dès à présent les meilleures pratiques sur la publication des paiements aux gouvernements.

Étude de cas : le jeu trouble de Total et des Pays-Bas en Ouganda
Le rapport « L’argent du pétrole » révèle comment une convention fiscale signée entre l’Ouganda et les Pays-Bas permet aux grandes entreprises comme TOTAL de payer toujours moins d’impôts, et va priver l’Ouganda d’une part équitable des futurs revenus pétroliers.

Notes

Lire l’Annexe du rapport

[1] Chapitre 10 de la Directive comptable européenne (2013/34/UE)
[2] En 2018, Oxfam America a publié son enquête sur la position de 40 entreprises (pétrole gaz et mines), révélant un support grandissant à la publication des contrats. https://www.oxfamamerica.org/explore/research-publications/contract-disclosure-survey-2018/
[3] https://www.pwyp.org/app/uploads/2017/12/EU-extractives-review-coalition-paper-final-1.pdf
[4] TOTAL, « Ethique des affaires » https://www.sustainable-performance.total.com/fr/ethique-des-affaires. « TOTAL soutient les efforts des gouvernements pour faire progresser la transparence conformément aux principes de l’ITIE, et promeut la divulgation par les Etats de leurs contrats et licences pétroliers. »
[5] Eramet, Orano, TOTAL, Maurel & Prom, Vicat, Edison (EDF), Bouygues, LafargeHolcim, Saint Gobain, Arcelor Mittal, Imerys, Vinci, Solvay. Des questionnaires ont été envoyés à toutes les entreprises, mais seulement 6 ont répondu : Eramet, Orano, Saint Gobain, TOTAL, Arcelor Mittal, Imerys.
[6] De façon notable, la bonne pratique du groupe TOTAL doit être soulignée : publication de l’ensemble des paiements y compris ceux faits par d’autres opérateurs en leur nom dans le cas de participations minoritaires à des projets en consortium.