Index égalité professionnelle : un outil insuffisant

Quelle est la différence de salaires entre les hommes et les femmes ?

Les inégalités économiques entre les femmes et les hommes persistent en France. Les femmes continuent de gagner moins que les hommes : en 2021 dans le secteur privé, les femmes gagnaient 24% de moins que les hommes, avec 16% d’écart de salaire à temps de travail égal, et 4% à poste comparable.

En septembre 2018, le gouvernement a créé un index pour l’égalité professionnelle, c’est la mesure phare du Président de la République Emmanuel Macron pour réduire les inégalités salariales. Néanmoins, cinq ans après sa création, Oxfam critique ce dispositif trop peu ambitieux !

L’index pour l’égalité professionnelle, c’est quoi ?

La persistance des inégalités salariales en France

Partout dans le monde, les femmes gagnent et possèdent moins que les hommes. Ces profondes inégalités économiques sont le fruit d’un système économique injuste et patriarcal qui a longtemps éloigné les femmes du travail pour les garder dans les foyers, et qui maintenant concentre les femmes dans les secteurs et les métiers les moins valorisés et rémunérés. En France, les femmes continuent de gagner moins que les hommes : en 2021 dans le secteur privé, les femmes gagnaient 24% de moins que les hommes, avec 16% d’écart de salaire à temps de travail égal, et 4% à poste comparable.

La persistance de ces importants écarts de salaire s’explique par la double ségrégation professionnelle : d’une part les femmes sont concentrées dans les secteurs les moins valorisées et rémunérés (secteurs du soin, des services, de l’entretien, commerce alimentaire) assurant une grande majorité du travail à temps partiel, ce qu’on peut appeler le « plancher collant ».

D’autre part, même au sein des mêmes secteurs les femmes sont sous-représentées au sommet de la hiérarchie : c’est ce qu’on appelle le plafond de verre. En 2023, moins de 11% des dirigeants des grandes entreprises françaises sont des femmes, elles représentent 27% des comités exécutifs. Alors que la part des femmes dans la catégorie des cadres a presque doublé depuis les débuts des années 80, passant de 22% à 42% en 2021, seuls 26% des cadres dirigeants du secteur privé sont des femmes et elles ne représentent que 22% des 1% des salariés du privé les plus rémunérés

Plafond de verre et inégalités de genre

Le plafond de verre est un concept ayant émergé aux Etats Unis dans les années 1970, le « glass ceiling », désignant les « freins invisibles » à la promotion des femmes aux postes à responsabilités.

L’index égalité : la mesure phare du gouvernement pour réduire les écarts de salaire

En 2017, lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis de faire du « name and shame » des entreprises ne respectant pas l’égalité professionnelle. Cet engagement s’est retranscrit par l’adoption d’un index de l’égalité femmes-hommes dans la loi sur l’avenir professionnelle dites loi Pénicaud de septembre 2018. L’index de l’égalité professionnelle est LA mesure phare du gouvernement pour faire avancer l’égalité professionnelle.

L’Index est calculé sur 100 points et est composé de 4 à 5 indicateurs selon que l’entreprise a moins ou plus de 250 salariés :

  • L’écart de rémunération femmes-hommes,
  • L’écart de répartition des augmentations individuelles : correspondant à la comparaison entre le nombre de salariés augmentés parmi les hommes et celui de salariées augmentées parmi les femmes.
  • L’écart de répartition des promotions (uniquement dans les entreprises de plus de 250 salariés), correspondant à la comparaison entre le nombre de salariés promus parmi les hommes et celui de salariées promues parmi les femmes.
  • Le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé de maternité,
  • La parité parmi les 10 plus hautes rémunérations.

Les entreprises ayant un score en deçà de 75/100 ont 3 ans pour mettre en œuvre des mesures correctives, et les entreprises ayant un score en deçà de 85/100 doivent fixer et publier des objectifs de progression pour chacun des indicateurs.

Les entreprises ne prenant pas de mesures correctives s’exposent à des pénalités financières jusqu’à 1% de sa masse salariale annuelle.

Index égalité professionnelle : que penser de cet outil ?

Des indicateurs mal pensés et peu pertinents

Le point positif de cet index est d’avoir fait de l’égalité professionnelle une obligation de résultat pour les entreprises. Mais dès sa création, l’index de l’égalité professionnelle a été fortement critiqué, notamment par les syndicats. Pourquoi ? Car les indicateurs retenus par le gouvernement ne sont ni assez précis ni assez ambitieux pour réellement corriger les inégalités salariales en France.

Sous la pression du patronat, les indicateurs de l’index ont été construits de telle manière qu’ils permettent de fortement minimiser voire cacher la réalité des inégalités de salaires au sein des entreprises. Par exemple, 15 points sont donnés selon le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé maternité – ce qui est par ailleurs une obligation légale. Or, il suffit par exemple que l’employeur augmente toutes les salariées de retour de congé maternité d’un montant de 1 euro pour obtenir 15/15. A contrario, une entreprise qui obtiendrait une note de 0/15 sur cet indicateur pourrait toujours avoir une note de 75 points et donc, aucune incitation à changer ses pratiques bien qu’elle soit en infraction avec la loi.

Un autre indicateur note l’écart d’augmentation individuelle, mais néglige le montant de cette augmentation. Si 10 femmes sont augmentées de 10€ tandis que 10 hommes sont augmentés de 100€, l’entreprise obtiendra tous les points sur cet indicateur.

Une autre critique concerne le « seuil de pertinence » prévu sur le tableau Excel du ministère du travail, qui correspond tout bonnement à une marge de tolérance de 2 à 5% des écarts de salaires. À nouveau, une entreprise qui pratique un écart de rémunération moyenne de 15%, donc de 10% après l’application automatique du seuil de pertinence pourra se prévaloir d’une note de 30/40 points et une note globale de 90/100.

Un des indicateurs qui comptent le plus de points, à savoir celui de l’écart de rémunération entre les hommes, fait l’impasse sur l’une des causes principales des inégalités de salaire : la question des temps partiels. Dans un monde du travail où 79,5% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, calculer la rémunération équivalent temps plein masque les réalités financières d’une femme sur trois qui occupe un poste à temps partiel et qui est, en outre, rémunérée de manière partielle.

La très bonne performance des entreprises françaises : pourquoi ça coince

Ces insuffisances expliquent les très bonnes notes des entreprises françaises à l’index de l’égalité professionnelle. Depuis la création de l’index, la note moyenne des entreprises françaises est passée de 84/100 en 2020 à 88/100 en 2023, des moyennes reflétant mal la persistance des inégalités salariales en France. 93% des entreprises ont une note supérieure à 75/100.

Les entreprises françaises ont donc en moyenne de bonnes notes, avec aucune obligation de se fixer d’objectif en matière d’égalité professionnelle et 9 entreprises sur 10 n’ont pas non plus à prendre de mesures correctives. Loin du « name and shame » annoncé par Emmanuel Macron…

La performance des 100 plus grandes entreprises françaises en matière d’égalité femmes-hommes

  • La note moyenne des plus grandes entreprises françaises (SBF120) est de 89/100, et 90% ont une note supérieure à 85/100, donc sans obligation de se fixer des objectifs en matière d’égalité professionnelle.
  • La Française des jeux et Neoen ont une note de 100/100. Neoen obtient cette note de 100/100 alors que son comex est féminisé à seulement 20%.
  • Les entreprises Sartorius, JC Decaux et Alten font la performance d’avoir les bonnes notes respectives de 95/100, 94/100 et 89/100 sans avoir aucune femme siégeant dans leur comex.
  • 3 entreprises ont une note inférieure à 75/100 : Wendel, OVH et Voltalia. La société d’investissement Wendel fait figure de bon dernier avec une note de 55/100, avec 30,6% d’écart de salaire entre les femmes et les hommes.

Le 1er mars 2023, dans une interview accordée au journal ELLE la Première Ministre Elisabeth Borne déclarait que « l’index a été conçu pour monter en charge progressivement » et a reconnu que certains points laissaient à désirer notamment l’obtention de point lorsqu’une entreprise respecte la loi sur les augmentations après retour de congés maternité.

Le gouvernement a également lancé le 8 mars 2023 un plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans ce plan, le gouvernement souhaite introduire des éga-conditionnalités en favorisant l’accès aux marchés publics aux entreprises respectant les obligations en matière de publication de l’index et « ayant obtenu une note suffisante ». Mais très peu d’entreprises obtiennent une mauvaise note à l’index, risquant ainsi de limiter largement la pertinence et l’efficacité de ces éga-conditionnalités. Il est donc primordial de revoir les critères de l’index pour rendre cet outil plus ambitieux en matière d’égalité professionnelle et réellement pousser les entreprises à corriger les écarts de salaires entre les femmes et les hommes.

Les recommandations d’Oxfam France pour lutter contre les inégalités professionnelles

Dans son rapport « Inégalités salariales : aux grandes entreprises les gros écarts », Oxfam formule des recommandations pour avancer en matière d’inégalités professionnelles :

  • Réformer l’index pour l’égalité professionnelle, en renforçant les indicateurs (suppression du seuil de tolérance des écarts de salaires, prise en compte des montants des augmentations et des promotions, suppression de l’indicateur sur les retours de congés maternité) et en intégrant de nouveaux indicateurs prenant en compte la question du temps partiels et les violences sexuelles et sexistes après négociation avec les partenaires sociaux.
  • Introduire de réelles éga-conditionnalités dans les subventions, autorisations et marchés publics passés par la puissance publique pour inciter les entreprises à accélérer les efforts en matière d’égalité professionnelle.
  • Les entreprises doivent également devenir des actrices clés de l’égalité femmes hommes en prenant des engagements concrets au-delà de l’index (féminisation des instances de direction, promotion de la parentalité égalitaire, formation continue sur les sujets de violences sexistes et sexuelles).