Verrou de Bercy : Oxfam vous aide à distinguer le vrai du faux

En présentant son projet de loi contre la fraude fiscale, le Gouvernement a annoncé vouloir prendre des mesures fortes contre ce fléau qui mine nos finances publiques, le consentement à l’impôt et la confiance dans nos institutions. Force est de constater que ce texte de loi, après son examen au Sénat la semaine dernière, n’est pas du tout à la hauteur des ambitions affichées.

Le cœur du problème s’appelle « le verrou de Bercy », cette exception française qui fait que la majorité des fraudeurs fiscaux ne sont pas présentés devant un juge.

Oxfam vous explique tout en 5 questions.

Qu’est-ce que le verrou de Bercy ?

Actuellement c’est le ministère des Finances – que l’on appelle couramment « Bercy » – qui décide de poursuivre ou non les personnes ou entreprises accusées de fraude fiscale, et non la justice comme n’importe quel délit de droit commun. Autrement dit, lorsqu’un délit de fraude fiscale est constaté, le juge ne peut pas ouvrir de poursuites judiciaires, seule l’administration fiscale peut en prendre l’initiative.

Le terme de « verrou » prend tout son sens lorsqu’on constate le très faible nombre de dossiers de fraude fiscale transmis à la justice. Sur environ 16 000 infractions constatées chaque année, moins de 1 000 dossiers sont transmis à la justice et très peu aboutissent à des condamnations à de la prison ferme. Le fisc choisit en effet dans la très grande majorité des cas de trouver un arrangement en direct avec le fraudeur par le paiement de pénalités, sans passer par un juge, et donc sans condamnation publique. Pourtant la fraude fiscale est passible de 7 ans d’emprisonnement de 3 000 000 € d’amende.

A cela s’ajoute une opacité totale dans les critères et le processus de sélection et de transmission à la justice.

Pourquoi c’est un problème ?

Cette règle d’exception pose un grave problème d’équité. Nous sommes aujourd’hui dans un système qui institue une justice à deux vitesses et accorde une forme d’impunité pour les délinquants en col blanc. Pendant ce temps, tous les autres délits de droit commun sont examinés par la justice et font l’objet de condamnation publique. Une telle procédure de contournement est profondément injuste.

Pour prendre à bras le corps le problème de la fraude fiscale, il est primordial que la justice ait un vrai rôle dissuasif et garantisse que les cas de fraude les plus graves et les montages douteux de grandes entreprises soient jugés et sanctionnés de manière exemplaire.

Faut-il rappeler que les particuliers et entreprises qui fraudent privent l’Etat, et donc la collectivité entière, de ressources nécessaires au financement des services publics ? On estime que la fraude et l’évasion fiscale coûtent environ 60 à 80 milliards d’euros par an à l’Etat français, c’est à peu près l’équivalent du budget de l’Education nationale.

Le verrou de Bercy est donc véritablement le nœud du problème. Tant qu’il sera maintenu, l’alourdissement des sanctions et la publicité des peines proposées par la loi n’auront que peu d’effet.

Pourquoi le Sénat n’a rien changé à la situation ?

Lors de l’examen du projet de loi au Sénat le 3 juillet, de nombreux sénateurs appartenant à différents groupes politiques ont déposé des amendements pour supprimer le verrou de Bercy. Le Gouvernement et le rapporteur du projet de loi les ont tous rejetés. A la place, les sénateurs ont adopté un amendement en trompe l’œil qui ne changera pas grand-chose à la situation actuelle.

En effet, les sénateurs et sénatrices ont décidé d’inscrire dans la loi des critères d’après lesquels les dossiers de fraude seront automatiquement transmis au juge. Cependant, en choisissant des critères cumulatifs sur la gravité, le Sénat limite très fortement cet aménagement et très peu de dossiers additionnels devraient finalement être transmis à la justice. Surtout, la même situation demeure : la justice ne peut toujours pas ouvrir de poursuites judiciaires pour fraude fiscale de sa propre initiative.

Les sénateurs ont renoncé à deux autres dispositions essentielles pour ouvrir véritablement le verrou de Bercy : garantir un examen conjoint par l’administration fiscale et la justice des dossiers, en laissant le dernier mot au parquet et permettre à la justice de s’autosaisir sur des cas de fraude fiscale connexes à d’autres délits déjà poursuivis en justice, comme par exemple le blanchiment de fraude fiscale.

Pourquoi les arguments du gouvernement en faveur du Verrou sont contestables ?

Le Gouvernement défend le verrou de Bercy en privilégiant le règlement de pénalités dans des délais relativement courts et en pointant le risque que la justice statue à des non lieux face à des multinationales et leurs armadas d’avocats et de conseillers fiscalistes. Or, nous pensons que les décisions de justice permettent de faire la lumière sur les stratégies hyper sophistiquées qui sont à l’œuvre et de révéler les failles de notre législation qui échouent à les condamner. Les procès pour fraude fiscale sont un moyen de faire évoluer la loi. Surtout, seule la menace de poursuites judiciaires sera à même de dissuader les comportements de fraude fiscale : comme en témoignent les pratiques actuelles, de simples pénalités financières sont insuffisantes pour les plus gros fraudeurs qui réalisent alors un calcul coût – bénéfices et sont plus à même de prendre le risque de frauder. Résultat : le droit n’apparaît alors plus comme un outil de dissuasion des pratiques de fraude fiscale, ce qui sur le long terme risque de coûter plus cher à l’Etat que les pratiques court-termistes actuelles.

Autre argument avancé par le Gouvernement : l’administration fiscale de Bercy serait plus compétente pour traquer les grands fraudeurs fiscaux étant donné qu’elle a plus de moyens et de capacités d’investiguer. Or, Gérald Darmanin, ministre du Budget vient d’annoncer qu’il souhaitait supprimer 20 000 postes au sein du fisc. Rappelons que 20 000 postes ont déjà été supprimés ces dix dernières années. En quinze ans, nous serons donc à 40 000 postes de moins au sein du fisc, soit une division par trois des effectifs.

Quelles sont les prochaines étapes et comment se mobiliser ?

Le projet de loi va maintenant être examiné à l’Assemblée nationale. En commission des finances les 24 et 25 juillet, puis en septembre en séance plénière.

Il y a deux mois, les députés s’étaient prononcés – au-delà des clivages politiques – en faveur de mesures ambitieuses pour supprimer le verrou de Bercy, dans le cadre d’une mission d’information. Ils doivent maintenant passer des paroles aux actes pour redonner à la justice tous les moyens d’agir contre un fléau qui suscite l’indignation de tous les citoyens.

Oxfam se mobilise pour demander au gouvernement et aux parlementaires une véritable suppression du verrou de Bercy et une loi ambitieuse pour enfin mettre un terme à la fraude et à l’évasion fiscale qui nuit à toutes et tous et creusent les inégalités en France et dans le monde.

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